Ayant quitté leur pays et leur culture, les immigrants sont considérés comme vulnérables au suicide à cause des difficultés liées à leur accessibilité aux institutions et à la culture de leur pays d’accueil. La langue et la mentalité peuvent constituer un handicap important, surtout pour la première génération. La population locale ne parvient pas toujours à se prémunir contre certains préjugés face à l’«étranger» qui peut paraître menaçant pour l’ordre social à cause de ses comportements énigmatiques et mal interprétés. «Voleur de jobs», il devient «voleur» ou «criminel» tout court. À une époque moins ouverte à l’immigration ou dans des pays comme l’Angleterre, où le départ constituait une perte pour la nation, la mort volontaire a été comparée à l’émigration. Ainsi Cesare Beccaria (1738-1794) soutient que celui qui se tue fait moins de tort à la société que celui qui quitte sa patrie pour toujours. En effet, le premier laisse sa propriété derrière lui, tandis que le second amène avec lui une bonne part de ses biens (Des délits et des peines, Paris, Garnier-Flammarion, 1991, p. 147). Thomas Szasz se sert de l’argument de l’émigration contre l’invasion psychiatrique et clinique dans la prévention* du suicide. À l’instar de l’émigration, la mort volontaire est une recherche de bonheur et de liberté: l’émigrant et la personne suicidaire veulent partir pour un ailleurs plus salutaire. Le premier cherche à quitter sa patrie pour s’établir dans un autre pays, le second désire quitter la vie pour entrer dans la mort, considérée ici comme un changement pour le mieux ou une libération («The Ethics of Suicide», The Antioch Review, no 31, 1971, p. 7-17). Le deuil de ses origines, le trauma du départ et de l’arrivée, l’apprentissage d’une autre langue, le dépaysement et un sentiment d’exil forment dans leur accumulation un potentiel explosif de crise suicidaire. Cependant, l’entrée dans une communauté culturelle déjà bien établie et proclamant les valeurs traditionnelles du pays d’origine permet aux immigrants de s’inscrire progressivement dans un espace nouveau dans la mesure où cette communauté ne se referme pas sur elle-même et où la communauté d’accueil leur donne des moyens d’explorer les divers lieux de sa propre culture (géographie, histoire, littérature, économie, droit). Il est important que le sujet migrant puisse, avec son intelligence et sa sensibilité, se créer un espace de manière à se situer en un lieu-dit, à se choisir et à nommer un « chez-soi », à être capable d’habiter. « L’habitabilité psychique est ce qui permet de transformer l’espace cartographié en lieux-dits». Elle est «la dimension vitale d’une relation singulière avec le monde sensible» (Simon Harel (Les passages obligés de l’écriture migrante, Montréal, «Théorie et Littérature», 2005, p. 55 et 225).
Cependant, «Les immigrants, aussi bien de sexe masculin que féminin, sont moins susceptibles de se suicider que les personnes nées au Canada*. En outre, bien qu’une proportion plus forte d’hommes que de femmes se donnent la mort, l’écart est plus faible chez les immigrants. […] Les immigrants établis à Toronto, à Montréal ou à Vancouver semblent bénéficier d’une « protection » supplémentaire contre le suicide. Outre l’éventuel effet de sélection, l’environnement dans lequel s’établissent les immigrants pourrait donc influer sur leur taux de suicide. Il se pourrait que l’intégration sociale des nouveaux venus soit meilleure dans les régions où il existe de grandes collectivités d’immigrants. (Éric Caron Malenfant, "Le suicide chez les immigrants au Canada", Rapports sur la santé, vol. 15, no 2, mars 2004, p. 13).