L'Encyclopédie sur la mort


Yourcenar Marguerite

 

Yourcenar MargueriteEssayiste, dramaturge, romancière et mémorialiste, née à Bruxelles d’une mère belge et d’un père français appartenant à une vieille famille des Flandres qui s’appelait de Crayencour (Yourcenar en est l’anagramme). Elle meurt en 1987 à Mount Desert Island dans l’État du Maine aux États-Unis. Auteur de deux romans historiques qui expriment une quête spirituelle, Mémoires d’Hadrien (1951) et L’œuvre au noir (1968), elle laisse aussi un triptyque familial dont les tableaux sont Souvenirs pieux (1974), Archives du Nord (1977) et Quoi? L’éternité qui, resté inachevé, sera publié à titre posthume dans la nouvelle édition de son œuvre autobiographique Le labyrinthe du monde (1988). Elle a obtenu à l’unanimité le prix Femina en 1968 et a été élue à l’Académie française le 6 mars 1980.

Au sujet du suicide, elle nous a laissé Mishima* ou la vision du vide (Paris, Gallimard, 1980). « Et pourtant le niveau du dégoût et du vide montait, un vide qui n’était pas encore le Vide parfait du jardin de l’abbesse, mais le vide de toute vie, ratée ou réussie ou les deux ensemble » (p. 89) Dans Souvenirs pieux (Paris, Gallimard, « Folio », 1981), elle consacre un chapitre et une longue note à son oncle Remo Pirmez qui s’était tiré une balle dans le cœur à Liège, au son de la musique de Tannhäuser. Elle donne généreusement la parole à son oncle Octave Pirmez qui a écrit un livre sur la vie et la mort de son frère Remo. «Pour Octave, Remo est un martyr*.» Il a connu «le malheur qu’éprouvent toutes les grandes âmes meurtries aux bornes de ce misérable monde. L’indignation et la pitié se sont de bonne heure partagé Rémo» (p. 178). L’étudiant de Weimar et d’Iéna, enthousiaste de Fichte et de Hegel, l’ardent lecteur de Comte, de Proudhon et de Darwin, s’était ressourcé aux philosophies de l’Inde et à la théosophie d’Emmanuel Swedenborg (1688-1772). Il s’était enivré aussi de Schopenhauer*. «Je n’étais plus qu’une pensée vivante, disait-il. Il me semblait que j’étais un voyageur gravissant une montagne. Quand je me retournais, j’apercevais la vaste mer de larmes qu’ont versées tant de malheureux qui ne sont plus» (p. 178). Remo avait fondé en Belgique un journal hebdomadaire «pour défendre la cause du peuple. Ne pas périr sans avoir contribué à la diminution des souffrances humaines. […] Notre âme est assez vaste pour contenir le monde des infortunés, les noirs et les blancs; notre esprit est assez vigilant pour chercher le moyen de leur porter secours» (p. 182). Le jeune idéaliste se rendant compte que ses idées sociales ne sont pas reconnues, il choisit la mort. Regrettant de ne plus avoir l’appui de son frère, il écrit à ce dernier une lettre qui se termine ainsi: «Il est cruel de mourir méconnu» (p. 189). Marguerite prend la parole à la fin du récit juste pour faire quelques commentaires sur le tabou* dont on a entouré cette mort volontaire en la transformant en accident: «Le mot suicide dans son milieu est un mot obscène. […] Où qu’on aille et quoi qu’on fasse, ne se heurte-t-on pas, d’ailleurs, à des vérités qu’il faut taire, ou tout au moins n’insinuer que prudemment et à voix basse, et qu’il serait criminel de ne pas savoir garder pour soi?» (p. 189-190).

L’œuvre au noir (Paris, Gallimard, «Folio», 1976) raconte le destin tragique de Zénon, alchimiste et médecin du seizième siècle à Bruges, homme libre, qui se dresse contre les fanatismes de son temps. Se sachant condamné au bûcher pour ses écrits, il se taillade les poignets en prison: «Son cœur battait à grands coups; une activité violente et désordonnée régnait dans son corps comme dans un pays en déroute, mais où tous les combattants n’ont pas encore mis bas les armes; une sorte d’attendrissement le prenait pour ce corps qui l’avait bien servi, qui aurait pu vivre, à tout prendre, une vingtaine d’années de plus, et qu’il détruisait ainsi sans pouvoir lui expliquer qu’il lui épargnait de la sorte de pires et plus indignes maux» (p. 440-441). André Delvaux a adapté le roman à l’écran en 1988, avec Sami Frey et Gian Maria Volonte comme personnages principaux d’un film grave et austère.

 

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-02

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