Sévigné Mme de

05 / 02 / 1626-17 / 04 / 1696
Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné.

Née à Paris le 5 février 1626, morte au château de Grignan le 17 avril 1696. Le baron de Chantal, son père, fut tué dans l’île de Ré, en combattant les Anglais, le 22 juillet 1627: il avait l’humeur fort vive et fut un des raffinés duellistes du temps. Mme de Chantal, née Coulanges, mourut en août 1633. L’orpheline, la «pauvre petite pouponne», comme l’appelait son aïeule paternelle (la sainte amie de saint François de Sales, fondatrice de la Visitation), resta confiée à ses grands-parents maternels qui lui manquèrent bientôt. La tutelle de l’enfant fut alors remise par la famille à son oncle maternel Philippe de Coulanges, abbé de Livry. Elle fut élevée par lui; plus tard, Chapelain et Ménage enseignèrent l’italien et l’espagnol à la jeune fille. Très blonde, très blanche, très séduisante avec ses yeux bleus pétillants de gaieté et son fameux nez carré, Marie de Rabutin était, de plus, un parti considérable : elle avait 100 000 écus. Son cousin Bussy l’eût volontiers épousée: mais le coadjuteur de l’archevêque de Paris, le futur cardinal de Retz, fit agréer un de ses parents, le marquis Henri de Sévigné, d’une vieille noblesse de Bretagne. Le mariage eut lieu à Paris le 4 août 1644. Les nouveaux mariés vécurent d’abord à leur terre des Rochers, auprès de Vitré. Ils vinrent à Paris à l’automne de 1646 et y restèrent tout l’hiver. Le 10 octobre 1646 leur naquit une fille, Françoise; le fils, Charles, vint au monde au début de 1648, aux Rochers. À Paris, la marquise de Sévigné avait fréquenté l’hôtel de Rambouillet, dont c’était alors la plus brillante période : elle y prit tout l’exquis de la préciosité, en gardant la vivacité joyeuse et charmante de son naturel. Pendant la Fronde, Sévigné suivit le coadjuteur, d’abord contre la cour, puis contre les princes. Très dissipé, très galant, il se fit tuer en duel le 4 février 1651 par le chevalier d’Albret. Sa veuve le regretta. Après avoir passé les premiers mois de son deuil en Bretagne, elle revint à Paris. Très courtisée, et donnant peut-être un peu prise à la médisance par sa gaieté naturelle, sans coquetterie pourtant comme sans pruderie, elle se consacra à ses deux enfants. Les soupirants, parmi lesquels Bussy nous invite à compter Turenne et le prince de Conti, en furent pour leurs frais: de même le surintendant Fouquet dont elle fit son ami, et à qui elle resta fidèle dans sa disgrâce. Les perquisitions qui furent faites parmi les papiers de Fouquet, à Saint-Mandé, firent découvrir des lettres de Mme de Sévigné dans une cassette pleine de billets doux : le monde glosa; mais la vérité se fit jour, et la réputation de la jeune femme sortit intacte de cette désagréable affaire. Elle souffrit aussi par son cousin Bussy. Fâché depuis 1658 de ce qu’elle lui avait refusé un prêt de 1000 pistoles, il la mit dans son Histoire amoureuse des Gaules par un portrait satirique des plus malins; après avoir promis de le brûler, il le laissa courir de nouveau. Mais la prison et la disgrâce de Bussy ramenèrent Mme de Sévigné : et dès 1666 les relations épistolaires avaient repris entre eux.

Cependant Mlle de Sévigné avait seize ans : élevée auprès de sa mère, sauf un court séjour à la Visitation de Nantes, solidement instruite, mais très gâtée et adulée, vaine, hautaine, froide, éblouissante de beauté, dansant en perfection, «la plus jolie fille de France» parut à la cour, dansa dans le ballet des Arts, dans celui des Amours déguisés, et dans celui de La Naissance de Vénus (1663-1665) avec le roi, Madame et Mme de Montespan. En 1668, le roi parut la remarquer : en bon cousin, Bussy lui souhaitait la place de La Vallière. Le 29 janvier 1669, Mlle de Sévigné épousa François d’Adhémar, comte de Grignan, qui n’était plus jeune, qui n’était pas beau, et qui était veuf de deux femmes : c’était un très honnête homme de très bonne maison, lieutenant général en Languedoc. À la fin de l’année, il fut nommé lieutenant général en Provence : il fallait résider et suppléer le gouverneur, le duc de Vendôme, qui n’avait que treize ans. Grignan partit en avril 1670. Sa femme, qui était enceinte, resta à Paris : elle accoucha le 15 décembre de la petite Marie-Blanche, qui fut laissée à la grand-mère, et elle s’en alla le 5 février 1671 rejoindre le comte. C’est la séparation déchirante que les premières lettres de Mme de Sévigné à sa fille retracent. Quant à Charles de Sévigné, à vingt ans, il partit avec La Feuillade pour Candie, d’où il revint en 1669. Puis il acheta la charge de guidon des gendarmes Dauphin, où il eut plus tard une sous-lieutenance. Il servit pendant la guerre de Hollande, en Allemagne et en Flandre. Bon garçon, instruit, ayant beaucoup de la gaieté de sa mère, il l’attrista par ses dépenses et ses légèretés, tandis que Mme de Grignan, qu’elle préférait, la désespérait par ses froideurs. Il quitta le service et épousa en 1684 Mlle de Mauron, fille d’un conseiller au Parlement de Bretagne.

Mme de Sévigné paraissait quelquefois à la cour; elle vivait ordinairement à Paris, dans une compagnie choisie, où l’on distingue surtout Mme de La Fayette, La Rochefoucauld, Arnauld de Pomponne, Emmanuel de Coulanges et sa femme, le vieux cardinal de Retz, Mme du Plessis-Guénégaud, Corbinelli, d’Hacqueville, Gourville, les Guitaut et les Lavardin. De tout ce qu’elle ramassait aux conversations du monde, elle composait ses lettres par lesquelles sa fille se rattachait à la vie et à l’esprit de Paris et de la cour. À partir de 1677 elle loua l’hôtel Carnavalet, où elle résida jusqu’à sa mort. Elle faisait de fréquents séjours à Livry, tant que l’abbé de Coulanges vécut (jusqu’en 1687). Elle alla revoir les Rochers en 1671, 1675, 1684-1685, 1689-1690. Elle aimait beaucoup ses Rochers; et elle y faisait des économies dont elle avait besoin. Les rhumatismes vinrent, et la conduisirent à Vichy en 1676 et 1677, à Bourbon en 1687. Mais les voyages selon son cœur étaient ceux qui la réunissaient à sa fille : elle se rendit en 1672 en Provence, et y resta quatorze mois. Elle y retourna en 1690 et 1691, et en 1694. De son côté, Mme de Grignan vint plusieurs fois à Paris, en 1674-1675, en 1676-1677, en 1678-1679. Elle y fit un long séjour de 1680 à 1688. Elle y revint résider de 1692 à 1694. La mère et la fille avaient peine à s’entendre; la fille, froide et soucieuse du monde, était gênée par la tendresse expansive de la mère, qui se dépitait d’être reçue avec indifférence, de n’être pas payée de démonstrations égales : il en résultait des froissements et des querelles, que la séparation faisait oublier.

En mariant son fils, Mme de Sévigné partagea presque tous ses biens entre ses enfants, se réservant quelques rentes. Tandis que Charles vivait modestement en sa province, n’aspirant qu’à des honneurs provinciaux de député des États et lieutenant de roi, le train princier des Grignan, les fêtes, le jeu, la table ouverte, l’entretien du fils à l’armée les obéraient de plus en plus. Il fallut que l’orgueil des Grignan pliât, et qu’ils se résignassent à fumer leurs terres: le jeune marquis épousa en 1695 la fille du financier Saint-Amant. À la fin de la même année, la plus jeune fille, Pauline, dont la figure et l’esprit rappelaient sa grand-mère, épousa le marquis de Simiane. L’aînée, Marie-Blanche, s’était faite religieuse en 1684 à la Visitation d’Aix, où elle avait été mise à l’âge de cinq ans et demi. Mme de Sévigné assista aux deux mariages qui rétablissaient la maison de Grignan, et ne revint plus à Paris : elle mourut de la petite vérole à Grignan. Par son testament, elle avantageait sa fille qu’elle avait toujours préféré.

Voilà sa vie, qui, avec ses éclats et ses misères, représente bien la vie normale de la femme noble du XVIIe siècle. Infidélités du mari, débauches du fils, dettes de la fille et du gendre, tracas d’argent, succès de beauté et d’esprit, joies d’amour-propre et d’orgueil par les faveurs de cour et les caresses du monde, douceurs de la société, de l’amitié, des livres, fine culture et solidité du cœur et de l’esprit, dévotion sincère, plus marquée avec l’âge, et manifestant l’intelligence de plus en plus sérieuse de la vie, c’est bien le spectacle qu’offrent tant d’existences de femmes en ce temps-là. Il n’y a rien de singulier chez Mme de Sévigné : mais tout fut supérieur. Elle avait une sensibilité, sinon fort étendue, du moins fort vive. Point de sentimentalité; elle ne s’apitoyait pas outre mesure sur le prochain, surtout quand il n’était pas né. Elle était bonne pourtant, bonne avec malice et raillerie, sans attendrissement. Mais les préjugés de caste lui ont fait écrire des lettres cruellement enjouées en 1675 sur les désordres de Bretagne et leur répression : son insensibilité, ici, est vraiment un document historique. Elle ne paraît pas non plus avoir été fort sensible à l’amour, ni faite pour les grandes passions. Bussy la jugeait froide de tempérament. Elle était faite pour l’amitié, où elle portait beaucoup de fidélité et de vivacité. Elle a aimé surtout Fouquet, Mme de La Fayette, La Rochefoucauld, le cardinal de Retz. Toute la passion dont son âme était capable s’est dépensée en amour maternel, au profit de sa fille. On sait de quelle idolâtrie ardente elle l’a adulée. Elle avait beaucoup de gaieté et d’esprit, et elle aimait les gens d’esprit. C’est par l’esprit de Bussy qu’elle s’est rattachée à lui, et n’a jamais pu rompre avec lui, malgré leurs brouilles : elle goûtait sa netteté mordante; et puis c’était un Rabutin, et elle avait fort l’orgueil de la famille. Les exigences de son esprit lui faisaient parfois supporter peu patiemment les amis les plus dévoués, quand ils n’avaient pas la conversation très substantielle ou divertissante.

Elle aimait fort la nature, pour la joie de ses yeux, sans rêverie, ni sentimentalité, ni mysticisme. Et ses lettres ont une place à part dans ce siècle qui n’a guère regardé la nature : les printemps des Rochers et de Livry s’y exposent dans toute leur grâce, en vives couleurs. Elle était grande liseuse, surtout dans la solitude et le loisir de ses Rochers. Elle avait un faible pour les romans, pour La Calprenède. Elle aimait Corneille plus que Racine, pour lequel elle n’a pas été tout à fait juste; elle était de la génération précieuse, qui voulait de l’héroïsme et de grands sentiments au théâtre. Elle comprenait Molière et sentait La Fontaine. Elle lisait Virgile, l’Arioste, le Tasse, mais des livres aussi plus austères : Quintilien, Tacite, des historiens. Elle savait un peu de latin. Mais son intelligence robuste et qui aimait les idées allait surtout aux moralistes, à ceux qui parlent de la vie et préparent à la mort. Elle a lu Rabelais et Montaigne. Elle lisait Nicole, Pascal, saint Augustin, Abbadie. Elle relisait en sa vieillesse les oraisons funèbres de Bossuet. Elle avait l’esprit orné, mais surtout sain, solide et droit, malgré quelques faux jugements que le monde et ses préventions lui ont imposés.

Ses lettres sont le recueil épistolaire le plus considérable et le plus parfait du XVIIe siècle. On n’y peut comparer que les lettres, très différentes, de Cicéron et de Voltaire. Elles sont d’abord un document d’histoire de premier ordre : non pas tant pour le détail matériel et chronologique des faits, que pour l’expression de la vie et des mœurs d’une société d’un siècle. Elle nous découvre la cour, le monde, certains coins de la province, avec une vérité et une force pittoresque que nul faiseur de mémoires, si ce n’est Saint-Simon, n’a dépassés. Mais l’intérêt humain égale l’intérêt historique: Mme de Sévigné, qui aime tant les moralistes, est moraliste aussi; elle note en passant les effets et les signes des caractères; elle nous fait connaître l’homme en causant des hommes avec qui elle vit. Enfin elle a réellement une imagination d’artiste: elle a la vision puissante, claire et colorée de choses; elle sait voir et faire voir. Parmi les écrivains de profession, il y en a peu qui aient à leur service une pareille puissance d’imaginer et de rendre. Avec son ton de causerie enjouée, spirituelle, malicieuse, elle est un des grands peintres de notre littérature. Elle a l’expression originale, imprévue, qui surprend et qui saisit: peu d’écrivains ont eu plus de trouvaille, de style. Elle écrit très naturellement, mais non pas négligemment. Si elle laisse trotter sa plume la bride sur le cou, elle la surveille pourtant; et elle sait dégager ses idées, ou trouver à coup sûr la forme exquise et achevée. Quand elle se met devant son papier, elle a dans l’esprit, amassé au cours des entretiens et des visites, façonné et déjà préparé dans les heures de solitude et de recueillement, tout ce que sa plume y va légèrement déverser.

Les lettres de Mme de Sévigné étaient fort goûtées de ses contemporains, et circulaient dans le monde où elle vivait. Les premières qui furent publiées parurent dans les Mémoires de Bussy (1696, 2 vol., in-4), et dans ses Lettres (1697, 4 vol., in-12), et Nouvelles Lettres (1709, 3 vol., in-12). Les lettres à Mme de Grignan furent imprimées d’abord en 1726 (La Haye et Rouen, 2 vol., in-12); puis, plus complètement, mais pas toujours exactement, par le chevalier de Perrin, qui en arracha l’autorisation à Mme de Simiane (Paris, 1734, 4 vol., in-12, avec un 5e et un 6e volume en 1737; et en 1754, 8 vol., in-12). Les lettres à M. de Pomponne furent données en 1656, in-12. En 1773 parurent à Paris (in-12) des Lettres nouvelles ou nouvellement recouvrées de la marquise de Sévigné et de la marquise de Simiane (lettres au président de Moulceau). Les Lettres inédites, données en 1814 (in-8) par Ch. Millevoye, contiennent des lettres aux Guitaut, à d’Hacqueville, à Mme de Grignan. Monmerqué a donné en 1824, à la suite des Mémoires de Coulanges, 24 lettres inédites de Mme de Sévigné, et en 1827, 20 lettres inédites de Mme de Sévigné, de sa famille et de ses amis. Dans la première édition qu’il avait donnée de la Correspondance complète (1818-1819, 10 vol., in-8), il avait rassemblé plus de 100 lettres inédites et 300 fragments. C’est Monmerqué qui a préparé la meilleure édition qu’on ait de Mme de Sévigné, celle de la Collection des grands écrivains de la France (Paris, 14 vol., in-8 et un album, 1862-1866). Cette publication a été complétée par des Lettres inédites publiées par Ch. Capmas (1872, 2 vol., in-8). Les manuscrits autographes d’une partie des lettres de Mme de Sévigné sont conservés et dispersés chez les collectionneurs et dans les bibliothèques. […]

Gustave Lanson, article «Mme de Sévigné» de La grande encyclopédie: inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts. Réalisée par une société de savants et de gens de lettres sous la direction de MM. Berthelot, Hartwig Derenbourg, F.-Camille Dreyfus [et al.]. Réimpression non datée de l'édition de 1885-1902. Paris, Société anonyme de «La grande encyclopédie», [191-?]. Tome vint-neuvième (Saavedra-Sigillaires), p. 1116-1118.

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