La littérature actuelle, qui dresse ses combats contre l'acharnement thérapeutique et s'exprime en faveur soit de l'euthanasie soit des soins palliatifs* ou de la cessation de traitements thérapeutiques, jugés non pertinents, réclame le droit à une «mort douce». Par «mort douce», on entend une mort sans douleur. La sensibilité contemporaine générale, exacerbée par les images de la mort violente, exhibées dans les médias, se prononce en faveur d'une mort non violente et paisible, douce et sereine. Les individus expriment leur droit et le droit de leurs proches à une mort digne, ce qui veut dire libre. Et cette liberté évoque l'image d'un corps libéré de la douleur et de l'humiliation, un corps non défiguré et non violenté.
Ainsi aux Pays-Bas, les partisans de la décriminalisation de l'aide au suicide* exigent que soit reconnue l'utilisation de moyens* pharmaceutiques - considérés comme doux - prescrits par le médecin à des personnes qui ont décidé librement de mettre fin à leurs jours. Ils ont l'espoir de diminuer le taux élevé de suicides accomplis de manière violente, par exemple au moyen d'un fusil, d'un couteau, ou en se jetant au passage d'une rame dans le métro, etc. Ces morts sont non seulement affreuses pour les suicidaires, mais également traumatisantes pour les témoins oculaires et les proches.
Le modèle social de la «bonne mort» n'évoque presque plus aujourd'hui l'image du chrétien qui meurt en paix avec Dieu et réconforté par les derniers sacrements. La représentation collective, actuellement dominante, de la «bonne mort» est celle d'une mort non violente. Et, dans le monde des soins de santé, on entend, par cette «bonne mort»: la fin de la vie d'une personne, gravement malade qui, libérée de tout le soutien médical à la fine pointe des développements de la technologie, ne souffre plus ou très peu, réussit à protéger sa dignité et, si possible, une certaine autonomie* en mourant paisiblement.
Déjà Francis Bacon (1561-1626) dans son Novum Organum estimait «que c'est la fonction du médecin de rendre la santé et d'adoucir les peines et les douleurs, et non seulement lorsque cet adoucissement peut conduire à la guérison, mais lorsqu'il peut servir à procurer une mort calme et douce» On attribue d'ailleurs la paternité du terme «euthanasie» à Bacon, qui le choisit pour définir la «mort calme et douce» en opposition avec les pratiques existant en son temps où «les médecins se faisaient une sorte de scrupule et de religion de tourmenter le malade alors que la maladie était sans espoir».
C'est contre une médecine instrumentalisée à l'extrême que l'on revendique aujourd'hui le droit à une mort «naturelle»*. Celle-ci est présentée comme le contraire d'une mort «artificielle» survenant à la suite d'interventions techno-médicales dont on estime qu'elles violentent la personne du malade non seulement sur les plans physique et psychique, mais aussi sur le plan de l'esthétique. Pourquoi pas donner à son corps, à ses sens, à ses goûts et à son esprit les possibilités de jouir de sa fin de vie, de la beauté et de la joie qu'elle peut nous encore offrir?
Dans l'argumentation en faveur d'une mort douce, l'esthétique de la mort fait de plus en plus son apparition contre les laideurs d'un corps mutilé et déshumanisé par des interventions aussi vaines qu'acharnées d'une médecine plus préoccupée de la recherche que du bien de la personne malade ou mourante. Ces essais sont légitimés dans la mesure qu'elle ne visent pas uniquement et avant tout des résultats scientifiques, mais sont directement orientés vers la guérison ou le bien-être physique et mental du patient. On observe d'ailleurs aujourd'hui un accroissement du souci de la médecine du consentement des malades ou de leurs familles, consentement libre et éclairée, ce qui suppose aussi des informations exactes sur des effets secondaires de ces interventions ainsi sur l'inconfort qu'elles amènent. Il faut aussi qu'un moment donné ces essais s'arrêtent afin de ne pas prolonger une vie indéfiniment, lorsqu'elle a perdu sa qualité de signification pour le mourant lui-même.
Cependant, les revendications d'une mort douce ne doivent pas faire oublier la laideur immanente de la mort ni la violence qui caractérise toute mort . La quête d'une mort douce prend parfois des allures de déni ou d'un refus de la mort en tant que mort, lorsqu'elle tente d'évacuer la gravité de ces instants qui sont les derniers où la qualité de la vie est fort réduite, où l'esprit perd parfois sa clarté ou sa lucidité, le sens aigu des choses, où l'on se rend compte de la dégénérescence d'un corps, promis à la pourriture et aux cendres, à la terre ou au feu. Ce qui demeure vrai aussi pour ceux qui croient à une vie posthume. Le mourir n'est pas une sinécure, même si l'on fait légitimement tout pour que nos sens et notre esprit goûtent ses dernières heures comme nôtres.
Une mort douce est le titre d'un livre de Simone de Beauvoir (Paris, Gallimard, «Folio»,1987), récit émouvant de la mort de sa mère. L'auteur y raconte les étapes de la fin de vie de sa mère avec des fréquents retours sur le passé de sa mère et sur ses relations avec elle. Elle y livre ses propres réflexions sur la mort lente de sa mère et sur la mort en général. La mort de sa mère ne fut pas une mort douce ni pour elle-même ni pour ses deux filles, contrairement à ce que le pensait l'infirmière de service. Pour Simone de Beauvoir, «mort douce» s'oppose à «mort violente», «mort naturelle» à «mort accident». Ainsi termine-t-elle son ouvrage: «Savoir ma mère vouée par son âge à une fin prochaine n'a pas atténué l'horrible surprise: elle avait un sarcome. Un cancer, une embolie, une congestion pulmonaire: c'est aussi brutal et imprévu que l'arrêt d'un moteur en plein ciel. Ma mère encourageait à l'optimisme lorsque, percluse, moribonde, elle affirmait le prix infini de chaque instant; mais aussi son vain acharnement déchirait le rideau rassurant de la banalité quotidienne. Il n'y a pas de mort naturelle: rien de ce qui arrive à l'homme n'est jamais naturel puisque sa présence met le monde en question. Tous les hommes sont mortels: mais pour chaque homme sa mort est un accident et, même s'il la connaît et y consent, une mort indue.» (p.151-152) Voir dans la présente Encyclopédie sur la mort le document: « La mort de ma mère».