L'Encyclopédie sur la mort


Présentation générale


«La mort est grande
nous lui appartenons,
bouche riante.
Lorsqu'au cœur de la vie
nous nous croyons
elle ose tout à coup
pleurer en nous.»
(Rilke)

La mort existe, nous l’avons rencontrée ! Effectivement, elle est une réalité incontournable à laquelle chacun est confronté, qu’il s’agisse de la mort de ses proches ou de sa propre mort. Elle est très présente dans les médias. La mort est bavarde! On n'a qu'à regarder le nombre des pages consacrées à la mort de personnalités du domaine public, sportif ou artistique, à la mort des victimes de la route, du crime de la guerre ou de catastrophes naturelles.

Mais on peut aussi bien dire que la mort n'existe pas, car elle n'est rien, elle est vide ou néant, elle est muette. Au lieu de parler de vie et de mort, deux mots abstraits, il est peut-être préférable d'utiliser les verbes vivre et mourir ou s'exprimer en termes de vivants et de mourants. Cependant, les gens meurent autour de nous. Ils meurent tantôt seuls, tantôt en grand nombre. Nous en sommes témoins. C'est un fait indéniable. Et notre tour viendra, nous le savons et cela peut nous effrayer. Il est légitime d'avoir peur de mourir, parce que mourir, c'est aussi souffrir et s'aventurer dans l'inconnu, c'est non seulement cesser de vivre, mais aussi cesser de bien vivre et de bien vivre ensemble. La mort, c'est la fin du monde, c'est la fin de l'éthique pour la personne qui meurt.

L'acte de mourir échappe à notre expérience autant qu'à notre pensée. Elle est impensable et ineffable. De la mort, on ne sait rien et on ne peut rien dire. L'instant mortel appartient au secret du mourant. Ce que celui-ci vit et éprouve juste avant de mourir, ce qui advient de lui - et de nous - après le dernier souffle, après l'expiration ultime, nous l'ignorons. Nous pouvons croire à une vie après celle-ci ou espérer de survivre à notre mort. Mais la foi et l'espoir demeurent un pari, une gageure. Nous n'avons rien à perdre, mais tout à gagner, dirait «un certain Pascal*». Cependant, nous n'avons aucune certitude rationnelle de vivre éternellement.

Depuis les années 60, on assiste à une prolifération des discours sur la mort dans la littérature tant scientifique que populaire. On observe, dans divers milieux du savoir, l’éveil simultané d’une curiosité intellectuelle, accrue et renouvelée, autour de la mort. La mort est devenue un sujet dont on peut et dont on veut de nouveau parler, même s’il est trop tôt pour discerner, dans cet intérêt partagé, des signes évidents d’une redécouverte de la mort ou d’une prise de conscience collective à l'égard de la mort comme étant étroitement liée à la vie. Le déni ou l'évitement de la mort demeure manifeste dans les comportements contemporains. Les femmes et les hommes ont tendance à vivre et à agir comme si la mort ne pouvait pas les atteindre personnellement. Il serait plus sage de leur part d'être conscients des limites ou de la finitude de leur vie. «Philosopher, c'est apprendre à mourir», comme nous a appris Montaigne*. Il n'a pas dit pourtant: «vivre, c'est apprendre à mourir», ni «mourir, c'est apprendre à vivre», comme on lit parfois dans une certaine littérature contemporaine.

Mourir est pourtant un phénomène universel, car il touche tous les vivants. il est aussi un phénomène particulier qui est interprété et vécu différemment selon les cultures et les mentalités, selon les époques et les pays, selon les individus et les circonstances. La mort est non seulement un phénomène collectif, étroitement lié à la survie ou à l’évolution d’une société ou d’une espèce, mais elle est aussi un phénomène planétaire capable de menacer l’avenir de l’humanité tout entière et l’ensemble des autres espèces vivant sur la terre. En même temps, la mort est un phénomène individuel qui accompagne et scelle le destin de chaque être qu’il soit humain, animal ou végétal.

L’Encyclopédie sur la mort veut s'intéresser à ce phénomène sous tous ses multiples aspects et ses diverses modalités. Elle est curieuse de la pensée de la mort qui a habité et hante encore tant d'écrivains, de poètes, d'artistes, de savants, de philosophes et de sages. Elle veut rendre compte des résultats des recherches sur la mort ainsi que de la mentalité générale des populations à l’égard de la mort. Elle s'approchera de la mort avec pudeur et discrétion, consciente du mystère qui l'enveloppe et de la crainte qu'elle inspire. La visée fondamentale, qui parcourt cette entreprise, est de construire une encyclopédie ouverte, ouverte à la pluralité des perceptions et des réceptions de la mort selon les époques et les cultures, ouverte aux problématiques anciennes et aux enjeux contemporains, ouverte à la tradition et à la nouveauté, ouverte à des collaborations de chercheurs et d’intervenants en termes d’information et d’interrogation, d’apport théorique ou expérientiel. Ainsi, cette encyclopédie demeurera une œuvre toujours en chantier, toujours réformable.

Deux grandes parties la composent, la première étant consacrée à l’étude de la mort en tant que phénomène universel et particulier, en tant qu’expérience personnelle qui interpelle chacun dans ses choix et ses attitudes, en tant qu’expérience sociale qui provoque les mentalités collectives et qui stimule leur évolution à travers des manifestations créatrices. Elle traitera aussi des diverses modalités du bien mourir et des pratiques de la mort violente. La seconde partie concernera la mort volontaire, l’histoire des idées et des pratiques suicidaires, la prégnance de son actualité, ses enracinements psychiques et culturels ainsi que ses répercussions sociales. Nous accorderons une place importante à la personne suicidaire, ses raisons, ses mobiles, ses désirs, son environnement particulier, sa santé physique et mentale, son histoire personnelle et sa perception de la vie et de la mort, sa conception et sa pratique de la liberté. Les deux composantes de l’encyclopédie introduiront progressivement des pages de la philosophie, de l'anthropologie, de la littérature, de la poésie et des arts, car la mort est fondatrice de culture et de création, d'esthétique et d'éthique, de pensée et de parole.

Éric Volant

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-12