«L'Intrus, récit autobiographique du philosophe Jean-Luc Nancy, est l'un de ces rares livres, juste au bord du précipice et de l'indicible, qui laissent totalement pantois, désemparé. Neuf ans après, le philosophe revient.
Mourir à 50 ans, n'avait rien de scandaleux voilà quelques dizaines de décennies, alors qu'à présent cela paraît injuste. Vivre avec le cœur d'une personne décédée («sans limites sexuelles et ethniques», tient à préciser le philosophe pour contrer toute théorie raciale) signifie «une possibilité d'un réseau où la vie/mort est partagée, où la vie se connecte avec la mort où l'incommunicable communique.» Si celui qui a donné son cœur - «Et nul peut douter que ce don (d'organes) soit devenu une obligation élémentaire de l'humanité… » - , ne se manifeste plus par sa pensée, sa présence, elle, est bien réelle, douloureusement réelle, puisque le corps la rejette. La description des thérapies et des effets (peut-on les appeler secondaires ? ) est terrible : pour éviter le rejet, il faut prendre ce que biologistes et médecins nomment «l'anti-humain» («cela se fait avec une immunoglobuline issue du lapin»). Il s'agit ni plus ni moins que de tuer sa «propre» résistance, son identité immunitaire pour tolérer l'organe étranger. [...]
A la fin de quarante pages troublantes, Jean-Luc Nancy met son expérience en perspective: «Je vis parce que j'ai rencontré un certain état des techniques. Pourquoi on prolonge la vie ? Pourquoi augmente-t-on la vitesse de circulation de l'information avec l'informatique ? Pourquoi la mondialité ? Etc. On peut se poser des questions sur le clonage humain, mais c'est l'homme qui a rendu tout cela possible, et, à travers l'homme, la nature. Si la technique, sortie de la nature, se retourne sur la nature pour la transformer et risque même de la détruire complètement, elle peut aussi produire une autre nature, un autre état des choses de la nature. Tout cela est porteur des chances et d'interrogations qui sont au cœur de la philosophie. Mais l'homme saura-t-il user au mieux de sa création et de ses créatures...»
(Marie Gauthier, « Un blanc à la place du coeur», Mars 2000) http://www.inventaire-invention.com/lectures/gauthier_nancy.htm
Claire Denis a créé un film inspiré par le livre de Jean-Luc Nancy, L'Intrus, éd. Galilée, «Lignes fictives», 2000 et qui porte le même titre. Jean-Luc Nancy a écrit une interprétation très remarquable de ce film. Voir dans l'Encyclopédie sur la mort l'article «L'Intrus (film)».
Au sujet des ouvrages de Jean-Luc Nancy, consulter:
Georges Leroux et Ginette Michaud, «Jean-Luc Nancy, à bords perdus», Spirale, n° 204, septembre-octobre 2005
http://www.spiralemagazine.com/parutions/204/textes/dossier_intro.html
On Jean-Luc Nancy. The Sense of Philosophy, publié sous la direction de Darren Sheppard, Simon Sparks et Colin Thomas, New York et Londres, Routledge, « Warwick Studies in European Philosophy », 1997.
B.C. Hutchens, Jean-Luc Nancy and the Future of Philosophy, Montréal et Buck, McGill-Queens University Press et Acumen Publishing, 2005.
Derrida, Jacques. Le toucher, Jean-Luc Nancy. Accompagné de travaux de lecture de Simon Hantar et avec un prière d'insérer de 4 pages. Paris, Galilée, 2000, 362 p.
Jean-Luc Nancy, Le regard du portrait, Paris, Galilée, 2000 , 96 p.