Censure

Le mot censure, dans son sens le plus courant, qui fait l’objet de ce dossier, signifie limite à la liberté d’expression. Cette limite on peut se l’imposer à soi-même. C’est l’auto-censure. Elle peut aussi être imposée de l’extérieur, soit de manière préventive, soit après le fait, comme dans le cas où les tribunaux interdisent un livre déjà publié. C’est la manière préventive qui caractérise la censure telle qu’elle a été appliquée le plus souvent dans le passé, comme nous le rappelle la définition de la Grande Encyclopédie : «La censure est l'examen qu'un gouvernement fait faire des livres, journaux, dessins, pièces de théâtre avant d'en autoriser l'apparition. »



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Une motion de censure est une motion tendant à retirer la confiance de l'Assemblée envers le gouvernement en mettant en cause sa responsabilité.

On emploie parfois les expressions « motion de blâme », et, moins souvent, «motion de défiance» ou «motion de non-confiance» (non confidence), etc. Voir le lexique de l'Assemblée nationale.

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Essentiel


«L'essence même d'une société libre et civilisée c'est que tout devrait être sujet à la critique, que toutes les formes d'autorité devraient être traitées avec une certaine réserve... une société totalement conformiste dans laquelle il n'y aurait aucune critique serait en fait une exacte équivalence des sociétés totalitaires contre lesquelles nous sommes engagés dans une guerre froide» (Malcolm Muggeridge's journey, Roger Kimball).
Traduction L'Agora

Enjeux

C'est toujours une illusion de croire que la liberté d'expression n'est plus menacée et la vigilance n'est jamais aussi nécessaire que là où elle paraît superflue. Cela dit la pire menace qui, dans les sociétés démocratiques, pèse sur la liberté d'expression ce sont les excès auxquels elle donne trop siuvent lieu.

  On ne devrait jamais proclamer dans une charte le droit à la libre expression, sans donner au moins un aperçu des conditions, des limites qu’il faut respecter dans l’usage de ce droit. Si ces conditions et ces limites ne sont pas présentées de façon aussi solennelle que le droit lui-même, et acceptées par les citoyens, les risques d’abus sont tels qu’ils rendent inévitables un retour à la censure préventive.

C’est à cela que réfléchissait Simone Weil, à Londres, en 1942, alors qu’elle travaillait à un projet de constitution pour la France d’après guerre. Elle éprouvait de la compassion pour tous ceux qui étaient privés de leurs libertés sur le continent, mais elle comprenait aussi que cette privation avait pour cause un mauvais usage antérieur de la liberté d’expression. Les principes qu’elle a formulés à ce sujet dans L’Enracinement, constituent une excellente source d’inspiration pour les législateurs comme pour ceux qui font un usage public de la parole et des images.

«La liberté d'expression totale, illimitée, pour toute opinion quelle qu'elle soit, sans aucune restriction ni réserve, est un besoin absolu pour l’intelligence. Par suite c'est un besoin de l'âme, car quand l’intelligence est mal à l'aise, l'âme entière est malade. La nature et les limites de la satisfaction correspondant à ce besoin sont inscrites dans la structure même des différentes facultés de l'âme. Car une même chose peut être limitée et illimitée, comme on peut prolonger indéfiniment la longueur d'un rectangle sans qu'il cesse d'être limité dans sa largeur.

Chez un être humain, l'intelligence peut s’exercer de trois manières. Elle peut travailler sur des problèmes techniques, c'est-à-dire chercher des moyens pour un but déjà posé. Elle peut fournir de la lumière lorsque s'accomplit la délibération de la volonté dans le choix d'une orientation. Elle peut enfin jouer seule, séparée des autres facultés, dans une spéculation purement théorique d'où a été provisoirement écarté tout souci d'action.

Dans une âme saine, elle s'exerce tour à tour des trois manières, avec des degrés différents de liberté. Dans la première fonction, elle est une servante. Dans la seconde fonction, elle est destructrice et doit être réduite au silence dès qu'elle commence à fournir des arguments à la partie de l'âme qui, chez quiconque n'est pas dans l'état de perfection, se met toujours du côté du mal. Mais quand elle joue seule et séparée, il faut qu'elle dispose d'une liberté souveraine. Autrement il manque à l'être humain quelque chose d'essentiel. Il en est de même dans une société saine. C'est pourquoi il serait désirable de constituer, dans le domaine de la publication, une réserve de liberté absolue, mais de manière qu'il soit entendu que les ouvrages qui s'y trouvent publiés n'engagent à aucun degré les auteurs et ne contiennent aucun conseil pour les lecteurs. Là pourraient se trouver étalés dans toute leur force tous les arguments en faveur des causes mauvaises. Il est bon et salutaire qu'ils soient étalés. N'importe qui pourrait y faire l'éloge de ce qu'il réprouve le plus. Il serait de notoriété publique que de tels ouvrages auraient pour objet, non pas de définir la position des auteurs en face des problèmes de la vie, mais de contribuer, par des recherches préliminaires, à l'énumération complète et correcte des données relatives à chaque problème. La loi empêcherait que leur publication implique pour l'auteur aucun risque d'aucune espèce.

Au contraire, les publications destinées à influer sur ce qu'on nomme l'opinion, c'est-à-dire en fait sur la conduite de la vie, constituent des actes et doivent être soumises aux mêmes restrictions que tous les actes. Autrement dit, elles ne doivent porter aucun préjudice illégitime à aucun être humain, et surtout elles ne doivent jamais contenir aucune négation, explicite ou implicite, des obligations éternelles envers l'être humain, une fois que ces obligations ont été solennellement reconnues par la loi.

La distinction des deux domaines, celui qui est hors de l'action et celui qui en fait partie, est impossible à formuler sur le papier en langage juridique. Mais cela n'empêche pas qu'elle soit parfaitement claire. La séparation de ces domaines est facile à établir en fait, si seulement la volonté d'y parvenir est assez forte.

Il est clair, par exemple, que la presse quotidienne et hebdomadaire tout entière se trouve dans le second domaine. Les revues également, car elles constituent toutes un foyer de rayonnement pour une certaine manière de penser ; seules celles qui renonceraient à cette fonction pourraient prétendre à la liberté totale.»1

Dans les pays libres d’aujourd’hui on est bien loin de ces principes. On revendique dans tous les domaines la liberté absolue que Simone Weil réserve au domaine de l’intelligence, mais comme on continue à reconnaître que tout n’est pas admissible, on reporte le fardeau de la limite sur le consommateur. On veut conserver le pouvoir de publier n’importe quoi, sur papier ou sur Internet. À charge pour les parents et les éducateurs de protéger les enfants contre ce qu’ils estiment dégradant pour eux! Il s’agit d’une censure après le fait pratiquée sur une base individuelle, familiale ou communautaire.

Les honnêtes gens courent ainsi le risque soit de perdre la bataille contre les vendeurs d’images et de discours dégradants, soit s’ils tiennent à se protéger, de ne pouvoir résister à l’attrait des sectes ou des groupes fondamentalistes. Là ils jouiront de la même sécurité que s’ils appartenaient à un pays pratiquant la censure.

On peut se demander ce qu’il adviendra des nations dans ces conditions. Si elles perdent la membrane qui leur permet de filtrer l’information venant de l’extérieur, quel attrait pourront-elles opposer à celui qu'exercent les sectes?

1. Simone Weil, L'Enracinement. «Prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain», Paris, Gallimard, 1949.




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L'auto-censure

S'il est vrai que l'on veut étendre la liberté absolue à tous les domaines, ce qui pourrait donner l'illusion que les libertés continuent leur expansion sur tous les fronts, il est tout aussi vrai que l'auto-censure, sous la forme de la political correctness, par exemple, fait paraître nos libres parleurs bien timides par rapport à Aristophane et à tous les citoyens grecs de la même époque.

Un passage du Mariage de Figarode Beaumarchais, écrit il y a plus de deux siècles, nous donne une idée, par le biais de l'humour, de la réalité de cette nouvelle censure qui se présente sous le couvert de la liberté : «On me dit que, pendant ma retraite économique, il s'est établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions, qui s'étend même à celles de la presse; et que, pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l'inspection de deux ou trois censeurs.»

À la rectitude politique, s'ajoute, dans la plupart des médias, surtout parmi ceux dont la réussite financière dépend de quelques annonceurs, une auto-censure de survie qui devient vite une seconde nature. Il va de soi qu'il faut s'abstenir de donner une opinion éclairée sur le junk food dans une station de radio locale qui diffuse des annonces de telle chaîne alimentaire très connue. En s'accumulant, ces manquements véniels au devoir de vérité créent un climat tel que toute une région peut être au courant des injustices commises par un chef d'entreprise du lieu, alors même que les médias ont craint d'aborder le sujet.

Et un jour viendra où tous ces médias, habitués à la servitude, deviendront librement des courroies de transmission pour la propagande de l'État central. C'est un tel spectacle que les médias américains ont offert au monde dans les mois qui ont précédé la guerre contre l'Irak. Preuve que l'on peut dans un même pays à la fois pousser trop loin la liberté, (quand elle est une occasion de profit ou de plaisir) et se montrer incapable de l'assumer, (là où elle est un devoir).



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Ne tenons jamais la liberté d'expression pour acquise. C'est le silence avilissant qu'il faut plutôt tenir pour acquis. Comme nous le rappelle Fernand Dumont, «les censeurs existent toujours, même s'ils ont changé de costume et si leur autorité se réclame d'autres justifications. Toutes les sociétés, quels que soient leur forme et leur visage, mettent en scène des vérités et des idéaux et rejettent dans les coulisses ce qu'il est gênant d'éclairer. Toutes les sociétés pratiquent la censure; ce n'est pas parce que le temps de M. Duplessis est révolu que nous en voilà délivrés. Les clichés se sont renouvelés, mais il ne fait pas bon, pas plus aujourd'hui qu'autrefois, de s'attaquer à certains lieux communs. Il est des questions dont il n'est pas convenable de parler; il est des opinions qu'il est dangereux de contester. Là où il y a des privilèges, là aussi travaille la censure. Le blocage des institutions, le silence pudique sur les nouvelles formes de pauvreté et d'injustice s'expliquent sans doute par l'insuffisance des moyens mis en oeuvre, mais aussi par la dissimulation des intérêts. On n'atteint pas la lucidité sans effraction» (Fernand Dumont, Raisons communes, Montréal, Éditions du Boréal, 1995, p. 25-25).

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