Éternité
L'autre vie est au fond de toutes les idées,
L'idée est un reflux calme d'éternité.
(Hugo)
Simone Weil: “Nous ne pouvons vivre que dans le temps, nous ne pouvons penser que dans l'éternel. ”
Ô Vanité! Cause Première!
Celui qui règne dans les Cieux,
D'une voix qui fut la lumière
Ouvrit l'univers spacieux.
Comme las de son pur spectacle,
Dieu lui-même a rompu l’obstacle
De sa parfaite éternité;
Il se fit Celui qui dissipe
En conséquences, son Principe,
En étoiles, son Unité.
Valéry Ébauche d'un serpent
Qu'est-ce que la beauté d'une chose sinon son fond éternel, ce qui unit son passé à son avenir, ce qui d'elle repose et demeure dans les entrailles de l'éternité ? Ou encore, qu'est-ce, sinon la révélation de sa divinité ?
(Le sentiment tragique de la vie, p.238, Idées/Gallimard no68)
Éternité ! Éternité ! Voilà l'aspiration par excellence ; la soif d'éternité est ce qui s'appelle amour parmi les hommes ; qui aime autrui veut s'éterniser en lui. Ce qui n'est pas éternel n'est pas non plus réel.
(Le sentiment tragique de la vie, p.54, Idées/Gallimard no68)
Quand la douleur et l'épuisement arrivent au point de faire naître dans l'âme le sentiment de la perpétuité, en contemplant cette perpétuité avec acceptation et amour, on est arraché jusqu'à l'éternité.S.W. P etG.
La capacité de chasser une fois pour toutes une pensée est la porte de l'éternité. L'infini dans un instant.
Etoiles et arbres fruitiers en fleurs. La permanence complète et l'extrême fragilité donnent également le sentiment de l'éternité. S.W.
Dès qu'on a un point d'éternité dans l'âme, on n'a rien de plus à lire que de le préserver, car il s'accroît de lui-même, comme une graine. Il faut maintenir autour de lui une grande armée, immobile, et la nourrir de la contemplation des nombres, des rapports fixes et rigoureux.
On nourrit l'invariant qui est dans l'âme par la contemplation de l'invariant qui est dans le corps.
(Recueil : Les fleurs du mal)
Les phares
Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,
Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer,
Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse,
Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer ;
Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,
Où des anges charmants, avec un doux souris
Tout chargé de mystère, apparaissent à l'ombre
Des glaciers et des pins qui ferment leur pays ;
Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,
Et d'un grand crucifix décoré seulement,
Où la prière en pleurs s'exhale des ordures,
Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement ;
Michel-Ange, lieu vague où l'on voit des Hercules
Se mêler à des Christs, et se lever tout droits
Des fantômes puissants qui dans les crépuscules
Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ;
Colères de boxeur, impudences de faune,
Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,
Grand coeur gonflé d'orgueil, homme débile et jaune,
Puget, mélancolique empereur des forçats ;
Watteau, ce carnaval où bien des coeurs illustres,
Comme des papillons, errent en flamboyant,
Décors frais et légers éclairés par des lustres
Qui versent la folie à ce bal tournoyant ;
Goya, cauchemar plein de choses inconnues,
De foetus qu'on fait cuire au milieu des sabbats,
De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues,
Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ;
Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,
Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges
Passent, comme un soupir étouffé de Weber ;
Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C'est pour les coeurs mortels un divin opium !
C'est un cri répété par mille sentinelles,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C'est un phare allumé sur mille citadelles,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !
Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !