L'Encyclopédie sur la mort


Senancour Étienne de

Étienne Jean-Baptiste Ignace Pivert de Senancour, le «dernier disciple de Rousseau», naquit à Paris le 16 novembre 1770 et mourut à Saint-Cloud le 10 janvier 1846. Il séjourna de 1789 à 1798 dans le Valais et dans le Vaud, en Suisse, et y retourna jusqu’en 1803. Le 13 septembre 1790, il épousa Marie-Françoise Daguet une Fribourgeoise née à Agy, qui lui donna une fille et deux fils dont le premier mourut sept jours après sa naissance. Il reconnut un troisième fils adultérin. Plus tard, il dira que le jour de son mariage «fut l’un des plus tristes de sa vie». De cet échec* durement éprouvé, on trouve des échos dans son journal intime: Recherche d’un coupable. Sa femme mourra en 1806. Senancour avait alors déjà quitté la Suisse et avait regagné Paris où il était devenu précepteur. Il affectionna son Valois où il se plut à se promener souvent. Il passa sa vieillesse à Saint-Cloud où il reçut les soins de sa fille Eulalie Ursule qui, sous le pseudonyme de Pauline la Sombreuse, écrira un roman en quatre volumes où, à travers un personnage fictif, elle évoque l’image de son père.

Entre 1799 et 1803, tombé sous le charme de la baronne Walckenaer (Mme Dellmar ou Del), qu’il rencontra dans les salons de Paris et qui lui envoya «ce regard si profondément entendu», Senancour écrit Oberman (G. Borgeaud, «L’espace désenchanté de Senancour», dans Oberman, Paris, uge, «10/18», 1965, p. 18), roman épistolaire et autobiographique d’un homme solitaire qui, dans la contemplation de la nature et dans l’écriture, cherche à fuir ses longs ennuis d’exister et qui «ne prétend pas vivre, mais seulement regarder la vie». Car, «la vie réelle de l’homme est en lui-même, celle qu’il reçoit du dehors n’est qu’accidentelle et subordonnée». C’est donc «dans l’indépendance des choses, comme dans le silence des passions, que l’on peut étudier son être» (p. 33-35). Selon H. Mitterand, «les paysages alpestres suscitent en lui un lyrisme de la nature, mais si, psychologiquement, ces mélancoliques ruminations tournent autour d’un mal-être essentiel, ennui* et désir d’anéantissement, elles débouchent sur une certaine spiritualité et un certain souci du collectif. Toutefois, celui-ci reste ambigu: au moment où Oberman réitère ses déclarations d’amour pour ses semblables, il rêve d’une humanité meilleure et redoute la société comme un mal, comme un appauvrissement des aspirations infinies que chacun porte en soi» (Dictionnaire des grandes œuvres de la littérature française, p. 453). Oberman, consacrant plus particulièrement ses lettres XLI et XLII à la question du suicide, se demande: «Quand l’existence est vide, peut-elle satisfaire?» Pourquoi reculer le terme s’il est déjà atteint? En effet, «ma vie n’est déjà plus». On nous dit que c’est un crime de déserter la vie. Or, sous cent prétextes spécieux ou ridicules, les mêmes sophistes qui imposent leur morale à la société entière nous envoient mourir au front ou à l’échafaud. Quand on aime la vie, on nous demande de la mépriser; quand la vie est bonne, on nous dit que c’est une gloire d’y renoncer, quand on l’abhorre, on nous l’impose, et quand on veut la mort, on la défend. À travers le personnage d’Oberman, Senancour s’adresse aux tenants de la morale: opprimez ma vie, si vous voulez, car «la loi est souvent aussi le droit du plus fort, mais la mort est la borne que je veux poser à votre pouvoir» (p. 180). Il admet que l’homme, par souci de la collectivité, doit rester à son poste pour autant qu’il pourra contribuer à l’ordre dans la nature ainsi que dans la société et puiser dans cet effort une certaine satisfaction. «Parmi les hommes, il doit servir les hommes […]. Mais quand le mal qu’il éprouve est plus grand que le bien qu’il opère, il peut tout quitter […]. On lui a donné la vie sans son consentement; s’il était encore forcé de la garder, quelle liberté lui resterait-il?» Bien évidemment, «une mort volontaire doit être réfléchie, mais il en est de même de toutes les actions dont les conséquences ne sont pas bornées à l’instant présent». Cependant, le héros n’a point pris de résolution, mais il aime se répéter: «une ressource infaillible par elle-même, et dont l’idée peut souvent diminuer mon impatience, ne m’est pas interdite» (p. 186-188).
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30