Le mot survivre ouvre deux configurations de sens, comme nous l'expose Raymond Lemieux*:
La première configuration, «sans doute, la plus usuelle, désigne la possibilité d'accéder à une autre vie après la mort, une autre vie qui s'appréhende le plus souvent en miroir inversé de la vie normale. Le concept de vie éternelle traduit particulièrement bien cet espace-temps sans limite, sans manque, ni attente, où le désir devient pure béatitude et le bonheur définitif.»
Ce sont les religions qui «prennent généralement en charge cet espace de l'Autre», poursuit Lemieux. Mais quand «on délaisse l'imaginaire religieux traditionnel, comme c'est le cas dans les sociétés sécularisées, d'autres discours prennent la relève pour remplir les mêmes fonctions, tout en utilisant des matériaux différents. La majorité de nos contemporains ne croient plus en Dieu, mais [...] reconnaissent volontiers un ordre cosmique capable de s'imposer au monde, articulant passé, présent et avenir dans un même destin.»
La seconde configuration du mot survivre «signale plutôt l'exigence, faite à chacun de continuer de vivre, ici et maintenant, malgré l'expérience de la mort qui s'impose à sa vie. La distinction est mieux marquée par certains langues, comme l'allemand: überleben, vivre au-delà, fortleben, continuer à vivre. Dans le deuxième cas, il s'agit alors de vivre non pas au-delà des limites de l'existence, après la mort, mais dans l'expérience de ces limites, en assumant les ruptures et la précarité de la vie.»
La distinction entre ces deux configurations paraît très ténue, aux yeux de Lemieux, car «inventer une survie après la mort, [...], à la manière du discours religieux, c'est aussi se donner la possibilité de continuer de vivre, ici-bas et maintenant» et «assumer la mort, cette figure archétype de toutes les limites de l'existence, continuer de vivre en lui faisant face.» Autrement dit, la croyance dans l'accès à une autre vie après la mort alimente notre goût de poursuivre notre vie ici et maintenant.