L'Encyclopédie sur la mort


Discours d'adieu de Calvin aux ministres

Jean Calvin

«Du vendredi, deuxième jour d'avril 1564, recueilli par Pinaut et écrit au naïf autant qu'il se l'est pu remettre en mémoire, et de mot à mot qu'il avait été prononcé, quoique par quelque autre ordre en quelques mots et propos». Ce sont ces propos qui précèdent le texte du Discours et qui nous avertissent clairement que le Discours n'a pas écrit tel quel par Calvin, mais qu'il s'agit d'une transcription du discours oral. Ce récit est très anecdotique et nous présente un Calvin moribond, conscient de ses faiblesses physiques et morales. Par ailleurs, le réformateur ainsi dépeint nous parait encore tout à fait maître de sa pensée et de ses convictions, ferme et agressif, un combattant de la foi sans complaisance.
Mes frères, d,autant que j'ay eu à vous dire quelque chose qui concerne l'estat, non seulement de ceste Eglise, mais aussi de plusieurs aultres qui quasi en dépendent, il sera bon de commencer par la prière, afin que Dieu me face la grace de dire le tout sans ambition, mais tousjours regardant à sa gloire, et aussi que un chacun puisse retenir et faire son profit de ce qui sera dict.

Il pourroit sembler que je n'advance beaucoup et que je ne suis pas si mal que je me fais accroire: mais ie vous asseure que combien que je me suis trouvé autrefois fort mal, toutefois ie ne me trouvay iamais en telle sorte ne si debile comme ie suis. Quant on me prend pour me mettre seulement sur le lict, la teste s'en va et m'esvanouis incontinent. Il y a aussi ceste courte haleine qui me presse de plus en plus. Ie suis en tout contraire aux autres malades; car quand ils s'approchent de la mort, leur sens s'esvanouissent et s'esgarent. De moy, vray est ie suis bien hebeté, mais il semble que Dieu veuille retirer tous mes esprits dedans moy et les renfermer, et pense bien que i'auray bien de la peine et qu'il me coustera bien à mourir, et ie pourray perdre le parler que i'auray encores bon sens; mais aussi en ay-ie adverty et ay dict ce que ie voulois qu'on me fist, et par ainsy i'ay bien voulu parler à vous devant que Dieu me retire, non pas que Dieu ne puisse bien faire autrement que ie ne pense: ce serait temerité à moy de vouloir entrer en son conseil.

Quand ie vins premierement en ceste Eglise il n'y avoit quasi comme rien. On preschoit et puis c'est tout. On cherchoit bienles idoles et les brusloit-on, mais il n'y avoit aucune reformation. Tout estoit en tumulte.Il y avoit bien le bonhomme Me Guillaume et puis l'aveugle Couraut (non pas né aveugle, mais il l'est devenu à Basle). D'advantage il y avoit Me Anthoine Saulnier, et ce beau prescheur Froment qui ayant laissé son devantier s'en montoit en chaire, puis s'en retournoit à sa boutique où il jasoit et ainsi il faisoit double sermon.

I'ay vescu icy en combats merveilleux, i'ay esté salué par mocquerie le soir devant ma porte de 50 ou 60 coups d'arquebute. Que pensez-vous que cela pouvoit estonner un pauvre escholier timide comme je suis, et comme ie l'ay tousjours esté, ie le confesse?

Puis apres ie fus chassé de ceste ville et m'en allay à Strasbourg où ayant demeuré quelque temps ie fus rappelé, mais ie n'eus pas moins de peine qu'auparavant en voulant faire ma charge. On m'a mis les chiens à ma queue, criant here here, et m'ont prins par la robbe et par les iambes. Je n'en allay au Conseil des 200 quand on se combatoit et retins les aultres qui y vouloient aller et qui m'estoyent pour faire cela; et quoyqu'on se vante d'avoir tout fait comme Monsieur de Saulx, ie me trouvay là et en entrant on me disoit: Monsieur retirez-vous: ce n'est pas à vous qu'on en veult. Ie leur dis: Non feray, allez meschans, tuez-moy, et mon sang sera contre vous, et ces bancqs mesmes le requerront. Ainsy i'ay esté parmy les combats et vous en experimenterez qu'ils ne seront pas moindres, mais plus grands. Car vous estes en une perverse et malheureuse nation, et combien qu'il y ait des gens de bien, la nation est perverse et meschante, et vous aurez de l'affaire, quand Dieu m'aura retiré car encores que ie ne sois rien, si sçay-ie bien que i'ay empesché tros mille tumultes qui eussent esté en Geneve. Mais prenez courage et vous fortifiez, car Dieu se servira de ceste Eglise et la maintiendra, et vous asseure que Dieu la gardera.

I'ay eu beaucoup d'infirmités lesquelles il a fallu qu'ayez supportées, et mesmes tout ce que i'ay faict n'a rien vallu. Les meschans prendront bien ce mot: mais ie dis encores que tout ce que i'ai faict n'a rien vallu, et que je suis une miserable creature. Mais si puis-ie dire cela que i'ay bien voulu, que mes vices m'ont tousjours despleu, et que la racine de la crainte de Dieu a esté en mon coeur, et vous pouvez dire cela que l'affection a esté bonne, et ie vous prie que le mal me soit pardonné, mais s'il y a du bien, que vous vous y conformiez et l'ensuyviez.

Quant à ma doctrine, i'ay enseigné fidellement et Dieu m'a faict la grace d'escripre, ce que i'ay faict le plus fidellement qu'il ma esté possible, et n'ay pas corrompu un seul passage de l'Escriture, ne destourné à mon escient; et quand j'eusse bien peu amener des sens subtils, si ie me fusse estudié à subtilité, i'ay mis tout cela soubs le pied et me suis tousjours estudié à simplicité.

Ie n'ay escrit aucune chose par haine à l'encontre d'aucun, mais tousjours ay proposé fidellement ce que i'ay estimé estre pour la gloire de Dieu.

[...]

L'Eglise de [Berne] a trahi ceste-ci [Genève], et ils m'ont tousjours plus craint qu'aimé, et ie veux bien qu'ils sçachent que ie suis mort en ceste opinion d'eux qu'ils m'ont plus craint qu'aimé, et encores me craignent plus qu'ils ne m'aiment, et ont tousjours eu peur que ie ne les troublasse en leur eucharistie.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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