Maistre Joseph de

1er avril 1753-26 février 1821
Extrait d'une notice biographique plutôt sympathique au philosophe et à ses idées

«Sa famille était originaire du Languedoc. Son père, le comte Xavier de Maistre, président du sénat à Pavie, lui fit donner une éducation savante et chrétienne, et dès la fin de ses études, n’ayant encore que vingt ans, il entrait dans la magistrature. Il fut du nombre des magistrats délégués par le gouvernement sarde auprès du sénat de Savoie; de bonne heure sa gravité s’était révélée aussi bien que son génie. Il publia en 1775 un éloge de Victor-Amédée : c’était un premier essai; il fut suivi de quelques autres, et pendant ce temps les événements, qui se hâtaient, allaient exercer leur influence sur la maturité de son talent et la direction définitive de ses pensées. En 1787 il fut nommé sénateur. La révolution de France commençait à remuer le monde. En 1793 l’invasion de nos armées en Savoie le força de se retirer en Piémont. De Maistre fut fidèle à son roi fugitif. Il le suivit en Sardaigne. Ce fut un asile protégé par les mers. Il y fut nommé régent de la grande-chancellerie.

Pendant cette première période de la révolution de France, de Maistre, dont l’esprit s’était déjà fortifié à la rude épreuve des calamités et des douleurs publiques, publia plusieurs écrits politiques. Le plus remarquable (1796) est celui qui a pour titre Considérations sur la France, ouvrage où le génie du philosophe et du publiciste jeta soudainement toutes ses clartés. À cette époque il n’avait pas encore vu la France. Il ne la connaissait que par le fracas de ses ébranlements, et pourtant il la jugeait comme s’il avait vécu dans l’intimité de ses factions; il lui pronostiquait la fin de ses ravages, et osait lui montrer dans l’avenir la restauration du trône, dont les débris servaient de jouet à mille tyrans.

En 1803 il fut envoyé à Pétersbourg, avec le titre de ministre plénipotentiaire. C’est là qu’il publia, en 1810, son ouvrage de politique sociale : Essai sur le principe générateur des institutions politiques. Déjà une immense réaction se faisait en Europe contre la révolution, et la France elle-même se laissait aller au penchant qui, par degrés, la ramenait aux idées morales et aux principes monarchiques. De Maistre vit arriver avec une joie d’honnête homme la grande réparation de 1814. Il n’était plus à Pétersbourg. On suppose qu’il avait été rappelé par suite de ses liaisons avec les jésuites de Russie, dont le prosélytisme catholique avait effarouché l’empereur. Quoi qu’il en soit, il avait été reçu dans son pays avec des honneurs nouveaux. Nulle gloire ne manquait à sa vie. Mais ses travaux de philosophe étaient sa gloire de prédilection.

Il visita la France en 1816 : on courut à cet homme extraordinaire, qui vingt ans auparavant avait annoncé les événements qui se passaient. Alors se formèrent d’illustres amitiés. La France avait eu aussi ses grands philosophes, ses grands poètes, ses grands historiens. De Maistre aima à voir en eux d’autres présages de réparation. Et cependant il s’éloigna bientôt avec des pressentiments nouveaux : il voyait bien que la philosophie chrétienne qui respirait dans les livres de Bonald et de Chateaubriand n’aurait que des fruits tardifs, et que d’autres épreuves attendaient encore la société en Europe. Il n’en fut que plus ardent à reprendre ses œuvres de publiciste. En cette même année 1816 il publia sa traduction du traité de Plutarque Sur les délais de la Justice divine dans la punition des coupables. En même temps il s’occupait de travaux plus vastes, sans se hâter de les produire. Les plus importants étaient deux ouvrages qui devaient faire un grand bruit en France, l’un intitulé Du Pape, l’autre Soirées de Saint-Pétersbourg. C’est là qu’il jetait au monde ses magnifiques et dernières pensées sur la société chrétienne, sur l’Église, sur la Providence; mais il ne courait pas au-devant de la gloire. La publication n’en devait être compléte qu’après sa mort. Il lui suffisait d’avoir préparé une œuvre de réaction contre la philosophie du matérialisme et du désespoir, et peut-être il ne soupçonnait pas ce qu’il y aurait quelque jour de puissant dans les sublimes théories qu’il semblait destiner seulement à la confidence de ses amis.

Pendant ce temps, un travail de démolition politique fatiguait l’Europe. Des révolutions nouvelles grondaient en plusieurs États. De Maistre entendit leur signal de destruction, et lui-même se sentait pencher vers la mort. "Je sens, écrivait-il à un ami de France, que ma santé et mon esprit s’affaiblissent tous les jours. Hic jacet, voilà tout ce qui va bientôt me rester de tous les biens de ce monde. Je finis avec l’Europe : c’est s’en aller en bonne compagnie." Il mourut le 25 février 1821.»

WILLIAM DUCKETT (dir.), Dictionnaire de la conversation et de la lecture: inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous. Tome douzième. Deuxième édition entièrement refondue, corrigée et augmentée de plusieurs milliers d'articles tout d'actualité. Paris, Firmin Didot, frères, fils, [ca 1860], p. 603-604.

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Pour une présentation tout à fait différente de la vie et de la pensée de Joseph de Maistre, on lira, d'Émile Cioran, «Joseph de Maistre. Essai sur la pensée réactionnaire», dans Exercices d'admiration. Essais et portraits, Paris, «Arcades», Gallimard, 1986.

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