L'Encyclopédie sur la mort


Esther

L'histoire d'Esther a pour cadre l'immense empire perse du Vième siècle avant notre ère. Cyrus avait autorisé le retour des captifs à Jérusalem, mais certains Juifs avaient choisi de demeurer dans la province où ils étaient installés depuis près de cinquante ans. C'est donc en cette période post-exilique, au sein de la diaspora juive, à Suse, que l'auteur du livre d'Esther situe son récit. Très tôt orpheline, l'héroïne est recueillie et élevée par son cousin Mardochée. Alors que la jeune fille arrive en âge de se marier, le roi, contraint de répudier la reine Vashti, se met à la recherche d'une nouvelle épouse; il choisit la belle Esther, à qui son tuteur conseille de cacher ses origines juives. Les événements rapportées se passent donc à la cour de celui que la plupart des traductions françaises nomment Assuérus, souverain que l'on identifie souvent à Xerxes I, qui régna de 485 à 465.

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Rappelons que, par le parcours de l'héroïne (une jeune fille de modeste origine promise à un glorieux destin), l'histoire d'Esther peut être rangée dans ce que certains exégètes appellent les «nouvelles de la diaspora», comme l'histoire de Joseph ou celle de Daniel. Ces récits mettent en scène un héros affaibli (le benjamin haï de ses frères, un noble déchu, une orpheline) qui connaît en exil une gloire inattendue (Joseph ministre de pharaon, Daniel conseiller du monarque babylonien, Esther épouse d'Assuérus). Deux lectures politiques, d'aucuns diront nationalistes, sont en jeu. Il s'agit d'abord d'encourager les Juifs exilés à briguer de hautes responsabilités dans les pays où ils se trouvent, quelques soient les dangers qui les guettent. Esther, et ici, plus encore Mardochée, sont censés être des «modèles» à suivre: ce sont des figures éminemment politiques. Mais si cette première dimension du texte est avérée dans les commentaires, elle n'a guère intéressé les écrivains . Ce n'est que l'aspect le plus tragique de cette vie en exil qui a été retenu, celui du génocide programmé. Rien d'étonnant à ce que les minorités religieuses opprimées se soient identifiées aux Juifs de Suse. D'où l'extraordinaire succès de l'histoire d'Esther au moment des guerres de religions*.

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[Rien n'interdit] d'être sensible à ces racines communes qui rapprochent Esther d'Ishtar et Mardochée de Mardouk. - voire même d'émettre de prudentes hypothèses. Quand on sait qu'isthar est à la fois déesse de la guerre* et de l'amour, on mesure ce que le personnage d'Esther lui doit... Dans ce palimpseste qu'est le récit biblique s'inscrivent, de façon ténue, mais s'inscrivent irrémédiablement , des héros de la mythologie mésopotamienne. Ce qui nous invite à jeter un regard nouveau sur le couple «Esther/Mardochée». Les reprises littéraires ont eu tendance à privilégier trois types de configurations: Esther/Aman (l'élévation des humbles et la chute des orgueilleux), Aman/Mardochée (la lutte d'un peuple opprimé avec ses ennemis), Esther-Assuérus (la force de l'amour, la conversion). Les écrivains se sont moins intéressés à la relation qui unit le tuteur et sa pupille. Rappelons que le texte hébreu (ch. 2, v. 7), qui est le plus souvent, et le plus «fidèlement», traduit par «l'avait adopté pour fille», a pu être interprété d'une autre façon par les exégètes. Mardochée aurait élévée Esther, selon certaines traditions rabbiniques, «pour en faire sa femme», et c'est une des leçons du texte grec, que l'on retrouve dans la traduction de la TOB. Ne peut-on voir l'alliance «Mardochée-Esther» comme une variation sur ces récits d'unions sacrées entre les dieux et avec les dieux, ces hiérogamies pratiquées par les bayloniens?

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Esther, Fresque sur bois par Andrea Del Castagno, 1450 -
Galleria degli Uffizi, Florence

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-20

Notes

Source: Sylvie Parizer, «Esther: Figure biblique, figure mythique» dans Figures mythiques. Fabrique et métamorphoses. Études réunies et présentées par Véronique Léonard-Roques, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, Maison des Sciences de l'Homme, 2008, p. 191-208 (extraits)