L'Encyclopédie sur la mort


Drieu La Rochelle Pierre

Solitaire et instable, auteur de Gilles (1939) et du Feu follet (1931), il fut l’ami intime d’Aragon et compagnon des surréalistes. Il opta pour l’extrême droite et s’engagea sous l’occupation allemande pour le fascisme et la collaboration avec l’ennemi. Fondamentalement désespéré et sans projet, il mit fin à ses jours en 1945. Un roman posthume parut en 1966 sous le titre de Mémoires de Dirk Raspe. Dans Le feu follet, le personnage d’Alain est inspiré par le poète Jacques Rigaud, qui s’est donné la mort. Alain, être fragile et sans volonté, incarne le désarroi de l’homme moderne, abandonné dans un monde aux prises avec une crise* très grave des valeurs. Il tente de trouver l’oubli dans la drogue et, pour s’en libérer, il se lance dans l’écriture. Incapable de trouver un sens à sa vie, il se suicide. L’auteur souligne le rapport entre le suicide et l’action ou, plus exactement, il dégage la spécificité du suicide en tant qu’action destinée à secouer l’autre afin de renouer les liens desserrés : « J’ai la vocation au suicide… Alain ne se confinait pas dans la méditation, ni ne rêvait. Il agissait, il se piquait, il se tuait. La destruction, c’est le revers de la foi dans la vie; si un homme, au-delà de dix-huit ans, parvient à se tuer, c’est qu’il est doué d’un certain sens de l’action. Le suicide, c’est la ressource des hommes dont le ressort a été rongé par la rouille du quotidien. Ils sont nés pour l’action, mais ils ont retardé l’action; alors l’action revient sur eux en retour de bâton. Le suicide, c’est un acte, l’acte de ceux qui n’ont pu en accomplir d’autres. C’est un acte de foi, comme tous les actes. Foi dans le prochain, dans l’existence du prochain, dans la réalité des rapports entre moi et le prochain. « Je me tue, dit Alain, parce que vous ne m’avez pas aimé, parce que je ne vous ai pas aimés. Je me tue parce que nos rapports furent lâches, pour serrer nos rapports. Je laisserai sur vous une tache indélébile. Je sais bien qu’on vit mieux mort que vivant dans la mémoire de ses amis. Vous ne pensiez pas à moi, eh bien, vous ne m’oublierez jamais » (p. 243). Ce roman, largement autobiographique, a été adapté au cinéma par Louis Malle en 1963, le rôle principal était tenu par Maurice Ronet, qui s’est suicidé en 1983 (H. Mitterand, Dictionnaire des grandes œuvres de la littérature française, p. 246). Drieu était très habile dans l’art de créer une image négative de soi. Ses romans sont des autobiographies qui rapportent ses échecs et véhiculent un profond mépris du milieu bourgeois dont il était issu. Son écriture masque sa personnalité autant qu’elle la révèle. Ses livres ont leur part de vérité et de mensonge, comme il en est de tout matériel autobiographique qui sert à la compréhension d’un suicide.

J. L. Borges* avait rencontré Drieu en 1932 à Buenos Aires avec qui il a entretenu par la suite d'étroites relations amicales. Il avait découvert toutefois son univers poétique déjà « au début des années vingt, par le biais de son futur beau-frère Guillermo de Torre, très impliqué dans les mouvements d'avant-garde de l'époque ». Lors dune soirée littéraire à Buenos Aires, « Borges désira mettre au programme et à l'honneur Pierre Drieu La Rochelle [...] et par un curieux retour inattendu, il déclama avec fougue et enthousiasme, les premiers vers, qui nous étaient étrangers, du poème de Drieu intitulé "À vous Allemands". Puis, dans le silence et avec beaucoup d'émotion, il évoqua les deux ouvrages de Drieu, Interrogation et Fond de cantine qui l'avaient beaucoup marqué dans sa jeunesse où il n'avait pas encore décidé dans quelle langue il écrirait. » (Jean-Pierre Bernés, J. L. Borges: La vie commence..., Paris, le cherche midi, 2010, p. 82-84)

Drieu rencontre à Paris, à la fin des années 1930, Victoria Ocampo (1890-1979), femme de lettres argentine et éditrice de la revue Sur. Avec elle, il visite Paris, Londres et Berlin. Après leur idylle, ils resteront de bons amis. Leurs relations furent pleines d'inspiration et de fougue. Celle que Drieu appela gentiment « chère belle vache de la Pampa » et d'autres « la Gioconda de la Pampa » (Ortega y Gasset) ou « Éclair de la Pampa » (Gabriella Mistral) publia des écrits de Drieu dans le n° 1 de SUR (été 1931) et dans les n° 192/194 (octobre-décembre 1950). (J. -P. Bernès, o.c., p. 87-89)
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30