L'Encyclopédie sur la mort


La conspiration de Catilina

Gaius Crispus Salluste

Salluste, historien romain, donne d'abord son avis sur les moeurs de ses contemporains avant de comparer la personnalité et le jugement de César avec ceux de Caton* dans leur discours devant le sénat au sujet de Catilina. Leur magnanimité était à peu près semblable, mais elle se manifestait de façon différente: «On exaltait la complaisance de l'un, la fermeté de l'autre».
VII. - Dès lors, chacun estima davantage ce qu'il valait et mit en lumière ses qualités d'esprit. Car les rois tiennent pour suspects les honnêtes gens plus que les méchants, et toujours le mérite d'autrui est pour eux un sujet de crainte. Rome, sa liberté* reconquise, grandit en peu de temps d'une manière incroyable, tant l'amour de la gloire avait tout gagné. Un jeune homme, dès qu'il pouvait être soldat, se façonnait à l'art militaire au camp, par le travail et la pratique, et il avait la passion des belles armes et des chevaux de guerre*, plus que des femmes et de la bonne chère. Pour de tels hommes, pas de fatigues dont ils n'eussent l'habitude, pas de position qui leur parût escarpée ou rude à atteindre, pas d'ennemi en armes à redouter : leur courage avait tout brisé devant eux.

Mais c'est entre eux surtout qu'ils rivalisaient de gloire chacun courait massacrer un ennemi, escalader un mur, se montrer accomplissant cet exploit : c'était là pour eux la richesse, la bonne renommée, la noblesse suprême ; avides d'honneur, ils dépensaient largement ; beaucoup de gloire, une aisance honorable, voilà ce qu'ils voulaient.

LI . - Suis-je donc d'avis de renvoyer les coupables et d'accroître les forces de Catilina ? Pas du tout. Mon avis, le voici : que leurs biens soient confisqués, qu'ils soient eux-mêmes emprisonnés dans des municipes, spécialement bien munis de tout le nécessaire ; que personne ne puisse désormais soumettre de nouveau leur cas au Sénat ou à l'assemblée du peuple ; que celui qui agirait autrement soit déclaré par le Sénat ennemi de la république et dangereux pour le salut de tous. »

LII . - Quand César eut terminé, les sénateurs se rangèrent, d'un mot, à l'un ou à l'autre avis. Quand ce fut le tour de Caton*, il s'exprima à peu près en ces termes :

«Mon avis, à moi, Pères conscrits, est très sensiblement différent, quand j'observe la situation périlleuse où nous sommes et que je réfléchis aux opinions émises par quelques sénateurs.

Voici donc mon avis : puisque, par la volonté impie de citoyens criminels, la république est exposée aux plus grands dangers, qu'ils sont convaincus par les dénonciations de Volturcius et des députés Allobroges, et qu'ils ont eux-mêmes reconnu leurs projets de massacre, d'incendie et de tous autres procédés scélérats et violents contre leurs concitoyens et contre l'État, qu'ils soient sur leur aveu, et comme s'ils avaient été pris en flagrant délit de crime entraînant la mort, condamnés suivant les habitudes de nos pères, à la peine capitale!»

LIV. - Donc pour la race, l'âge, l'éloquence, ils étaient à peu prés semblables ; égale était leur grandeur d'âme et aussi leur gloire, mais sous des formes différentes. César s'était fait une grande place par sa bienfaisance et sa libéralité, Caton par son intégrité. L'un devait sa célébrité à sa douceur et à sa pitié ; l'austérité de l'autre ajoutait à la haute idée qu'on avait de lui. A donner, à soulager, à pardonner, César avait acquis de la gloire, et Caton, à ne rien accorder par faveur. Chez l'un, les malheureux trouvaient un refuge ; chez l'autre, les méchants un juge sans pitié. On exaltait la complaisance de l'un, la fermeté de l'autre. Enfin, César s'était astreint au travail, à la vigilance : attentif aux affaires de ses amis, il négligeait les siennes ; il ne refusait rien de ce qui méritait d'être donné, souhaitant pour lui un grand commandement, une armée, une guerre entièrement nouvelle, où son mérite pût briller en pleine lumière. Caton avait le goût de la modération, de la convenance, surtout de l'austérité ; il luttait, non d'opulence avec les riches, non d'intrigue avec les intrigants, mais de courage avec les braves, de retenue avec les modestes, de réserve avec les purs ; il aimait mieux être honnête que de le paraître ; et ainsi, moins il recherchait la gloire, plus elle venait à lui.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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