Phèdre est la fille de Minos, roi de Crète, et de Pasiphaé. Thésée a abandonné son épouse Ariane, fille aînée de Minos, pour Phèdre, soeur cadette de celle-ci, lors de la guerre contre les Amazones. Or, Phèdre tomba amoureuse d'Hippolyte, fils de Thésée et d'Antiope, reine des Amazones. Mais n'osant pas révéler sa passion pour son beau-fils, elle se confia à sa nourrice qui la convainquit d'envoyer une lettre à Hippolyte dans laquelle elle lui avouait son amour et lui racontait les aventures de son père qui avait abandonné sa sœur, et sans doute avait tué sa mère. Puis elle l'invitait à une chasse. Cependant, Hippolyte repoussa les avances de Phèdre qui, se voyant délaissée, accusa son beau-fils d'avoir cherché à la violer et se pendit en prenant soin de laisser une lettre pour son mari. Thésée, croyant à cette calomnie de son épouse, lança des imprécations terribles contre son fils et demanda à Poséidon de faire périr Hippolyte. Le jour même, alors que le jeune homme conduisait son char le long de la côte, Poséidon envoya un énorme chien de mer ou un gigantesque taureau blanc, qui effraya les chevaux, et son char se fracassa contre les rochers. Mortellement blessé, Hippolyte fut ramené à son père, qui avait appris entre-temps d'Artémis que son fils était innocent. Hippolyte mourant et son père se réconcilièrent.
«Phèdre et Hippolyte»: http://mythologica.fr/grec/phedre.htm
L'Hippolyte d'Euripide et le sentiment de la honte
Nous nous laissons guidés par la pensée du philosophe Britannique Bernard Williams et par son analyse de la tragédie euripidienne où il distingue entre deux sentiments de honte distincts, la peur de perdre l'image intérieure de son intégrité aux yeux de lui-même et en fonction des attentes que son père a investies en lui (Hippolyte) et la peur de perdre sa réputation publique ou extérieure, sa réputation aux yeux des autres (Phèdre). L'hétéronomie de Phèdre consiste dans sa peur de ce que les autres pensent d'elle. Celle de Hippolyte, par contre, réside dans la crainte de ne pas répondre aux attentes que lui-même et les autres ont fondées en lui et qui font partie intégrante de son âme et de sa conscience. Dans la langage psychologique contemporain, on parlerait de «souffrance éthique».
«À la fin du V° siècle, les Grecs faisaient eux-mêmes une distinction entre la honte qui ressortissait simplement à l'opinion publique et la honte qui exprimait une conviction personnelle et intime. Dans l'Hippolyte d'Euripide, une telle distinction n'est pas seulement exprimée, elle joue un rôle complexe et subtil dans la structuration de l'action (1). Phèdre se détruit et détruit ceux qui l'entourent dans sa détermination à s'assurer une bonne réputation, franche et incontestée. Hippolyte, accusé de crimes qu'il n'a pas commis, tombe dans un tel désespoir, lorsqu'il voit que sa pureté n'est pas comprise ni admise, qu'au moment crucial de sa tentative de justification son souhait serait d'être son propre auditoire (2). Il a invoqué les murs de sa maison comme témoins de son innocence; Thésée lui réplique sévèrement qu'il a beau jeu de citer comme témoins des objets muets. Et Hippolyte de répondre :
Oh! Puissé-je comparaître devant moi-même et pleurer sur les malheurs qui m'accablent.
À quoi Thésée [son père] réplique:
Tu as toujours été plus enclin à t'admirer toi-même qu'à traiter tes parents avec les égards qui leur sont dus.
Le souhait d'Hippolyte n'est pas seulement extraordinaire en lui-même; il déplace encore l'accent, comme la réplique de Thésée le souligne, d'un type d'intériorité à un autre. Hippolyte s'est heurté au fait que son père ne croit pas qu'il est innocent d'un acte que lui-même et tout autre considéreraient comme impardonnable. Dans le souhait qu'il formule, il n'en appelle pas à lui-même pour être son propre témoin: ce serait aussi efficace que de prendre les murs à témoin, fût-ce pour une raison diamétralement opposée: rien de solide, tout dans la parole. Il veut parler non pas pour défendre Hippolyte mais au nom d'Hippolyte, son seul garant, et cela déplace l'accent, pour focaliser l'attention non sur ce qu'il sait de sa conduite - la fausseté de l'accusation de Phèdre - mais sur son caractère vertueux, son intégrité d'homme de pureté et d'honneur. Le vœu tout à fait narcissique qui l'exprime conduit Thésée à l'accusation dépréciative que la vertu d'Hippolyte a toujours été égocentrique. Sebein, « vénérer ou honorer» est le verbe qu'il utilise pour caractériser l'attitude d'Hippolyte envers lui-même: pour lui, Hippolyte révère son âme comme un lieu sacré, protégé de la nécessité de s'intéresser aux autres.
Cela fournit un contraste avec l'erreur de Phèdre, mais celui-ci n'est pas simple. Elle était obsédée d'elle-même et Hippolyte l'est aussi. Dans le cas de Phèdre, l'obsession prenait la forme de la honte* classique, du souci primordial de sa réputation. Ce souci concerne sa personne, mais il est reconnaissance, d'une certaine façon, de l'existence des autres. Si, comme le dit Phèdre elle-même, ce genre de honte peut détruire sa maison*, c'est parce qu'elle-même est exclusivement dépendante de ce que les autres pensent ou disent. Le souci d'Hippolyte, au contraire, écarte complètement l'autre; en se considérant lui-même comme un lieu vierge, il s'est entièrement dégagé de l'humanité, de ses opinions comme de ses exigences.
L' Hippolyte d'Euripide crée un espace dans lequel les aspects centripètes et les aspects centrifuges de l'aidôs peuvent s'opposer en divers contrastes. La vision qu'Hippolyte a de lui-même, dans sa confrontation avec Thésée, représente la vérité sur ce qu'il a fait et qui s'oppose à ce que les autres pensent de lui à tort: jusque-là «l'intérieur» s'oppose à «l'extérieur» comme la réalité s'oppose à l'apparence. La critique que Thésée adresse, toutefois, à Hippolyte et à sa vertu personnelle d'autoprotection et de pureté, assimile l'«intérieur» à une idolâtrie du moi en l'opposant à un intérêt sain pour les autres. Chez Phèdre aussi, les relations entre le public et le privé ont quelque chose de vicié, mais dans un sens différent: elle se soucie des autres, mais elle est dominée par la peur - la peur que le privé ne devienne public, et que ce qu'elle est vraiment n'apparaisse dans sa réalité. Charles Segal a eu raison de dire que la pièce mettait en opposition «l'intérieur et l'extérieur, le domaine du privé et celui du public», «la honte» et la «réputation» (3). Ces trois couples antithétiques ne renvoient pas à la même opposition: en fait chacun d'eux peut servir à signifier plus qu'une des oppositions qui sont en jeu.»
(B, Williams, La honte et la nécessité, Paris, PUF, 1997, p. 131-134)
Notes
1. L'expression directe se trouve aux vers 373 et suivants. Le passage présente diverses obscurités, et les commentateurs se sont demandé quelles différences il introduisait, le cas échéant, entre divers sens d'aidôs. Je présente les difficultés et choisis l'interprétation que j'utilise ici dans l'annexe Il, p. 229. L'expression synthétique des relations que Phèdre entretient avec la honte et le souci de sa réputation est formulée par le chœur lorsqu'il a le pressentiment de son suicide (772-775): «Honteuse de son affreux destin, elle aimera mieux sauver sa gloire et se délivrer de l'amour qui lui torture le cœur.» [...] Phèdre substitue à sa réputation quelque chose (ou du moins essaie-t-elle de le faire), à savoir la vie qu'elle a menée et qu'elle voudrait continuer à mener avec sa passion. Tel est son démon, daimona et [...] signifie qu'elle en a honte.
2. Hipp. 1074 sq.
3.Shame and Purity in Euripides' Hippolytus, Hermes 98 (1970), p. 287. Segal suit R. P. Winnington-Ingram, Hippolytus : A Study in Causation, in Euripide : Entretiens sur l'Antiquité classique, vol. 6, p. 185, lorsqu'il établit un parallèle entre la situation d'Hippolyte et la description que Platon* fait de l'homme juste incompris [...]. Il est difficile de mesurer exactement la justesse du parallèle parce qu'on ne nous dit pas exactement en quoi l'homme juste de Platon est incompris. (Et la référence à Eschyle n'est d'aucun secours, voir n. 1, p. 135.) Mais les échos du procès de Socrate* et la pertinence de l'exemple suggèrent certainement que cet homme a une conception de la justice qui n'est pas conventionnelle : il «passe pour» injuste parce que les autres se trompent en faisant du caractère qu'il a vraiment un caractère injuste, et non parce qu'ils pensent à tort que ses actes sont injustes d'après des critères qu'ils auraient en commun avec lui. S'il en est bien ainsi, l'opposition entre apparence et réalité ne coïncide pas exactement avec l'un quelconque des contrastes qui apparaissent dans Hippolyte,
Arts et Lettres
Phèdre est une tragédie en cinq actes (comportant respectivement 5, 6, 6, 6 et 7 scènes) et en vers (1 654 alexandrins) de Jean Racine représentée, pour une première fois, le 1er janvier 1677 à l’Hôtel de Bourgogne.
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“Phèdre et Hippolyte,” par Pierre-Narcisse Guérin, 1802, au Louvre, Paris
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