La lettre de L'Agora - Automne 2025 - Volume 17 - Numéro 2

La Lettre de L'Agora

une agora, une encyclopédie


 

Automne 2025

De la vie augmentée
à la démocratie de l'illimité


Cette nouvelle édition de la Lettre de l’Agora s’ouvre sur l’ambition qui travaille notre époque de voir émerger un homme surhumain, amélioré par la science. C’est l’ambition que poursuivent, comme le rappelle Jacques Dufresne dans un billet, les promoteurs de jeux « augmentés », où des athlètes dopés sans limites rivaliseraient de performance pour repousser leurs capacités physiques. Pourtant, la vie, souligne également Jacques Dufresne, dans un texte d’abord publié dans un collectif paru cet automne, nécessite d’être rehaussée depuis la naissance jusqu’à la fin de la vie, par la beauté.

L’élévation dans l’ordre de la qualité étant absente, c’est l’horizon de la croissance illimitée des progrès de la science et de la consommation matérielle qui prédomine dans nos démocraties. Ce qui fait dire à Jean Gadbois que l’Occident a trouvé dans l’immigration la solution au comblement des besoins en main-d’œuvre requis pour nourrir l’immense machine à désirer qu’est devenue l’économie capitaliste. Ce même esprit d’illimitation qui anime la science et la technologie, non moins que le désir absolu d’égalité affaiblit, selon Jacques Larochelle, la démocratie en Occident, au point de faire douter de sa viabilité. La pensée politique de Charles de Koninck sera ici d’un grand secours. Figure oubliée de la philosophie québécoise connue mondialement par sa critique des personnalistes, de Koninck a mis en avant la primauté du bien commun. Un colloque lui a été consacré à l’Université Laval en octobre dernier, dont Georges-Rémy Fortin nous livre des aperçus. De même, il serait indispensable de retrouver l’esprit perdu de l’éducation, que Richard Lussier restitue à partir de sa propre expérience et de celle que le philosophe Jean Grondin a évoquée dans un riche ouvrage sur le sujet.

Pendant ce temps, le Québec continue de débattre de la laïcité et de son avenir. Marc Chevrier attire notre attention sur le projet de loi 94, déposé en mars 2025 par le ministre Bernard Drainville pour renforcer la laïcité dans le réseau scolaire public. Or, ce projet devenu loi reprend l’esprit de la Charte des valeurs que le ministre Drainville avait proposée sous la gouverne de Pauline Marois. Le débat sur la laïcité au Québec fait cependant abstraction de la liberté de culte, protégée par une loi québécoise ancienne qui mériterait une mise à jour. Cette même liberté de culte, le parlement fédéral s’apprête à la sanctuariser par le droit criminel, souligne également Marc Chevrier dans un autre texte. Le gouvernement de la CAQ a déposé récemment un projet de loi constitutionnelle, comportant une «Constitution du Québec». Nous sommes encore loin d’une véritable constitution, selon Marc Chevrier, faute de recourir au référendum pour la valider. D’une composition emphatique et répétitive, ce texte à plusieurs tiroirs tient sur des piliers fragiles dont l’auteur fait l’analyse.

La Lettre se termine, comme à l’accoutumée, par le témoignage de la littérature. Georges-Rémy nous confie le plaisir qu’il a éprouvé à lire la nouvelle d’un jeune auteur québécois, Pierre B. Berthelot, qui nous plonge dans l’univers montréalais des travailleurs du tramway. Avec son art agile de la nouvelle, Nicolas Bourdon, qui vient d’ailleurs de publier son premier recueil de nouvelles chez Liber, fait virevolter ses personnages sur une patinoire, au rythme de la valse viennoise. Rires et nostalgie garantis.

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De l'intelligence artificielle au sport artificiel

Jacques Dufresne

Le Wall Street Journal nous apprenait le 25 octobre 2025 qu'un certain Aron D'Souza, l'avocat qui a défendu récemment Peter Thiel, a lancé un projet d'Enhanced Games, soi-disant pour venger les athlètes honnêtes contre des concurrents qui parviennent à tricher impunément. La chose était prévisible : des hommes augmentés qu'on appelait hier encore transhumanistes, vont inventer des Jeux Olympiques permettant de dépasser les limites biologiques.

Vieillir sans perdre le goût de vivre

Jacques Dufresne

On a compris qu'il fallait célébrer la vie dans les chambres d'accouchement. Un tel retour à la vie a autant de sens pour ce qui est des chambres de la fin de vie. Qu'il s'agisse des soins à domicile, souhaités par la majorité ou des soins en institution, il faudra, pour rendre ces pratiques possibles, prélever des sommes importantes sur les budgets déjà insuffisants des hôpitaux-usines. Tel est le grand défi de demain. (Texte extrait de l'ouvrage collectif Les défis de demain).

 

Croissance infinie et déplacements de populations, l'aveuglement de l'Occident

Jean Gadbois

La rentrée parlementaire et le remaniement ministériel au Québec auraient pu offrir l'occasion d'un examen lucide de nos choix de société. Mais, comme ailleurs en Occident, le débat public préfère tourner autour des symptômes plutôt que des causes de ce que nous voulons changer. Nous aimons accuser la mauvaise gestion de l'État ou les quotas d'immigration, la laïcité ou Donald Trump, de nous empêcher de tourner en rond — rareté des logements, pression sur les services publics, fractures identitaires, tarifs douaniers — ils sont réels et nous devons les affronter. Or, la vérité la plus dérangeante se trouve ailleurs : dans notre addiction collective à la croissance infinie.

Charybde et Scylla

Jacques Larochelle

C'est donc sous un patronage homérique que Me Larochelle place son propos, qui nous avertit des nombreux dangers auquel l'Occident est exposé et qui tracent pour lui un étroit passage pour sa survie. Parmi ces périls, on reconnaîtra les progrès de la science qui, combiné à un matérialisme excluant toute transcendance et tout bien objectif, voue l'homme à pratiquer une morale subjective et sans hauteur. Puis, on notera les « outrances des phénomènes collectifs » parmi lesquels l'auteur range un féminisme qui absolutise l'égalitarisme et la dérive démagogique de la démocratie.

 

Charles De Koninck, penseur du Québec moderne

Georges-Rémy Fortin

La pensée de Charles De Koninck est bien vivante. Du 1er au 3 octobre 2025 a eu lieu à Québec un colloque intitulé Bien commun et fédéralisme chez Charles De Koninck. Le constitutionnalisme entre philosophie et politique. Le colloque a été entièrement consacré à la philosophie pratique de Charles De Koninck. Il a été organisé par Maxime St-Hilaire, professeur à l'Université Sherbrooke, Kevin Bouchard, professeur à l'Université Laval, avec l'aide de Jérémy Elmerich, chargé de cours à l'Uqam et chercheur postdoctoral à l'Université de Sherbrooke.

L'esprit de l'éducation

Richard Lussier

Monsieur Jean Grondin, professeur de philosophie à l'Université de Montréal, a publié en 2022 aux Presses universitaires de France un livre sur l'esprit de l'éducation. Dès que je lis un livre qui m'interpelle en raison du sens qu'il dévoile, je sens le besoin irrépressible d'entrer en dialogue avec l'auteur.

 

La nouvelle Charte des valeurs de Monsieur Drainville

Marc Chevrier

Déposé en mars 2025, le nouveau projet de loi 94 visant à renforcer l'application de la laïcité dans le réseau scolaire québécois reprend plusieurs des principes de la Charte des valeurs proposée par Bernard Drainville en 2013. La nouvelle ministre de l'Éducation, Sonia Lebel, a décidé de reprendre le projet à l'automne 2025 et de le faire adopter. La compréhension des enjeux et de la portée de ce projet devenu loi apparaît d'autant plus pertinente qu'il véhicule une philosophie de la religion très particulière, en vogue au Québec.

Le Québec dans l'Union canadienne. À propos d'une constitution prétendue

Marc Chevrier

Le gouvernement de la Coalition Avenir Québec a finalement déposé son «projet de loi constitutionnelle» à l'Assemblée nationale le 9 octobre 2025, lequel contient notamment une «Constitution du Québec » en 62 articles. Mais s'agit-il vraiment d'une constitution se demande notre analyste Marc Chevrier, au vu du fait que cette «constitution» projetée ne sera vraisemblablement pas soumise à la validation référendaire du peuple et prendra la forme d'une loi ordinaire modifiable par une simple majorité parlementaire?

NDLR: En complément de lecture, nous vous invitons à écouter cette entrevue accordée par Marc Chevrier sur les ondes de Radio Ville-Marie

 

Livres et nouvelle

«Un tramway nommé Laurier», une nouvelle de Pierre B. Berthelot dans le recueil Passés Composés

Une recension par Georges-Rémy Fortin

L'historien et écrivain québécois Pierre B. Berthelot nous offre une nouvelle qui se déroule dans les années 40 et qui est inspirée par le règne de l'oligarque canadien Herbert Holt. Pierre B. Berthelot est l'auteur de Duplessis est encore en vie, paru en 2021 chez Septentrion. Berthelot est présentement le rédacteur principal à la Fondation Lionel Groulx. Il est notamment le scénariste de la série de capsules vidéos Nos géants.

À la patinoire

Nicolas Bourdon

C'était un beau dimanche au début du mois de mars; on a déjà enlevé les deux buts de la patinoire et on s'apprête à partir quand je crie – en vérité, j'ai plutôt chuchoté pour ne pas être entendu des autres patineurs – à mes deux amis: «Les gars! Regardez les trois belles filles qui viennent d'arriver sur la patinoire. Il faut rester!»

 

Vient de paraître
Notre collaborateur, Nicolas Bourdon, vient de publier Lever de rideau, son premier recueil de nouvelles (Liber). Le recueil compte douze nouvelles qui sont enracinées, pour la plupart, dans la réalité montréalaise. On y retrouve un sens de la beauté et un humour subtil, souvent pince-sans-rire, qui permettent à l'auteur de nous faire réfléchir en douceur sur les multiples obstacles au bonheur qui parsèment toute vie normale. Ceux qui lisent déjà Nicolas sur L'Agora, dans Argument ou encore dans L'Action nationale, reconnaitront l'écrivain qu'ils aiment. Les autres en découvriront un! (Georges-Rémy Fortin)
Disponible chez Renaud-Bray