Régine Vandamme, Feu, Bordeaux, Le Castor Astral, «Escales des lettres», 2010.
Reclus dans son appartement où il tente de survivre à la dérive de son existence, Hughes Worms, journaliste autrefois promis à un brillant avenir, sombre dans le désespoir, loin des siens, loin du monde, à l'âge de 44 ans.
D'heure en heure tout au long d'une journée caniculaire, son histoire se dévoile, banale, bancale, l'histoire d'un homme aux prises avec un mal-être contre lequel il a renoncé à se battre. Seule sa mort est en marche.
Feu est un roman obsédant qui fait éclater des vérités crues et cruelles. L'écriture est intense. Chaque phrase parle juste, cogne et fait mal.
Régine VANDAMME est née à Bruges. Unanimement loué, plusieurs fois réédité, son premier ouvrage Ma mère à boire, a reçu en 2001 le Prix de la première oeuvre du Ministère de la Communauté française de Belgique. Elle est également l'auteur de Ma voix basse et de Profession de foi. (Quatrième page de la couverture).
Extrait
(19h26)
Ton corps repose dans le tiroir n° 23 de la morgue de l'Institut médico-légal de Lille. Il sera autopsié demain.
Tu es mort seul chez toi, sans témoin. Cela ne ressemble pas à un crime, mais c'est quand même une hypothèse qui ne peut être écartée. Tu ne seras rendu à ta famille que dans neuf jours. Neuf jours d'une extrême et ultime solitude dans la mort et son au-delà. Neuf jours pendant lesquels tu manques à tes enfants d'une double absence insoutenable. Neuf jours d'un enlèvement, cruel mais légal.
Demain, tu auras droit à une brève dans la rubrique fait divers du journal local concurrent. Tes ex-collègues n'ont pas eu l'info à temps. Ils se rattraperont dans l'édition d'après-demain.
La rubrique des chiens écrasés, c'est là que tu avais fait tes premières armes quand tu avais démarré dans le métier à l'âge de 23 ans. On appelle cela l'ironie du sort.
On dira sûrement que tu es mort jeune, à la moitié de ta vie et que c'est injuste. Comme si certains méritent plus que d'autres leur malheur. On se consolera probablement en disant que tu n'as pas vécu à moitié. On cherchera à comprendre, à expliquer. On refusera l'incompréhensible, l'inexplicable. On réécrira l'histoire. Parce qu'il sera difficile d'admettre que ce 23 juin, dernier jour de ta vie, tu n'as laissé derrière toi qu'à peine quelques traces tremblées de ton passage sur terre. (op. cit., p. 149-150)