L'Encyclopédie sur la mort


La Terre des hommes rouges

Film italo-brésilien de Marco Bechis, «La Terra degli uomini rossi», 2008
Avec Abrisio da Silva Pedro, Ambrosio Vilhalva, Claudio Santamaria, Chiara Caselli.
(1 h 46.)

Synopsis
La région du Mato Grosso au Brésil, de nos jours. Après le suicide de l'un des siens, Nadio, chef d’une tribu Guarani-Kaiowa, décide de dresser un campement sur les terres des Blancs. Pour lui, comme pour le chaman, il s’agit de réparer une terrible injustice : récupérer les terres dont ils ont été spoliés autrefois...

Malgré les menaces et les intimidations des propriétaires terriens, les Indiens décident de rester sur place pour reprendre leurs droits, coûte que coûte. Désormais, deux mondes se font face, sans jamais cesser de s’observer. Alors qu’une idylle se noue entre la fille d’un riche fermier et Osvaldo, le disciple du chaman, l’hostilité des Blancs monte d’un cran.
L’affrontement semble inévitable...

Avis du quotidien Le Monde
Au bord d'un fleuve où glisse une barque emplie de touristes apparaît un groupe d'Indiens, masqués par un bosquet. Ils sont quasi nus, maquillés, apparemment stupéfaits de cette intrusion sur leur territoire. Ils lancent mollement une flèche qui tombe à l'eau. La scène suivante les montre ôtant leurs déguisements et percevant leur salaire de figurants, avant de s'en retourner dans la réserve où ils sont parqués.

Beaucoup de choses sont dites dès cette première scène : l'obligation, pour ces Indiens de la tribu kaiowa du Brésil, de mimer ce qu'ils furent, jusqu'à la caricature. De leur identité, leur image, il ne leur reste plus que cette dérisoire mise en spectacle, une mascarade comme symptôme de ce que le monde attend d'eux, à l'issue de laquelle ils n'ont plus qu'à revêtir le jean et le tee-shirt des inféodés à la société de consommation.

Birdwatchers, le titre original du film de Marco Bechis, donne une autre clé de lecture à ce qui n'est ni fiction ni documentaire : une histoire jouée par d'authentiques Guarani du Brésil, étayée par des faits vrais, par une enquête sur les humiliations subies, la spoliation de leurs terres par les fermiers blancs et la dissipation de leur culture.

Ce titre ironique, Birdwatchers - ceux qui observent les oiseaux - désigne aussi bien les touristes guettant le pittoresque d'un indigène local que les indigènes eux-mêmes, qui ont tant perdu de leurs coutumes dans une forêt dévastée qu'ils savent à peine chasser... sinon le propriétaire, cet oiseau impérialiste.

La chasse la plus pratiquée et la plus efficace, ici, est d'ordre sexuel, c'est celle des garçons lorgnant les filles. D'un côté, un flirt indigne aux yeux des Blancs : l'idylle entre l'adolescent indien et la fille à la Vespa, fille d'un riche fermier. De l'autre, un rapport de force entre prédateur raciste et sauvage affamé : l'acte de luxure qu'un fermier ivre veut imposer à une Indienne qui le traite d'«homme à la belle queue», et qui en profite pour lui dérober son revolver. Ainsi les étreintes se font-elles dorénavant entre occupants et occupés, et sans procréation. C'est la fin des Guarani qui n'ont plus rien à transmettre, et plus personne à initier.

Marco Bechis tourne délibérément le dos aux films ayant déjà montré ces Indiens du Mato Grosso, avec vedettes hollywoodiennes : Fitzcarraldo de Werner Herzog, La Mission de Roland Joffé, Le Nouveau Monde de Terence Malick. Plutôt que de faire de l'explorateur blanc la figure centrale du récit, il peint la révolte de cette tribu qui, contestant la légalité des possessions agricoles, viole les terres qui lui furent volées, dresse un campement hors du périmètre qui lui est dévolu et impose l'intervention du chaman.

La mort qui guette ces Indiens assiégés et brimés est d'autant plus rapide que nombre d'entre eux (les jeunes surtout) se suicident pour échapper à leur souffrance d'ici-bas et revivre ailleurs, dans une autre dimension. Ils croient aux esprits, aux présences maléfiques, à l'éternité de leur âme. Mais ils sont alors maudits par les survivants pour lesquels ils ont déserté, abandonné le combat collectif. La tribu s'éloigne au plus vite des cadavres des pendus, ensevelis avec leur téléphone portable et leurs chaussures de sport, ces fétiches de la société ennemie, signes de leur trahison.

La musique de ce film qui se termine par un cri de fauve est l'ingrédient qui transcende ces strophes de rébellion. Elle est due à Domenico Zipoli, un missionnaire de l'ordre des jésuites mort en 1726. Baroque, majestueuse, tempête de choeurs, elle octroie une dimension mystique.

Jean-Luc Douin, «Au coeur de la révolte des Indiens Kaiowa»
Le Monde 16.12.08 <http://www.lemonde.fr/cinema/article/2008/12/16/
la-terre-des-hommes-rouges-la-revolte-des-indiens-kaiowa_1131769_3476.html
>

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30