L'Encyclopédie sur la mort


De Cleyre Voltairine

De Cleyre VoltairineNée en 1866 dans la pauvreté, maladive, elle a connu une enfance difficile. Militante anarchiste, Voltairine de Cleyre, qui doit son prénom à l’admiration que son père avait pour Voltaire, incarne de façon exemplaire l’incandescence de l’anarchisme. Son biographe Paul Avrich la décrit comme « un talent littéraire plus grand que n’importe quel autre anarchiste américain ». La militante et féministe Emma Goldman la tient pour « la plus douée et la plus brillante anarchiste américaine ». Oratrice renommée, auteure d’essais et de poèmes, Voltairine laisse une œuvre orte et sans concessions,presque complètement inconnue en langue française et qui commence à peine, en langue anglaise, à être tirée de l’oubli. Voltairine de Cleyre meurt en 1912. Le poème ci-dessous ici date de 1892.

LA VIE OU LA MORT

Une âme qui franchissait le Portail s’arrêta à mi-chemin et dit à la Vie :
— «Qu’as-tu à m’offrir?»
La Vie répondit :
— «De la tristesse, un incessant combat, des déceptions.
Puis le Silence et la Nuit.»
L’âme dit à la Mort :
— «Et toi, qu’as-tu à m’offrir?»
— «Je te donnerai tout de suite ce que la Vie ne t’accordera qu’à la fin.»
L’âme se tourna vers la Vie :
— «Et si je vis? Et si je me bats?»
— «D’autres vivront et se battront après toi. Et leurs combats seront plus faciles là où tu auras combattu.»
— «Mais à quoi bon leurs luttes à eux ?»
— «Elles rendront plus léger le fardeau de tous ceux qui naîtront ensuite à la douleur et qui la combattront à leur tour.»
— «Mais qu’ai-je à voir avec ces autres? Qui sont-ils donc?»
— «Ils sont toi.»
— «Et ceux qui sont venus avant moi, qui sont-ils?»
— «Eux aussi, ils sont toi.»
— «Le Silence et la Nuit auraient donc une fin?»
— «Ils finiront en chant et en lumière.
Et la douleur s’achèvera en Paix
Puisque la Mort meurt en moi
Tandis que tu passes de toi aux autres
Que la lumière s’ombrage et que l’ombre s’illumine
Choisis!»
L’âme, en larmes, répondit :
— «Je vivrai!»

Philadelphie, mai 1892.


LIFE OR DEATH

A Soul, half through the Gate, said unto Life :
“What does thou offer me?” And Life replied :
“Sorrow, unceasing struggle, disappointment; after these
Darkness and silence.” The Soul said unto Death :
“What dos thou offer me?” And Death replied :
“In the beginning what Life gives at last.”
Turning to Life :” And if I live and struggle?”
“Others shall live and struggle after thee
Counting it easier where thou hast passed.”
“And by their struggles?” “Easier place shall be
For others, still to rise to keener pain
Of conquering Agony!” “And what have I
To do with all these others? Who are they?”
“Yourself!” “And all who went before?” “Yourself.”
“The darkness and the silence, too, have end?”
“They end in light and sound; peace ends in pain,
Death ends in Me, and thou must glide from Self
To Self, as light to shade and shade to light again.
Choose!” The Soul, sighing, answered: “I will live.”

Philadelphia, May, 1892

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-10

Notes

Extrait de : The Voltairine de Cleyre Reader, édité par A.J. Brigati, AK Press, Oakland, 2004, page 204.

Poème traduit de l'anglais par Normand Baillargeon Sève et sang, Montréal, Mémoire d'encrier, 2007.