L'Encyclopédie sur la mort


Arachné































Antiquité

Arachné est une jeune Lydienne, orpheline de mère et fille d'Idmon de Colophon, un teinturier de pourpre. Elle est une autodidacte, car elle n’a pas appris son art par transmission maternelle comme la déesse Pallas-Athéna ou Minerve, patronne des tisserands. Ovide pourtant décrit ses doigts agiles s'affairant à toutes les étapes du travail de la laine. Or, la fière tisserande refuse qu'on attribue ses mérites à l'enseignement de la déesse Pallas. Simple mortelle, elle provoque même la déesse à un concours. Face à face, chacune à son métier, elles tissent, en utilisant toutes les couleurs, des histoires des temps anciens. Pallas se représente elle-même, l'emportant sur son oncle Neptune, lors du débat qui les oppose pour le patronage d'Athènes. De son côté Arachné dépeint les ruses et les métamorphoses employées par les dieux mâles, Zeus en tout premier, pour séduire les mortelles. Sa tapisserie décrit la bassesse des dieux n’hésitant pas à s’animaliser pour abuser de jeunes mortelles. Cet ouvrage critique, dénonciateur et parfaitement réalisé, irrite au plus haut point la déesse. Pallas déchire l'étoffe et de sa navette frappe au front Arachné à plusieurs reprises. Humiliée, la jeune fille se pend. Au suicide d’Arachné, Pallas préfère cependant la punition, la métamorphose plutôt que la mort. En la ramenant à la vie et en la transformant en araignée, elle sanctionne l’arrogance d’Arachné en même temps qu’elle reconnaît, par le choix de cet animal, son excellence dans l’art de tisser. Arachné s'éloigne, après avoir répandu sur elle le suc d'une herbe empoisonnée. Atteints de cet affreux poison, ses cheveux tombent, ses traits s'effacent, sa tête et toutes les parties de son corps se resserrent. Ses doigts amincis s'attachent à ses flancs. Fileuse araignée, elle exerce encore son premier talent, et tire du ventre arrondi qui remplace son corps les fils déliés dont elle ourdit sa toile.

Arachné a franchi la barrière qui sépare les humains des divinités. Par son ubris, elle a transgressé l'ordre divin dans un domaine spécifiquement réservé aux femmes et aux jeunes filles : le tissage de la laine. Elle exerça et outrepassa sa condition féminine. Condamnée à travailler sans cesse le fil auquel elle s’est pendue, et que, sous sa forme actuelle, elle fait continuellement sortir de son ventre, Arachné la tisserande, peintre somptueuse des amours des dieux, est à jamais interdite de sexe, de couleurs et d’images.

Moyen Âge

L'Ovide moralisé constitue la première traduction complète des Métamorphoses d'Ovide en langue romane. Son auteur anonyme du XIV° siècle considère son travail comme une translation de la légende antique dans un texte qui rend, avec beaucoup de liberté, la poésie et l'atmosphère originales tout en l'enrichissant par des créations verbales romanes et en l'accordant à mentalité chrétienne de son temps. (Marylène Possamaï-Pérez, «Introduction» de Nouvelles études sur l'Ovide moralisé, Paris, Honoré Champion, «Essais sur le Moyen Âge», 2009, p. 9-11)

Dans l'Ovide moralisé prolifère des mauvais sentiments qui agitent Araigne (identifiée à Arachné) avant sa métamorphose. L'insistance sur son suicide par pendaison préparent à des exégèses qui gagnent en virulence [...] et évoluent u fil de l'avancée narrative pour virer au noir absolu.» La «modeste tisserande» est transformée «en une incarnation du diable». La fille de basse condition, devenue l'orgueilleuse, se pend dans sa «toile captatrice». Son corps féminin est réduit à presque rien. «Ses membres fondent et disparaissent, absorbés par le ventre.» Cette opération de camouflage laisse prévoir ce qui deviendra le propre de l'araignée: la dissimulation. Cependant, l'auteur fait usage du terme subtil «qui sied surtout à l'artisan ingénieux dont l'habilité peut aller jusqu'à la duperie; par transfert, il caractérise son ouvrage adroit, rusé, voire entaché de tromperie [...]. En cela, l'Ovide moralisé redonne souffle à une ancienne étymologie: une connexion existerait bel et bien entre «toile» et «subtilité». «Subtilis remonterait à un terme de tisserand: sub tela. Ce dernier signifie «qui passe) sous les fils de la chaîne», tela désignant à l'origine la «chaîne d'une toile», avant de désigner la «toile» elle-même; voir le latin classique subtemen, qui désigne la fine trame d'un tissage. Le subtil renvoie donc étymologiquement à la délicatesse de ses fils qui peuvent être cachés à la vue.» ( Romaine Wolf-Bonvin, «L 'art de disparaître (La métamorphose d'Arachné)»
dans Nouvelles études sur l'Ovide moralisé, réunies et présentées par Marylène Possamaï-Pérez, Paris, Honoré Champion, «Essais sur le Moyen Âge», 2009, p. 181- 210)

Contemporanéité

La notion de la «subtilité» semble donc très importante pour l'auteur de l'Ovide moralisé comme pour les autres auteurs du XiV° siècle. L'oeuvre subtile de la tisserande entretient des rapports avec l'invisible, car elle«va jusqu'à témoigner d'un art disparu sous la perfection de l'art.» (op. cit., p. 198). Elle peut s'avérer le produit de la malice qui fait le malheur de tous. C'est ce que le texte médiéval tend à démontrer pour l'intégrer dans le registre des péchés. Par contre, la subtilité n'est pas, par définition ruse et dissimulation, elle peut s'avérer aussi délicatesse et raffinement, perspicacité et sagacité, clairvoyance et exactitude dans des situations complexes. Dans cette optique, le mythe de la métamorphose peut se loger dans le registre de la sagesse. Ainsi interprété, le «si peu» et «le rien» auquel on a réduit Arachné deviendrait la figure de l'oeuvre ingénieuse et invisible, à la fine pointe de la perfection au sein de la complexité de l'univers mystérieux de l'être et au coeur de l'histoire humaine. La quête de la subtilité en toute oeuvre accompagne idéalement l'autonomie* recherchée par les femmes pour exprimer librement leurs rapports au pouvoir, le leur et celui des hommes.

Sources

Ovide, Les Métamorphoses , VI Traduction (légèrement adaptée) de G.T. Villenave, Paris, 1806.
http://bcs.fltr.ucl.ac.be/meta/06.htm

Françoise Frontisi-Ducroux, L’Homme-cerf et la femme-araignée. Figures grecques de la métamorphose, Paris, Gallimard, 2003, 304 p., notes bibliogr., ill. (« Le temps des images »).

Patrick Kaplanian, « Françoise Frontisi-Ducroux, L’Homme-cerf et la femme-araignée. Figures grecques de la métamorphose », L’Homme, 179 | juillet-septembre 2006, [En ligne], mis en ligne le 07 juillet 2006. URL : http://lhomme.revues.org/index2465.html. Consulté le 12 juin 2009.

IMAGE
Peter Paulus Rubens, « La punition d'Arachné», 1626.
Richmond, Virginia

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-15