L'Encyclopédie sur la mort


Ciguë (La)

Pauline Grégoire

Source: «Entre alimentation, hygiène et médecine : le vocabulaire de l’administration des simples dans le livre IX des Recherches sur les plantes de Théophraste», Mémoire présenté par Pauline GREGOIRE en vue de l’obtention du grade de licenciée en langues et littératures classiques. Année académique 2008-2009, Université de Liège (Belgique), Faculté de Philosophie et Lettres, Département des Sciences de l’Antiquité. Dénommé Tyrtamos, né en 372/371 et décédé en 287/286 av. J.-C., Théophraste (Θεόφραστος), «le divin parleur», doit à Aristote* son surnom élogieux. Le contenu du livre IX des Recherches sur la plantes est d'ordre médicinal, comme Théophraste l'explique lui-même: «On recherche surtout les espèces médicinales, considérées comme les plus utiles, qui se différencient à la fois parce qu’elles n’ont pas les mêmes usages et parce que leurs vertus ne résident pas dans les mêmes organes». Les vertus thérapeutiques, les modes d'administration et les effets toxiques (poison létal) de la ciguë sont traités dans le Livre IX au numéro 24. κώνειον (τὸ), la ciguë, Conium maculatum (p.46-49 du présent mémoire.
« Si l’extrait des autres racines est d’ordinaire moins fort que celui du fruit, dans le cas de la ciguë, il l’est davantage et une très faible dose administrée en une petite pilule rend l’issue fatale plus aisée et plus rapide (…). Thrasyas de Mantinée racontait qu’il avait découvert une drogue de nature à rendre le dénouement facile et indolore, en utilisant les sucs de la ciguë et du pavot, ainsi que d’autres plantes de ce genre, de manière que le produit ait un volume très commode et un faible poids, d’environ une drachme (203); c’était un poison absolument sans remède et qui pouvait se conserver indéfiniment sans la moindre altération […]. Il composait d’autres drogues encore, en grand nombre et avec de nombreuses plantes. Son élève Alexias était également habile et aussi versé dans son art que son maître, car sa compétence s’étendait au reste de la médecine. La découverte de ces drogues semble appartenir bien plus à notre temps qu’au passé. Quant à la différence dans le mode d’emploi de chacune, elle ressort de nombreux faits. Ainsi à Céos on n’utilisait pas autrefois la ciguë à la manière actuelle, mais en la broyant, comme ailleurs ; aujourd’hui personne ne songerait à la broyer : après l’avoir épluchée et débarrassée de son écorce (qui est la cause des malaises car elle se digère mal), on la pile au mortier, puis, après l’avoir passée au tamis fin, on en saupoudre de l’eau et on prend ce breuvage qui assure une fin rapide et paisible. »
(Recherches sur les plantes, IX, 16, 8, p. 47, 15-21 ‒ 48, 1-12)

En ajoutant du suc de pavot, c’est-à-dire de l’opium, à la ciguë, Thrasyas obtient une drogue qui permet une mort facile et sans douleur (ῥᾳδίαν ποιεῖν καὶ ἄπονον τὴν ἀπόλυσιν). Il s’agit là d’une découverte très intéressante lorsqu’on connaît, de réputation, les souffrances entraînées par un empoisonnement à la ciguë. Ainsi, dans Platon*, Phédon, 117e – 118 a, la description de l’agonie de Socrate* fournit quelques-uns des symptômes : affaiblissement des jambes, perte de la sensibilité, mais pas de la lucidité, refroidissement des extrémités et après quelques convulsions, mort rapide. En mentionnant Céos, Théophraste fait sans doute référence au suicide des vieillards de Céos et il donne la recette du poison qui permet, sans l’ajout d’un antalgique, une mort rapide et paisible (ταχεῖαν καὶ ἐλαφρὰν γίνεσθαι τὴν ἀπαλλαγήν). Suzanne Amigues (215) observe que parmi les textes relatifs à cette pratique que F. Blasquez (216) a réunis et commentés, le plus récent est celui d’Élien, Histoire vraie, III, 37, datant du IIIe siècle après J.-C., qui détaille les raisons et le rituel de ce suicide:

«Une loi de Céos veut que ceux qui sont devenus très âgés s’invitent les uns les autres comme pour s’offrir l’hospitalité ou pour un sacrifice solennel, et qu’une fois réunis, portant des couronnes, ils boivent la ciguë. Ils doivent le faire lorsqu’ils se rendent compte qu’ils ne sont plus aptes à accomplir les devoirs pour la patrie, entre autres parce qu’ils n’ont désormais plus tout leur esprit à cause de l’âge» (trad. A. Lukinovich – A.-F. Morand, Paris, Les Belles Lettres, 1991, p. 48).

Notes

203 Le substantif δραχμή (ἡ) désigne un poids d’une valeur de 4, 31 grammes selon le Grand Bailly,
Dictionnaire grec-français (1ère éd. 1894), édition revue par L. Séchan et P. Chantraine , Paris, Hachette, 2000,
tableau III, p. 2197.

215 Recherches sur les plantes, IX, p. 211, n. 31. Au sujet de la ciguë, Suzanne Amigues renvoie à l’étude de F. Blasquez, La ciguë dans l’Antiquité gréco-romaine : la plante, ses utilisations, son image dans le monde antique avec un regard sur les époques postérieures, thèse Université d’Aix-Marseille I, 1998.

216 F. Blasquez, op. cit. , ch. 5, II, 1 Le suicide ritualisé. La coutume de Céos.


http://promethee.philo.ulg.ac.be/cedopal/MemoiresEtThese/P_Grégoire_Entre%20alimentation.pdf
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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