Pour une planification en vue de l’assimilation des Canadiens français

Franklin Delano Roosevelt

Pièce fascinante tirée d’une correspondance confidentielle entre les deux chefs de gouvernements des États anglo-saxons de l’Amérique du Nord. Cette connivence, qui permet à Roosevelt de livrer le fond de sa pensée, on pourrait presque la désigner par l’expression « solidarité de race ». Ce qui frappe, de prime abord, dans cette lettre, c’est la candeur avec laquelle sont abordées des questions qui sont au fond fort sérieuses. On comprend mal, toutefois, l’urgence qu’il y aurait à assimiler les Canadiens français puisque, selon les mots mêmes du président américain, ceux-ci seront « d’ici deux générations (…) complètement américanisés ». On retrouve aussi là une certaine manière de faire anglo-saxonne, qui privilégie le secret, la discrétion, sans que les choses ne soient jamais écrites ni surtout rendues publiques. C’était aussi, on le notera, la manière de procéder des autorités de l’université McGill, lors de l’instauration des tristement célèbres quotas relatifs aux étudiants juifs. Il semble que le premier ministre canadien n’ait pas répondu à la missive de son homologue américain. 

Le président Roosevelt (assis), serrant la main au ministre anglais Anthony Eden. A sa droite, debout, le premier ministre canadien Mackenzie King. Photo prise lors de la Conférence de Québec, en août 1943

 

«Lorsque j’étais enfant pendant les années 1890, je voyais beaucoup de Canadiens français qui avaient assez récemment emménagé dans la région de New Bedford (Massachusetts) et près de l’ancienne résidence Delano à Fair Haven. Ils n’avaient vraiment pas l’air à leur place dans ce qui était encore une vieille communauté de la Nouvelle-Angleterre. Ils se regroupaient eux-mêmes dans les villes ouvrières et se mêlaient très peu à leurs voisins. Je me souviens que la vieille génération secouait la tête en disant: ‘Voilà un nouvel élément qui ne s’assimilera jamais. Nous assimilons les Irlandais mais ces gens du Québec ne veulent même pas parler anglais. Leurs corps sont ici mais leurs coeurs et leurs esprits sont au Québec.’

Aujourd’hui, quarante ou cinquante ans plus tard, la souche canadienne-française du Maine, du New Hampshire, du Massachusetts et du Rhode Island commence enfin à s’intégrer dans le melting-pot américain. Ils ne votent plus selon les instructions de leurs églises ou de leurs clubs. Ils épousent des gens de la souche d’origine, l’anglo-saxonne; ce sont de bons et paisibles citoyens et la plupart parlent anglais à la maison.

À vue de nez, je dirais que d’ici deux générations ils seront complètement américanisés et commenceront à essaimer dans les États du Midwest, du Centre et de l’Ouest.

Tout cela m’amène à me demander si le Canada et les États-Unis, tendant ensemble vers un but commun, ne pourraient pas établir une sorte de planification - qui n’aurait pas besoin d’être écrite, ni même rendue publique - qui nous permettrait d’atteindre plus rapidement notre objectif d’assimiler les Canadiens français de la Nouvelle-Angleterre et les Canadiens français du Canada dans l’ensemble de nos sociétés respectives. On peut, bien sûr, procéder de plusieurs façons, selon les circonstances locales. On pourrait peut-être leur faire miroiter de meilleures chances de réussite dans d’autres régions du Canada et des USA, et, en même temps, offrir plus d’occasions aux non-Canadiens de se mêler davantage à l’autre groupe ethnique dans ses propres communautés.

Autrement dit, après presque deux cents ans passés avec vous et après soixante-quinze ans avec nous, il n’y a, semble-t-il, aucune raison valable pour que subsistent de grandes différences entre cette population d’origine canadienne-française et celle des autres souches raciales.»

Extrait d’un lettre du président américain Franklin Delano Roosevelt au premier ministre canadien William L. Mackenzie King, 18 mai 1942. Source : Jean-François Lisée, Dans l’œil de l’aigle. Washington face au Québec, Boréal, 1991, p. 22-23. Traduction proposée par l’auteur. 




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