L'Encyclopédie sur la mort


Joffé Adolf

Joffé AdolpheVétéran du mouvement ouvrier russe, né à Simferopol le 10 octobre 1883 et psychanalysé par Alfred Adler*, ami personnel de Léon Trotski et membre de l’organisation bolchevique avant la révolution d’octobre 1917. Après la prise du pouvoir communiste, il occupe des postes de diplomate en Allemagne et en Chine. Miné par la maladie, il se tire une balle dans la tête en 1927, en donnant à son geste un caractère de protestation politique dirigée contre le régime stalinien. La nuit qui précède son suicide, il destine à Trotski une longue lettre d’adieu* dont voici des extraits:

«Cher Léon Davidovitch. Toute ma vie, j’ai été d’avis qu’un homme politique devait comprendre lorsque le moment était venu de s’en aller ainsi qu’un acteur quitte la scène et qu’il vaut mieux pour lui de s’en aller trop tôt que trop tard. Pendant plus de trente ans, j’ai admis que la vie humaine n’a de signification qu’aussi longtemps et dans la mesure où elle est au service de quelque chose d’infini. Pour nous l’humanité est cet infini. Tout le reste est fini, et travailler pour le reste n’a pas de sens. […] C’est dans cette conception que j’ai, jour après jour, placé le sens de la vie. Et quand je regarde aujourd’hui mon passé, les vingt-sept années que j’ai passé dans les rangs de notre parti, je crois pouvoir dire avec raison que, tout au long de ma vie consciente, je suis resté fidèle à cette philosophie […]. Mais il me semble maintenant que le temps est venu où ma vie perd son sens, et c’est pourquoi je me sens le devoir d’y mettre fin. Depuis plusieurs années, les dirigeants actuels de notre parti, fidèles à leur orientation de ne donner aux membres de l’opposition aucun travail, ne m’ont permis aucune activité, ni en politique, ni dans le travail soviétique, qui corresponde à mes aptitudes. […] Ma santé n’a pas cessé d’empirer […]. C’est pourquoi il est temps de mettre fin à ma vie […]. Si j’étais en bonne santé, je trouverais bien la force et l’énergie de combattre contre la situation existant dans le parti; mais, dans mon état présent, je ne puis supporter un état de fait dans lequel le parti tolère en silence votre exclusion […]. En ce sens, ma mort est une protestation contre ceux qui ont conduit le parti si loin qu’il ne peut même pas réagir contre une telle honte» (citée dans J. Baechler, Les suicides, p. 152).

Baechler* classe cette mort volontaire parmi les suicides escapistes de deuil*. En effet, comme la lettre l’indique, l’intention suicidaire est née de la perte du sens de la vie. Cette perte trouve son origine dans de multiples pertes: celle de son travail, celle de sa santé physique et de sa force morale, de même que celle de la confiance des dirigeants du parti en ses aptitudes, car ceux-ci ne lui offrent plus de poste. Sans oublier la perte de sa confiance personnelle dans le parti qu’il estime avoir perdu sa signification première qui est celle d’être au service de l’humanité.

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Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-15