V. a accompli un long travail d'écriture, qui a duré cinq ans et qu'il appelle «brainstorming». Il s'agit de l'écriture d'une lettre d'adieu, adressée à ses proches, qui s'intègre dans un long processus de délibération et de préparation de son suicide. Cette «mort écrite» ou «thanatographie», analysée dans un autre document intitulé «Travail d'écriture d'une lettre d'adieu accompli par V.», a abouti à une lettre ultime, écrite durant les 24 heures qui ont précédé son suicide (janvier 2001).
Dans cette lettre, nous distinguons cinq thèmes:
1. la consommation d'alcool, morphine, héroïne qui mène à la dégradation progressive de l'état physique de V. jusqu'à sa toute fin;
2. la responsabilité de l'auteur qui assume librement et pleinement sa volonté de mourir;
3. l'attention qu'il porte aux proches et que nous pouvons traiter légitimement comme une forme d'altruisme*;
4. la nature et l'historique de sa dépression* et de la médication, plus ou moins efficace, qui y est associée;
5. l'interprétation de son geste.
1. Consommation excessive d'alcool et de substances chimiques
V. commence sa lettre d'adieu en racontant ses achats d'alcool et de drogue qui serviront comme moyens* de son suicide. Depuis peu de temps il a rechuté (slippé) dans l'alcoolisme* après 8 1/2 années d'abstinence. Le récit de son enivrement et de son intoxication*, graduels et volontaires, se poursuivra jusqu'à la toute fin de sa lettre. Ce procédé narratif s'accompagne, à certains moments, d'invectives contre lui-même qui font apparaître la piètre estime que l'auteur a entretenue de lui-même pendant tant d'années (il répète: «il n'y a rien de changé»):
«J'ai "slippé" [...], j'ai acheté le "Mickey" de vodka [...] après 8 1/2 ans "clean & sober" [...] une bouteille de vin puis un demi-joint, j'étais convaincu que je lèverais les pattes [...]; aussi "capoté", aussi ... y a rien de changé. [...] Je suis le même "Chris de sapé de cave d'idiot, d'arriéré mental d'ivrogne" que j'étais. [...] Faut que je noie le fond. [...] j'étais assez "parti" et "gelé et saoul" pour être assez "con" pour acheter une "pipe" et une "roche" avant d'arriver chez moi. Là je l'ai fumé. C'est pareille comme se "fixer"; [...] Y a rien de changé; je ne me suis pas adouci, je ne suis pas plus tranquille; je suis aussi cave quand je bois.» (10.01.1)
Il insiste sur le caractère fatal et irréversible de son geste (la répétition de l'adjectif létal qui paraît une fois entre guillemets), sur la quantité des produits provoquant la mort. Il utilise trois fois dans une phrase le verbe cacher pour indiquer que ces produits sont gardés dans un lieu sûr:
«La seule chose qui me réconforte, c'est de savoir que j'ai ma dose "létale" de morphine caché, de bien caché; puis je n'aurais même pas besoin de la cacher parce que c'est si facile d'acheter la dose létale (11.01.2)
«je suis bien gelé sur la coke et j'ai l'intention d'ingérer assez de morphine pour me suicider.» (11.01.3)
«Là il est 8h 13 et il y a environ 5 minutes que j'ai pris les [produit et dose], puis là je vais me coucher et attendre que ça fasse effet.» (11.01.9)
2. Libre responsabilité
Le récit montre que son auteur a préparé tous les détails de son départ volontaire. Il espère qu'il va réussir son projet suicidaire qu'il considère comme une auto-élimination:
«J'espère bien que j'ai réussi ce que j'ai entrepris plus tôt; c'est-à-dire m'éliminer. Désolé, mais c'est assez.» (11.01.3)
«Bye, c'est ma décision finale» (11.01.4)
Une personne du sexe féminin que nous désignons par Y et qui a aidé V à se procurer les produits devant provoquer la mort, a décidé de l'accompagner dans la mort:
«Je tiens à souligner que Y. n'a aucun effet sur ma décision, etc. J'ai pris consciemment ma décision et les (il nomme ici les produits qu'il a commencé à ingurgiter et leur dose fatal), recommandées dans le livre Final Exit...» (11.01.5)
Il admet qu'il ne parviendra pas à donner les raisons satisfaisantes pour appuyer son intention suicidaire à des personnes non suicidaires qui n'auront pas assez d'empathie pour saisir avec justesse le degré d'intensité de son geste :
«Je sais que ça fait 2-3 pages que je me répète où je n'arrive pas vraiment à exprimer le pourquoi de mon action. Enfin, passons. Je sais aussi qu'il n'y a pas vraiment d'explications qui pourraient satisfaire ceux qui aiment la vie et qui ne songent jamais au suicide!» (11.01.9)
Sa décision a été prise depuis longtemps. Maintenant c'est le temps de la transformer en action:
«Puis là, je réfléchis ou plutôt j'ai bien réfléchi. C'est une décision qui a, en fait, été faite depuis des années, c'est juste là je suis arrivé au point où ça va se passer.» (11.01.9)
À la toute fin, son écriture devient floue et les caractères sont ceux d'une personne qui s'endort (une personne couchée). Sa lettre termine ainsi:
«Ouais, je suis comme a (suit une figure qui ressemble vaguement à une croix légèrement retouchée que l'on peut interpréter comme «assommé»). Là ça s'en vient très vite. signé: V.)» (11.01.12)
3. Altruisme
Aux yeux de V., l'autre existe et il tient compte ce cette altérité (l'existence de l'autre hors de lui) non seulement dans son travail d'écriture, mais aussi dans les actions de sa vie quotidienne, même s'il estime que ces propres problèmes méritent une solution adaptée ou appropriée à sa situation et à son état.
Ce qui fait partie de son processus de deuil* ou d'adieu à la vie, c'est le regret de faire de la peine à ses proches:
«Ce qui m'a toujours arrêté,... MA MÈRE... je l'aime, pis je ne veux pas lui faire de la peine, pis je sais que quand elle va apprendre que je suis mort, elle va pleurer, je ne veux pas lui faire de la peine.» (11.01.2)
Mais aussitôt, il essaie de se raisonner: connaissant sa mère, celle-ci aura la force de survivre à son suicide:
«Mais de la manière que c'est parti... ma mère "Maman" va vivre encore 20 ans» (11.01.2)
«J'espère que vous vous ne tourmenterez pas avec ça.» (11.01.4)
La fille Y ingurgite elle aussi le produit, mais elle décidera de survivre et quittera les lieux. V prend soin de mentionner le départ de cette compagne, une vieille connaissance, qui l'a aidé dans l'achat de ses produits et de respecter son autonomie* et sa liberté* (c'est bien de ses affaire). Ce départ ne facilite pas la tâche qu'il veut accomplir
«Y aussi a fait ça (ingurgitation des produits). Il y a 5 ou 6 ans que je la connais.» (11.01. 10)
«Ben, la petite Y, elle a changé d'idée; c'est bien de ses affaires. La fille qui voulait faire ça avec moi a changé d'idée et elle est partie. C'est bien difficile.» (11.01,11)
4. Dépression
V. n'est pas intéressé de vivre seulement sur les médicaments et d'être constamment tenaillé par la pensée suicidaire:
«[...] pour la simple raison que la sobriété ne me rend pas ou ne m'aide pas à être heureux; je crois que l'hypothèse du débalancement chimique au cerveau ait de la "véracité" pour l'avoir expérimenté moi-même par deux différents médicaments (il les nomme avec de multiples détails).» (11.01.6 et 7)
Il semble comprendre «pourquoi les gens en général aiment la vie et ne pensent pas continuellement à s'enlever la vie par "dépit" et "ennui", etc.», comme lui le fait. (11.01.7)
«C'est plus difficile d'endurer la dépression après avoir pris des médicaments parce que ce qui semblait avoir 25 ans de m' habituer à la dépression et soudain me sentir mieux pour un an environ et soudain en l'espace de quelques mois redevenir comme avant, c'est trop dur, trop vite, trop soudain, c'est dommage que les médicaments ne marchent pas...» (11.01.8)
5. Interprétation de son geste
Comme tout au long de ses 5 ans d'écriture ou de brainstorming, il considère sa mort prochaine comme une démarche vers l'aventure et le mystère (deux termes qu'il traite comme indissociables). Voir l'analyse de ses autres écrits dans «Travail d'écriture de V.», mais il y ajoute une connotation qui annonce un espoir: la lumière. Il nous est permis de reconnaître ici l'au-delà oule monde parallèle de Castenada
«Je m'en vas à l'aventure, le mystère, la lumière.» (11.01.4)
1. la consommation d'alcool, morphine, héroïne qui mène à la dégradation progressive de l'état physique de V. jusqu'à sa toute fin;
2. la responsabilité de l'auteur qui assume librement et pleinement sa volonté de mourir;
3. l'attention qu'il porte aux proches et que nous pouvons traiter légitimement comme une forme d'altruisme*;
4. la nature et l'historique de sa dépression* et de la médication, plus ou moins efficace, qui y est associée;
5. l'interprétation de son geste.
1. Consommation excessive d'alcool et de substances chimiques
V. commence sa lettre d'adieu en racontant ses achats d'alcool et de drogue qui serviront comme moyens* de son suicide. Depuis peu de temps il a rechuté (slippé) dans l'alcoolisme* après 8 1/2 années d'abstinence. Le récit de son enivrement et de son intoxication*, graduels et volontaires, se poursuivra jusqu'à la toute fin de sa lettre. Ce procédé narratif s'accompagne, à certains moments, d'invectives contre lui-même qui font apparaître la piètre estime que l'auteur a entretenue de lui-même pendant tant d'années (il répète: «il n'y a rien de changé»):
«J'ai "slippé" [...], j'ai acheté le "Mickey" de vodka [...] après 8 1/2 ans "clean & sober" [...] une bouteille de vin puis un demi-joint, j'étais convaincu que je lèverais les pattes [...]; aussi "capoté", aussi ... y a rien de changé. [...] Je suis le même "Chris de sapé de cave d'idiot, d'arriéré mental d'ivrogne" que j'étais. [...] Faut que je noie le fond. [...] j'étais assez "parti" et "gelé et saoul" pour être assez "con" pour acheter une "pipe" et une "roche" avant d'arriver chez moi. Là je l'ai fumé. C'est pareille comme se "fixer"; [...] Y a rien de changé; je ne me suis pas adouci, je ne suis pas plus tranquille; je suis aussi cave quand je bois.» (10.01.1)
Il insiste sur le caractère fatal et irréversible de son geste (la répétition de l'adjectif létal qui paraît une fois entre guillemets), sur la quantité des produits provoquant la mort. Il utilise trois fois dans une phrase le verbe cacher pour indiquer que ces produits sont gardés dans un lieu sûr:
«La seule chose qui me réconforte, c'est de savoir que j'ai ma dose "létale" de morphine caché, de bien caché; puis je n'aurais même pas besoin de la cacher parce que c'est si facile d'acheter la dose létale (11.01.2)
«je suis bien gelé sur la coke et j'ai l'intention d'ingérer assez de morphine pour me suicider.» (11.01.3)
«Là il est 8h 13 et il y a environ 5 minutes que j'ai pris les [produit et dose], puis là je vais me coucher et attendre que ça fasse effet.» (11.01.9)
2. Libre responsabilité
Le récit montre que son auteur a préparé tous les détails de son départ volontaire. Il espère qu'il va réussir son projet suicidaire qu'il considère comme une auto-élimination:
«J'espère bien que j'ai réussi ce que j'ai entrepris plus tôt; c'est-à-dire m'éliminer. Désolé, mais c'est assez.» (11.01.3)
«Bye, c'est ma décision finale» (11.01.4)
Une personne du sexe féminin que nous désignons par Y et qui a aidé V à se procurer les produits devant provoquer la mort, a décidé de l'accompagner dans la mort:
«Je tiens à souligner que Y. n'a aucun effet sur ma décision, etc. J'ai pris consciemment ma décision et les (il nomme ici les produits qu'il a commencé à ingurgiter et leur dose fatal), recommandées dans le livre Final Exit...» (11.01.5)
Il admet qu'il ne parviendra pas à donner les raisons satisfaisantes pour appuyer son intention suicidaire à des personnes non suicidaires qui n'auront pas assez d'empathie pour saisir avec justesse le degré d'intensité de son geste :
«Je sais que ça fait 2-3 pages que je me répète où je n'arrive pas vraiment à exprimer le pourquoi de mon action. Enfin, passons. Je sais aussi qu'il n'y a pas vraiment d'explications qui pourraient satisfaire ceux qui aiment la vie et qui ne songent jamais au suicide!» (11.01.9)
Sa décision a été prise depuis longtemps. Maintenant c'est le temps de la transformer en action:
«Puis là, je réfléchis ou plutôt j'ai bien réfléchi. C'est une décision qui a, en fait, été faite depuis des années, c'est juste là je suis arrivé au point où ça va se passer.» (11.01.9)
À la toute fin, son écriture devient floue et les caractères sont ceux d'une personne qui s'endort (une personne couchée). Sa lettre termine ainsi:
«Ouais, je suis comme a (suit une figure qui ressemble vaguement à une croix légèrement retouchée que l'on peut interpréter comme «assommé»). Là ça s'en vient très vite. signé: V.)» (11.01.12)
3. Altruisme
Aux yeux de V., l'autre existe et il tient compte ce cette altérité (l'existence de l'autre hors de lui) non seulement dans son travail d'écriture, mais aussi dans les actions de sa vie quotidienne, même s'il estime que ces propres problèmes méritent une solution adaptée ou appropriée à sa situation et à son état.
Ce qui fait partie de son processus de deuil* ou d'adieu à la vie, c'est le regret de faire de la peine à ses proches:
«Ce qui m'a toujours arrêté,... MA MÈRE... je l'aime, pis je ne veux pas lui faire de la peine, pis je sais que quand elle va apprendre que je suis mort, elle va pleurer, je ne veux pas lui faire de la peine.» (11.01.2)
Mais aussitôt, il essaie de se raisonner: connaissant sa mère, celle-ci aura la force de survivre à son suicide:
«Mais de la manière que c'est parti... ma mère "Maman" va vivre encore 20 ans» (11.01.2)
«J'espère que vous vous ne tourmenterez pas avec ça.» (11.01.4)
La fille Y ingurgite elle aussi le produit, mais elle décidera de survivre et quittera les lieux. V prend soin de mentionner le départ de cette compagne, une vieille connaissance, qui l'a aidé dans l'achat de ses produits et de respecter son autonomie* et sa liberté* (c'est bien de ses affaire). Ce départ ne facilite pas la tâche qu'il veut accomplir
«Y aussi a fait ça (ingurgitation des produits). Il y a 5 ou 6 ans que je la connais.» (11.01. 10)
«Ben, la petite Y, elle a changé d'idée; c'est bien de ses affaires. La fille qui voulait faire ça avec moi a changé d'idée et elle est partie. C'est bien difficile.» (11.01,11)
4. Dépression
V. n'est pas intéressé de vivre seulement sur les médicaments et d'être constamment tenaillé par la pensée suicidaire:
«[...] pour la simple raison que la sobriété ne me rend pas ou ne m'aide pas à être heureux; je crois que l'hypothèse du débalancement chimique au cerveau ait de la "véracité" pour l'avoir expérimenté moi-même par deux différents médicaments (il les nomme avec de multiples détails).» (11.01.6 et 7)
Il semble comprendre «pourquoi les gens en général aiment la vie et ne pensent pas continuellement à s'enlever la vie par "dépit" et "ennui", etc.», comme lui le fait. (11.01.7)
«C'est plus difficile d'endurer la dépression après avoir pris des médicaments parce que ce qui semblait avoir 25 ans de m' habituer à la dépression et soudain me sentir mieux pour un an environ et soudain en l'espace de quelques mois redevenir comme avant, c'est trop dur, trop vite, trop soudain, c'est dommage que les médicaments ne marchent pas...» (11.01.8)
5. Interprétation de son geste
Comme tout au long de ses 5 ans d'écriture ou de brainstorming, il considère sa mort prochaine comme une démarche vers l'aventure et le mystère (deux termes qu'il traite comme indissociables). Voir l'analyse de ses autres écrits dans «Travail d'écriture de V.», mais il y ajoute une connotation qui annonce un espoir: la lumière. Il nous est permis de reconnaître ici l'au-delà oule monde parallèle de Castenada
«Je m'en vas à l'aventure, le mystère, la lumière.» (11.01.4)