L'Encyclopédie sur la mort


Bernanos Georges

Bernanos GeorgesDès l’enfance, Georges Bernanos fut tourmenté par l’angoisse de la mort. Cette hantise est présente dans ses œuvres, et en particulier dans Le dialogue des carmélites, écrit en Tunisie alors qu’il est gravement malade du foie : « Peur... Peur de la mort ... Le Christ lui-même au Mont des Oliviers a eu peur de la mort…» Le deuil de son enfance et de son innocence jouent un rôle important de sa personnalité et de ses personnages: «Certes ma vie est déjà pleine de morts. Mais le plus mort des morts est le petit garçon que je fus. Et pourtant, l’heure venue, c’est pourtant lui qui reprendra sa place à la tête de ma vie, rassemblera mes pauvres années jusqu’à la dernière, et comme un jeune chef ses vétérans, ralliant la troupe en désordre, entrera le premier dans la maison du père ». (G. Bernanos, «Préface», Les Grands Cimetières sous la lune, I, p. 354)

«Peu de temps avant sa mort, Zweig* avait rencontré au Brésil un autre exilé, Georges Bernanos. Installé depuis août 1940 à Barbacena, dans une petite maison au flanc d'une colline dénommée “La Croix des âmes”, celui-ci reçut chaleureusement l’écrivain autrichien et tenta de le convaincre de poursuivre la lutte. «Zweig était défiguré, triste, abattu, sans espoir, plein de pensées funestes. Bernanos l’encourageait, lui parlait doucement», raconta un des témoins de cette rencontre, l’écrivain brésilien Geraldo França de Lima. Après le départ du couple, Bernanos confia à Geraldo França de Lima: «il est en train de mourir.» Quand on l’informa du suicide du couple, le vieux combattant des Grands cimetières sous la lune pleura de douleur et aussi de colère, appuyé sur sa canne. Parti lui aussi au Brésil pour fuir le nazisme, il n’avait rien pu faire pour ramener l’auteur viennois dans le monde des vivants. Bernanos lui en voulait de ne pas s’être battu jusqu’au bout, lui qui continuait à croire à la défaite de l’Axe.» («Tombeau de Stefan Zweig (3) : l'exilé des hommes», publié le 30 janvier 2009 par Doespirito : http://www.paperblog.fr/1537140/tombeau-de-stefan-zweig-3-l-exile-des-hommes/
La rencontre de ces deux écrivains au Brésil est racontée par Laurent Seksik dans son roman biographique: Les derniers jours de Stefan Zweig, Flammarion, 2010, p. 145-151. Voici un extrait de leur conversation:

«Ils échangèrent des nouvelles d'écrivains en exil. Jules Romains* au Mexique, Roger Caillois* (voir < Document('Vie_et_mort--Duree_et_destin_par_Roger_Caillois') à Buenos Aires et tous les autres à New York. Caillois avait offert à Bernanos une tribune dans Les Lettres françaises. "Ce serait bien que vous y écriviez aussi... Un simple article de votre main, cela aura de la valeur. Un texte de Zweig dans cette Amérique du Sud qui vous admire et vous célèbre, cette bouteille à la mer lancée vers la France, où l'on vous aime aussi, ça n'aurait pas de prix." Zweig ne voulait pas entendre parler d'engagement, ni d'appels à la guerre* aux peuples d'Amérique du Sud. Une seule question le taraudait. Roger Martin du Gard lui avait confié dans une lettre que Bernanos était sujet à de terribles accès de désespoir. Il aurait aimé interroger son hôte sur la véracité de ses allégations. Était-il possible qu'un tel colosse pût également souffrir des affres de la solitude et de l'exil. Mais il renonça à aborder le sujet: l'homme en face paraissait dormir du soleil du juste.» (op. cit., p. 145-146)

À la mort de Bernanos, en 1948, André Malraux* sera l'un des seuls écrivains à assister à ses funérailles. «Aux funérailles de Bernanos, en l'église Saint-Séverin, à Paris, les seuls hommages officiels sont rendus par les républicains espagnols et par deux gouvernements d'Amérique latine, dont celui du Brésil (ou il s'était exilé pendant la seconde guerre mondiale). Aucune personnalité du monde des lettres, si ce n'est Malraux et Pierre Bourdan»,écrit Michel Estève (Georges Bernanos. Un triple itinéraire, Hachette 1981, p. 223.) Nous trouvons dans les Antimémoires la confirmation de ce fait. En 1964, à l'occasion du transfert des cendres de Jean Moulin, au Panthéon, passant devant l'église de Saint-Séverin, Malraux se souvint des obsèques de Bernanos: «Je pense à Bernanos, parce que je passe devant Saint-Séverin. Je n'y suis pas revenu depuis ses obsèques. L'église était pleine, mais il n'y avait pas d'écrivains. Je me trouvais à côté de la délégation des républicains espagnols. C'était un jour de mars, avec les nuages bas et déchirés des plus belles scènes de ses romans, et des échappées soudaines de soleil. Quelques jours plus tôt, à l'hôpital américain, il m'avait dit: "Maintenant c'est à Lui de savoir ce qu'Il veut que je fasse..." Il faisait allusion à une Vie du Christ, et pensait qu'il devait l'écrire, s'il survivait; que sa guérison en serait le signe. Il m'avait dit aussi : "Vous voyez, je souris; et pourtant je n’ai pas envie de sourire. Mais je ne cesserai que lorsque je serai mort. Je crois que nous voulons notre mort comme il a voulu la Sienne. Il meurt une fois de plus dans chaque homme à l'agonie. D'ailleurs nous n'échappons à la puérilité du péché que pour mourir - et c'est là qu'il nous attend..." L'abbé Pézeril était au moment de son oraison funèbre où il rappelait que lors des derniers sacrements, Bernanos lui avait dit doucement, parlant sans aucun doute de Dieu: "Et maintenant, à nous deux..." Alors le soleil s'était dégagé, et un rayon droit comme une barre était venu se poser sur le cercueil.» (André Malraux, Antimémoires, V 3 dans Le Miroir des limbes, Oeuvres complètes, tome III, La Pléiade, 1996, p.457) Consulter aussi: Max Milner, Exil, errance et marginalité dans l'oeuvre de Georges Bernanos, p. 316 et Anissa Benzakour-Chami, André Malraux: une passion, Paris, Éditions Eddif., 2001)

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-13

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