Érasmus Desideratus de Rotterdam, ou Gerritszoon, (fils de Gérard fils), serait né le 28 octobre 1469, à Gouda, fils illégitime d'un prêtre ou d'un moine. Il est mort le 12 Juillet 1536 à Bâle.Théologien et philologue néerlandais. Humaniste chrétien de la Renaissance, il a grandement contribué à la redécouverte du stoïcisme* par ses éditions savantes de Sénèque*. Cependant, il ne partage pas la théorie de l’école du Portique sur la répression des passions et l’apathie ou l’indifférence. «Plus que la majorité de ses contemporains, Érasme a cherché à réconcilier, dans ses réflexions morales sur l’individu, la piété chrétienne et la probité éthique fondée sur la raison, en partant de l’idée que l’humanité avait reçu l’intelligence pour accomplir des fins morales» (M. J. Heath, «Érasme et l’humanisme de la Renaissance», dans M. Canto-Sperber (dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, p. 511-518).
Pour Érasme, il est clair que la vie n’est pas nécessairement un bien, ni la mort, un mal. «Il y a d'innombrables façons de mourir et certaines sont affreuses: par exemple, la mort subite dont quelques-uns sont terrassés en plein banquet» Suit alors une liste de morts plus «affreuses» les unes que les autres. Par contre, «nous en voyons dont la mort est paisible, à ce point qu'ils semblent s'endormir et non mourir. Mais qu'un homme meure d'une façon ou d'une autre, ce n'est pas là-dessus qu'il faut le juger». Pour sa part, Érasme estime la mort bonne ou mauvaise à partir de critères éthiques. En somme, «on ne peut jamais dire mauvaise la mort qu'a précédée une bonne vie» (La préparation à la mort [1533], Montréal, Paulines et ade, 1976, p.48-49).
Dans ses Apophtegmes, Érasme fait l’éloge des morts volontaires de l’Antiquité en tant que quête du bien moral et physique. Ce grand homme de petite taille était d’une constitution chétive. «Son petit corps» logeait «une âme souffrante frissonnant au moindre souffle» (H. Brabant, Érasme humaniste dolent, Québec, Presses de l’université Laval, 1971, p. 7). Dans son Éloge de la folie, il estime que la folie est, pour des humains qui sont submergés par des maux insupportables, une forme d’évitement de la mort et de poursuite de la vie. Il dresse un tableau fort pessimiste de tous les maux qui accablent l’homme: «sa naissance humiliée, son éducation difficile, les dangers autour de son enfance, les durs labeurs imposés à sa jeunesse, sa vieillesse pénible, et la dure nécessité de la mort, après tant de maladies, d’incommodités qui l’assaillent de tous côtés, qui empoisonnent son existence entière. Ne parlons pas du mal que l’homme fait à l’homme: il le ruine, l’emprisonne, le déshonore, le torture, lui tend des pièges, le trahit; tout énumérer, avec les outrages, les procès, les escroqueries, ce serait compter des grains de sable» (Éloge de la folie, XXXI, Paris, Garnier-Flammarion, 1997, p. 39). Devant toutes ces calamités, deux options s’imposent: la folie ou la mort volontaire du sage. Il se demande: «Qui sont particulièrement ceux qui par dégoût de la vie se sont donné la mort? ne sont-ils pas proches de la sagesse?» Mais qu’est-ce qui se passerait si les hommes étaient tous des sages? «Il faudrait une nouvelle argile et un nouveau Prométhée pour la modeler.» L’ignorance ou l’irréflexion, l’oubli des maux ou la quête des plaisirs versent sur l’existence pénible un peu de miel.
«Je n'ai pas à vous dire quels méfaits ont valu aux hommes un tel sort [les suicidés], ni quel Dieu irrité les a condamnés à naître pour ces misères. Qui voudra y bien réfléchir approuvera l'exemple des filles de Milet et leur suicide pourtant bien douloureux. Mais quels sont donc ceux qui se sont tués par dégoût de vivre? Des familiers de la Sagesse. Passe pour les Diogène, les Xénocrate, les Caton*, les Cassius* et les Brutus*, mais voyez Chiron choisir la mort à l'heure où il peut obtenir l'immortalité. Vous sentez, je pense, ce qui se produirait, si partout les hommes étaient sages; il faudrait qu'un autre Prométhée en pétrît d'une nouvelle argile. Moi, tout au contraire, aidée de l'Ignorance autant que de l'étourderie, en leur faisant oublier leur misère, espérer le bonheur, goûter quelquefois le miel des plaisirs, je les soulage si bien de leurs maux qu'ils quittent la vie avec regret, même alors que la Parque a filé toute leur trame et que la vie elle-même les abandonne. (L'éloge de la folie, XXXI, op.cit. p. 39)
Ces menus plaisirs sont de bons moyens de prévention* du suicide pour la foule, princes et prélats inclus. Érasme ne rattache donc pas le suicide à la folie ou à la déraison, mais plutôt à une interprétation trop rigide de la raison des stoïciens*, qui méprise la passion, la sensibilité et le plaisir.
Par contre, la mort volontaire s’offrirait comme le choix exceptionnel d’un individu qui, indifférent aux modes et valeurs de son temps et conscient de ses propres limites, accomplirait ce que son esprit, et non pas la chair, lui souffle. C’est la mort philosophique du sage. «Et je passe sous silence les maux dont notre vie est environnée, au point que les païens ont estimé que les dieux (pour parler comme eux) ne pouvaient faire à l’homme aucun don plus précieux que la permission de mettre fin à sa propre vie lorsqu’il le trouverait bon; et un illustre poète n’a pas hésité à prononcer: “Nul animal n’est plus infortuné que l’homme.” Si l’autorité d’un poète païen nous paraît négligeable, rappelons que l’Ecclésiaste, cet écrivain sacré, n’a pas craint d’écrire: “Plus heureux est le jour de la mort que celui de la naissance”» (La préparation à la mort [1533], Montréal, Paulines et ade, 1976, p. 28-29).
Jean de la Bruyère met en exergue de la Préface à son livre Les Caractères une citation d'Érasme: «J'ai voulu mettre en garde, et non mordre, être utile, et non blesser, améliorer les moeurs des hommes, et non leur nuire.»
Portrait d'Érasme
Pour un portrait de la personnalité d'Érasme, consulter Luc de Brabandere, «Désiré Érasme» dans Luc De Brabandere, Jean-Michel Besnier et Charles Handy, Érasme, Machiave, More. Trois philosophes pour les managers d'aujourd'hui, Paris, Billage Mondial, 2000, p. 25-34 dont voici un extrait:
«La vie d'Érasme [...] nous montre l'un des Pères de la Renaissance dont la rupture avec le provincialisme médiéval en fait l'un des principaux moteurs de l'Europe. Ses études et ses contacts, comme sa pratique spirituelle, l'orientent naturellement vers l'humanisme, dont il sera l'une des figures marquantes. Il introduit le Nouveau Testament mais aussi Plaute, Sénèque*, Platon*, Plutarque*, etc. Il se frotte à l'hébreu et à l'araméen. Surtout, il maîtrise le grec et le latin au point d'être considéré comme le plus grand latiniste de son temps. [...]
Érasme est un pionnier de l'Europe par sa connaissance des pays du continent, acquise lors de ses très fréquents voyages, et [...] par son influence sur les grands de l'époque: conseiller de Charles-Quint, ami de pape Léon X et du grand argentier d'Angleterre Thomas More*, correspondant de Luther*, etc. Érasme est aussi l'ami des plus grands éditeurs de la Renaissance, parmi lesquels Alde Manuce ou Froben. [...] Amoureux convaincu de la paix* - ce qui en faisait un diplomate habile - , choqué même par les batailles de la Bible*, il chercha toute sa vie à convaincre les hommes d'État de ne pas céder à la tentation de la guerre*» (op. cit., p. 30-31)
Correspondance d'Érasme
Érasme écrivait au total 3 162 lettres dont on peut en lire plusieurs dans
Hypertexte louvaniste - Itinera Electronica: Du texte à l'hypertexte:
http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/intro.htm#era
Compte rendu par Claude Brouillette, La Correspondance d’Érasme (vol. 1 : 1484-1514), traduite et annotée d’après L’Opus Epistolarum de P.S. Allen, H.M. Allen et H.W. Garrod; traduction française sous la direction d’Alois Gerlo et Paul Foriers, Bruxelles, Presses académiques européennes, Québec, Presse de l’Université Laval, 1967-...., 571 p.
Études littéraires, vol. 2, n° 1, 1969, p. 109-110.
http://www.erudit.org/revue/etudlitt/1969/v2/n1/500062ar.pdf
Ci-dessous quelques extraits de ses Lettres avec leurs références:
«Dans la ville de Bâle, au fond d'une boutique d'imprimeur, un petit vieillard maigre et débile, Érasme de Rotterdam conduit d'un coeur inlassable l'humanité vers plus de science et de conscience. [...] La quantité de lettres érudites échangées entre humanistes est prodigieuse. [...] Érasme nous apprend qu'il recevait une vingtaine de lettres par jour et qu'il en écrivait quarante» (Anatole France, Rabelais, Paris, Calmann-Lévy, 1928, p. 11-12)
En octobre 1518, Érasme écrit à son ami Beatus Rhenanus au sujet de son attitude à l'égard de la mort: «Jadis, quand j'étais jeune, il m'en souvint, le nom seul de la mort me remplissait d'effroi. Avec la vieillesse, j'ai au moins gagné de ne plus craindre la mort et de ne pas mesurer le bonheur de l'homme au nombre de ses années. J'ai passé cinquante ans. Bien peu d'hommes parviennent à cette âge. Je n'ai donc pas le droit de me plaindre d'avoir trop peu vécu.»
Léon-E. Halkin «Érasme et la mort», Revue de l'histoire des religions, 1983, Volume 200, p. 269-291
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1983_num_200_3_4483
Dans sa lettre qu'il adressa à Érasme, de Lyon en décembre 1532, Rabelais* le nomma pater humanissime. Il lui avoue aussi que s'il osait, il l'appellerait à la fois «son père et sa mère». (Marcel Schwob, L'Evénement, le 2 avril 1891, cité dans le recueil des notes de M. Schwob sur Rabelais publiés par les Éditions Allia: Marcel Schwob, François Rabelais, Paris, 1990, p. 64. La citation de la lettre se trouve dans les notes biographiques qui tracent un portrait très concis et précis de Rabelais. En qui concerne les relations entre Érasme er Rabelais, Voltaire* donne la parole à «Lucien, Érasme et Rabelais dans les Champs Élysées», Dialogues philosophiques.
La mort d'Érasme
«Sur les circonstances de la mort d'Érasme, la nuit du 11 juillet au 12 juillet 1536, nous possédons de nombreux témoignages et quelques études critiques. [...] Dans ses dernières paroles, en latin et en néerlandais, il implore la miséricorde du Christ: O Jesu, misericordia! Domine, libera me! Domine, fac finem! Domine, misere mei! Lierver God! (O Jésus, miséricorde! Seigneur, libère-moi! Seigneur, accorde la fin! Seigneur, pitié pour moi! Plutôt Dieu! ou: Cher Dieu [traduction de nous, É.V.]) [...] Luther* affirme dans ses Propos de table: «Il [Érasme] n'a demandé ni la présence d'un prêtre ni les sacrements. Il a vécu et il est mort comme un autre Épicure*, sans prêtre et sans consolation.» [...] Il aurait aimé mourir dans une ville catholique, mais il n'est plus en état de supporter un nouveau déménagement et un voyage fatigant. D'ailleurs, il bénéficie à Bâle, d'une liberté* qui convient son tempérament oecuménique. Il y fait imprimer sans obstacle ses écrits les plus catholiques et même les plus antiluthériens. La messe, il peut la dire dans sa chambre, s'il en a la force. «Ma chambre est mon oratoire». «Crois-moi, écrit-il à son ami (Bonvalot, Bâle le 17 mai 1536), les sectes ne me menacent en rien. Personne ne nous adresse des paroles désagréables. Je ne voudrais pas, bien sûr, avoir chez moi quelqu'un qui serait empoisonné par les nouvelles doctrines.» [...] La situation d'Érasme est certes originale, mais délicate sinon difficile: un ecclésiastique isolé au milieu des dissidents! On le voit bien lorsqu'il meurt sans l'assistance d'un prêtre pour le confesser, lui donner le viatique et lui administrer l'extrême-onction. [...] Dès 1523, dans l'Epistola de morte, il justifie sa position personnelle: celui qui vit chrétiennement ne doit pas craindre une mauvaise mort; pourvu qu'il n'ait pas de fautes graves à se reprocher, il est déchargé de l'obligation de la confession.» (L-E. Halkin, op. cit., p. 286-291)
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Quinten Metsys, «Érasme»
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