L'Encyclopédie sur la mort


Sectes

Dans les sectes religieuses, l’esprit d’appartenance est intense et l’intégration des membres assurée, de sorte que ceux-ci jouissent d’une certaine sécurité et sont capables de donner un sens à leur vie. Les chefs y détiennent une solide autorité morale et prônent des valeurs qui exercent une forte séduction sur leurs disciples. Par le fait même, le taux de suicide y est relativement bas. Cependant, des nuances s’imposent. La mainmise des chefs sur la communauté peut être si écrasante que les membres perdent leur autonomie* et leur identité. Cette aliénation de leur liberté* peut conduire, dans certains cas, au suicide des personnes les plus vulnérables, pendant ou après leur séjour dans une de ces communautés. Elle est aussi à l’origine de certains suicides collectifs*, comme celui de Jamestown. Roger Ikor, dans Je porte plainte (Paris, Albin Michel, 1981), s’adresse au président de la république française ainsi qu’à tous ses concitoyens et «derrière eux, pareillement, à l’ensemble du monde civilisé tel que les siècles d’effort et de luttes l’ont constitué» (p. 13). L’auteur veut interpeller les autorités de son pays et alerter l’opinion publique face aux suicides des jeunes*, qui se sont «tellement multipliés ces dernières années qu’ils ont pris la forme d’une épidémie, et [sont] en virulente extension» (p. 10). L’événement qui est à l’origine de cette plainte est la tragédie familiale qui a frappé l’auteur en plein cœur de père. En effet, le 30 décembre 1979, son fils cadet est revenu à la maison paternelle pour se pendre. Vincent avait alors vingt et un ans. Qui a tué Vincent? Le père va à la recherche d’un coupable pour la mort de son fils et transforme un suicide en homicide. Il accuse la secte du Zen macrobiotique d’être la meurtrière: «Une secte est venue, elle a posé la main sur son épaule, et elle l’a poussé à la mort. Je dis que sous les apparences d’un suicide, il y a eu assassinat» (p. 36). On trouvera sans doute de bonnes raisons d’ordre psychologique pour comprendre la réaction violente d’Ikor, en processus de deuil* de son fils suicidé. Au point de vue éthique, on ne peut suivre la voie de l’auteur. Pourquoi à tout prix disculper son fils? Pour inculper les sectes de folie meurtrière et la société de complicité? Aussi longtemps que l’on entoure le suicide d’une nécessaire culpabilité* et que l’on qualifie le suicide d’homicide, on ne pourra jamais sortir du cercle vicieux: qui a tué qui? La réponse sera alors inéluctablement: si ce n’est pas la personne suicidée elle-même, alors ce seront les survivants, ce sera la société. On cherchera un bouc émissaire, ici, les sectes. On peut s’étonner de la légèreté avec laquelle Ikor met sur le même pied les religions orientales, l’occultisme, l’écologisme, l’astrologie, le spiritisme, le surréalisme et même la révolte de 1968 qu’il traite de «chinoiseries» et de «nègrerie». Ikor estime tout emprunt aux cultures étrangères comme un discrédit infligé aux valeurs occidentales. Il élève ainsi la mort volontaire de son fils en symbole du suicide culturel de la nation française. Traitant les sectes comme «une maladie surajoutée, ou une complication particulière d’un mal plus général» (p. 97), il les offre en sacrifice propitiatoire dans le but de guérir l’Occident de sa «folie furieuse» (p. 67). La seule fécondité de la plainte d’Ikor est d’avoir démontré la nécessité pour les jeunes d’un imaginaire collectif capable de donner le goût de vivre et confiance dans la vie.

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-17