Muriel Guilbault né le 18 février 1922 à Duck Lake, Saskatchewan et décédé le 3 janvier 1952. Actrice montréalaise, originaire de la Saskatchewan et cosignataire du Refus global avec Paul-Émile Borduas, son amant Claude Gauvreau* et plusieurs autres. Gratien Gélinas a créé pour elle le rôle de Marie-Ange dans Tit Coq (1948). Elle a joué dans Huis clos de Jean-Paul Sartre au Gesù de Montréal. Le philosophe français a voulu l’emmener avec lui en France. En 1947, Claude et Muriel apparurent ensemble dans Bien-être, pièce écrite par lui pour elle. «Muriel était une bonne fille originaire de l’Ouest qui avait du feu au théâtre, du talent et de l’ambition, qui, s’étant imposée, ne chercha guère à se maintenir un peu comme sa sœur qui a pris sa succession d’une manière si imprévue, faisant l’admiration de tous, comme si les Guilbault de cette souche-là avaient le théâtre dans le sang. Elles restaient des natures et cela leur nuisit, car, après avoir triomphé sur la scène, elles voulurent continuer dans la vie et c’est là que Claude attendait Muriel» (J. Ferron, Du fond de mon arrière-cuisine, Montréal, Éditions du Jour, 1973, p. 263). Cependant, dans son roman clé Beauté baroque, Claude décrit l’état de dépression* dans laquelle Muriel se trouva avant la levée du rideau: «Sortir de la maison, marcher sur le trottoir, s’approcher de la ruelle où le studio se tapit. Étapes terrifiantes, excitantes, angoissantes. […] Devant la porte du studio. Elle hésite; elle est la femme la plus courageuse du monde, et elle ne parvient pas à se décider. Il faut que j’entre avec elle. Certains soirs, afin d’enregistrer un progrès, elle veut se dispenser de ma présence, se rendre seule au studio. [Mais] elle ne parvient pas à quitter seulement sa demeure. À la dernière minute, elle crie au secours: Viens avec moi!» (Montréal, L’Hexagone, 1992, p. 124).
Aux yeux de Claude, Muriel est la cristallisation de l’idéal féminin inspiré par le surréalisme: «La vie de cette femme essentiellement surréaliste est marquée de tragédies personnelles intenses […]Chez elle, oui, vraiment, il y a beaucoup de la Nadja de Breton […] Je fus celui qui l’initia au surréalisme. Elle reconnut immédiatement en elle des échos familiers — le surréalisme, sans rien connaître du mouvement historique, elle l’avait toujours vécu dans sa vie privée. En même temps un prodigieux roman s’éveille en moi» (Lettre du 2 mai 1950 à Jean-Isidore Cleuffeu, cité par J. Marchand, Claude Gauvreau, poète et mythocrate, Montréal, VLB, 1979, p. 264). Cependant, «l’ange diaphane» tente de résister aux contraintes de l’adoration où Claude l’enfermait, lui, qui se considérait «chevalier des temps sauvages, bête de l’amour, centaure indomptable, le chien loyal». Elle lui dit: «Tu m’idéalises: en réalité, je suis une pauvre fille. Je ne peux pas répondre à tes attentes»; «Je ne peux plus me sentir déloyale. Sois, mon ami, ne sois plus mon amant» (J. Ferron, Du fond de mon arrière-cuisine, p. 263)
Au-delà de cet «amour fou» dont elle se sent prisonnière, Muriel vit un autre drame qui touche plus profondément son identité féminine: sa stérilité, à la suite d'un avortement, et son désir d’avoir un enfant. Ferron est le premier à avoir saisi cette fêlure: «Je l’ai vue s’attaquer à Claude qui, tel un père noble, ne se défendit pas. Sans doute était-elle prédisposée, mais elle avait développé une sorte d’impuissance sexuelle parce qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfants. En aurait-elle eu un, je me demande ce qu’elle en aurait fait» (Du fond de mon arrière-cuisine, p. 263). Dans un article magistral, Patricia Smart explique comment Muriel a vécu un paradoxe douloureux. Son désir d’autonomie* afin de vivre sa vie selon son bon vouloir et son bon plaisir est en révolte contre son désir de répondre aux modèles de la femme véhiculés dans la société: celui de la maternité, imposé par la tradition et celui de la femme-objet ou de la femme-enfant, imposé par ses mâles adorateurs («Derrière la femme-objet: la représentation de Muriel Guilbault dans Beauté baroque», Études françaises, vol. 34, nos 2-3, 1998, p. 99-111). À la fin de sa brève vie, elle perdra sa violence physique et verbale. Claude en témoigne: «Elle est si douce, si douce, elle se désincarne, on dirait…» Elle sait proche son heure ultime, librement choisie, et Claude devine intuitivement sa mort prochaine: «Blanche, blanche comme un vœu de vierge. Effrayante douceur. […] L’esprit détaché de tout, gambade sur les cheveux éthérés du sublime. Le merveilleux passe à travers elle» (Beauté Baroque, p. 159-160).