L'Encyclopédie sur la mort


Au revoir les enfants

Un film français de Louis Malle (1987), scénario de Louis Malle, avec Gaspard Manesse (Julien Quentin), Raphael Fejtö (Jean Bonnet/Jean Kippelstein), Francine Racette (Mme Quentin), Stanislas Carré de Malberg (François Quentin), Philippe Morier-Genoud (Père Jean), François Berléand (Père Michel), François Négret (Joseph).
1 h 42 min

1944. Fils d’industriel, Julien, 11 ans, retourne dans le pensionnat catholique où il fait ses études. Un nouveau pensionnaire, Bonnet, attire sa curiosité et sa jalousie. Julien ne tarde pas à découvrir que Bonnet est d’origine juive et qu’il a été caché sous une fausse identité par le père Jean, le directeur du pensionnat qui est en contact avec la Résistance. Les deux garçons finissent par devenir amis, mais Bonnet est bientôt dénoncé par le garçon de cuisine et enlevé avec le père Jean par la Gestapo.

Au revoir les enfants relève en grande partie de l’autobiographie. Louis Malle y évoque des souvenirs parmi les plus poignants et les plus déterminants de son existence : « J’aurais du en faire le sujet de mon premier film, mais j’hésitais, j’attendais. » Le film nous fait passer d’un enfant qui, sur un quai de train, peine à quitter les jupes de sa mère (première séquence) à un même enfant qui, dans les derniers moments du film, « choisit son camp », en rejetant Joseph et en se plaçant du côté de Jean. L’expérience initiatique de Julien passe ainsi par l’expérience de l’amitié (pour Jean), de l’admiration (pour le père Jean), et le sentiment de l’injustice. Confronté à la cruauté bête, la veulerie et la lâcheté humaine, démultipliées par la particularité de l’époque, Julien voit en retour une figure paternelle admirable et un enfant innocent condamnés par le régime, et réalise ainsi la nécessité de s’inscrire en faux.

L’image des enfants juchés sur leurs échasses et risquant à tout instant de tomber peut suggérer cette difficulté du choix moral à laquelle sont confrontés la plupart des personnages du film. Joseph bascule subitement du côté des collaborateurs, et l’injustice dont est témoin Julien le fait basculer du côté des opprimés. Les conséquences du choix sont énormes, car il crée un clivage entre les êtres : Julien ne parvient plus à adresser la parole à Joseph après qu’il a rejoint la Gestapo. Le choix, enfin, est terrifiant lorsqu’il confronte l’individu à un véritable dilemme. L’hésitation profonde du père Jean, au moment de donner ou non l’hostie à Jean est ainsi remarquable : la contre-plongée, le geste suspendu et le regard paniqué suffisent à suggérer le trouble qu’il rencontre lorsqu’il lui faut, en un instant, choisir entre porter atteinte à sa religion et risquer de faire remarquer l’enfant.

À l’importance des conséquences du choix s’ajoute la contingence insondable du choix lui-même. On sent en effet que Julien « aurait pu » tomber de l’autre côté : sa rivalité et sa jalousie à l’égard de Jean « auraient pu » le faire verser de l’autre côté, et cette seule possibilité suffit à rendre compte du mystère du choix moral, lequel ne se réduit jamais à un déterminisme intégral. Il en est de même pour Joseph : son renvoi ne suffit pas à expliquer son geste, qui reste un abîme.
Cette contingence radicale se donne encore à voir dans une très belle séquence du film, celle de la projection de Charlot émigrant. Cette séquence intervient juste après celle du restaurant, qui montrait une société divisée entre collaborateurs, libéraux et récalcitrants. Après ce passage, la séquence de projection apparaît comme une parenthèse presque magique où, l’espace d’un film, les personnages sont tous réunis par le rire communicatif et l’émotion. La possibilité d’une communication et même d’une communion possible saute aux yeux avec une évidence étrange, à la fois ironique et désarmante. Le plan où le père Jean et son futur dénonciateur, Joseph, communient dans un même éclat de rire, met ainsi remarquablement au jour la contingence insondable des actions humaines.

Texte intégral: Benjamin Delmotte, «Au revoir les enfants»
http://www.cndp.fr/tice/teledoc/mire/mire_aurevoir.htm
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30