L'Encyclopédie sur la mort


Cioran Emil Michel

 

cioran EmilEssayiste d’origine roumaine (né à Rasinari) et d’expression française. Moraliste cynique et pessimiste, très jeune il subit l’influence de Nietzsche*, Dostoïevski et Schopenhauer*. Il est l’auteur de Des larmes et des saints (1937), Précis de décomposition (1949), La tentation d’exister (1956), De l’inconvénient d’être né (1973). En se livrant à l’écriture, il cherche à conjurer son désir de mourir. Des bruits ont couru d’une éventuelle tentative de suicide*. Atteint d’une maladie grave, il renonce à l’écriture et meurt à Paris le 20 juin 1995. Cioran considérait son scepticisme existentiel comme une «maladie» dont il ne savait pas si elle le conduirait à la guérison ou à l’anéantissement. Ses thèmes favoris sont l’aliénation, l’absurdité, l’ennui*, la futilité, la décadence, la tyrannie de l’histoire, la raison comme maladie, la conscience comme agonie. Dans L’inconvénient d’être né (Paris, Gallimard, 1973), ses aphorismes sont frappants: «Ce n'est pas la peine de se tuer, puisqu'on se tue toujours trop tard.» (p. 43); «Il faut souffrir jusqu'au bout, jusqu'au moment où l'on cesse de croire à la souffrance.» (p. 95); «Un livre est un suicide différé» (p. 119). Penseur paradoxal, Cioran rappelle à ses contemporains l’inanité de toute pensée. Il les met en garde contre toute «propension à croire», tout «appétit de puissance», toute «faculté d’espérer», contre toute idéologie au nom de laquelle tant de crimes sont perpétrés (H. Mitterand (dir.), Dictionnaire des grandes œuvres de la littérature française, p. 518). Même si la vie est dépourvue de sens, les humains y sont attachés comme à un rien, un lien à la fois fragile et fort. «Quand on a entrevu, par une intuition bouleversante et facilement renouvelable, sa propre inutilité, il est incompréhensible que n’importe qui n’en ait fait autant. Se supprimer semble un acte si clair et simple. Pourquoi est-il rare? Pourquoi tout le monde l’élude-t-il? C’est que, si la raison désavoue l’appétit de vivre, le rien qui fait prolonger les actes est pourtant d’une force supérieure à tous les absolus; il explique la coalition tacite des mortels contre la mort; il est non seulement le symbole de l’existence même; il est le tout. Et ce rien, ce tout, ne peut donner un sens à la vie, mais il la fait néanmoins persévérer dans ce qu’elle est: Un état de non-suicide» (Précis de décomposition, Paris, Gallimard, 1949, p. 56).

Cioran met en évidence le pouvoir qu’ont les humains de disposer de leur vie et de se tuer. Étrangement, ce pouvoir mortifère est comme une provocation et comme un ressort qui les fait rebondir dans la vie. Nous ne pourrions pas atteindre le terme d’un seul jour, si la possibilité d’en finir ne nous incitait pas à recommencer le jour d’après. «Pouvoir disposer absolument de soi-même et s’y refuser, est-il don plus mystérieux? La consolation par le suicide possible élargit en espace infini cette demeure qui nous étouffe […]. Mais, démons fanfarons, nous différons notre fin: comment renoncerions-nous au déploiement de notre liberté, au jeu de notre superbe?» (Précis de décomposition, p. 56-57). «Et lors même que nous ne les exploiterions jamais et que nous finissions dans l’expiration traditionnelle, nous aurions eu un trésor dans nos abandons: est-il plus grande richesse que le suicide que chacun porte en soi» (p. 58).

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Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-16