À Aimé Césaire et Osman Dracius, in memoriam
Mon corps d’Île au Vent porte deux pères qui, de la peau de ma terre, leurs pieds retirèrent.
Le premier est Aimé Césaire, l’autre non moins aimé : l’un, sur négritude orbe ouverte,
Urbi et Orbi, le second, aveugle comme l’aède Homère.
En mon oedipienne viduité, sans chocolater mon corps je serre leurs corps à tâtons.
Abolissant ma matricielle vacuité, l’un caresse ma roche « Femme couchée »
aux tétons vers ma nue pointés en hommage aux mânes de Breton,
l’autre fend mes larmes et mes lames marigotines et les moiteurs de mes mangroves
sur mes bretonnantes déchirades et désirades. Je les sens en mes rades revenus,
en mon volcanique giron, Éros enlaçant Thanatos. Quel panthéon sied mieux au postmoderne
humanisme que mon humus caraïbe habité de l’omniprésence de divinités africaines
et de bienveillances indiennes à plumes ou sans plumes ?
Je me ressouviens de ces vies, et du règne d’un haut mal où je n’étais qu’un bien,
et d’un antan pas si lointain où je n’étais que ventre ouvert.
À l’amazone calazaza chevauchant par mots et par maux au mitan des silves étrangères,
moi, l’Île aux Femmes, j’offre pour tutélaire monture l’ancestral, l’immémorial
cheval à trois pattes cavalcadant : en bas de la terre, pas de chevaux de bois !
En ma déhiscence je décharge, de ce satané chien fer, le joui de sacré chien médium
en tutélaire érection : hédoniste monstre du Loch Ness versus chien fer.
Hic et nunc je me ressouviens de ces vies où je n’avais rien, de ces vits qui me violentaient,
ma chair pantelante sous le cal de ce qu’ils crièrent esclavage,
moi, marronne, voluptueusement, créolisée mais congo, mouillée de vagues mais
trublionne en mes exubérantes toisons.
Ad vitam aeternam je jouis de forniquer à ma guise avec latin, français, créole, ad libitum.
Ainsi, en mes paroles d’île, en ma salsa polyglotte de sueur, de sucre et de sang,
moi, île à sucre, par mes mots je doucis les maux de la doublement orpheline
© Suzanne Dracius