L'Encyclopédie sur la mort


Corcyre (Corfou) et la guerre du Péloponèse

Thucydide

Durant la guerre du Péloponèse (431 - 404 av. J.-C.), les «atrocités de Corcyre» (actuelle Corfou) furent multiples: massacres, exécutions sommaires, duperies, profanations du temple et aussi suicide collectif*. La mort violente régna donc partout et se manifesta sous plusieurs formes dont les unes furent aussi cruelles que les autres. Le récit de Thucydide, qui décrit une conjoncture de guerre*, «nécessité impérieuse» où toutes les passions se déchaînent de manière excessive, nous révèle un auteur dont la sensibilité éthique est portée vers la paix*. Thucydide (460-395 av. J.-C.) se montre un témoin, crédible et honnête, de son temps.
LXXXI. Quand les Corcyréens connurent l'arrivée de la flotte athénienne, et la retraite des ennemis, ils firent entrer dans la ville des Messéniens qui jusque-là étaient restés dehors, et envoyèrent dans le port Hyllaïque les vaisseaux qu'ils avaient équipés. Pendant ce trajet, ils égorgèrent ceux de leurs adversaires qu'ils purent saisir. Quant à ceux qu'ils avaient engagés à monter sur les vaisseaux, ils les firent descendre à terre et les massacrèrent jusqu'au dernier; puis, allant au temple de Junon, ils obtinrent d'une cinquantaine des suppliants qu'ils se soumissent à un jugement et les condamnèrent tous à mort. Ceux qui n'avaient pas été leurs dupes, - c'était le plus grand nombre - voyant ce qui se passait, se tuèrent mutuellement dans le templs même; quelques-uns se pendirent aux arbres; enfin chacun se donna la mort comme il put.

Durant les sept jours que la flotte d'Eurymédon fut à Corcyre, les Corcyréens massacrèrent tous ceux qu'ils regardaient comme ennemis de la démocratie. Quelques-uns furent victimes d'inimitiés particulières; des créanciers furent tués par leurs débiteurs. La mort parut sous mille formes. De toutes les horreurs communes en pareille circonstance, il n'y en eut point qui ne fût commise et même surpassée. Le père tuait son fils; on arrachait des asiles sacrés les suppliants ou on les égorgeait au pied des autels. Enfin quelques-uns périrent murés dans le temple de Bacchus. Tant fut atroce cette sédition; elle le parut encore davantage, parce qu'elle fut la première.

LXXXII. Plus tard la Grèce en totalité fut ébranlé. La division régnant partout, les chefs du parti populaire appelaient les Athéniens, l'aristocratie les Lacédémoniens. En temps de paix, on n'aurait eu ni le prétexte ni l'idée d'attirer ces auxiliaires; mais, une fois la guerre allumée et les deux partis acharnés à s'entre-détruire, le recours à l'intervention étrangère devint plus facile aux agitateurs. Ces déchirements occasionnèrent aux États des calamités sans nombre, calamités qui sont et seront toujours le partage de la nature humaine, quoique, selon les conjonctures, elles puissent varier de violence ou de caractère. Durant la paix et la prospérité, les États et les individus ont un meilleur esprit, parce qu'ils ne sont pas sous le joug d'une nécessité* impérieuse; mais la guerre détruisant le bien-être journalier, est un maître brutal, qui règle les passions de la multitude sur les circonstances du moment.

Les villes étaient en proie aux dissensions. Si l'une d'elles était restée en arrière des autres, elle aspirait à renchérir sur leur exemple, à imaginer de nouveaux excès, à raffiner sur l'atrocité des vengeances. On en vient à changer arbitrairement l'acception des mots. L'audace irréfléchie passa pour un courage à toute épreuve; la lenteur prudente pour une lâcheté déguisée; la modération pour un prétexte de la timidité; une grande intelligence pour une grande inertie. L'emportement aveugle devint le trait distinct de l'homme de coeur; la circonspection, un spécieux subterfuge. L'homme le plus irascible fut regardé comme le plus sûr; celui qui osait lui tenir tête fut déclaré suspect. C'était faire preuve de finesse que d'attirer des ennemis dans le piège et surtout de l'éluder.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

Documents associés