L'Encyclopédie sur la mort


Les sentiments religieux des Québécois du dix-neuvième siècle devant la mort

Serge Gagnon

Au début du dix-neuvième siècle, l'instituteur rural Louis-Généreux Labadie raconte le décès d'une de ses filles à l'âge de six mois. Il décrit avec précision les ornements du petit cadavre dans le berceau, la tombe et les rites funéraires. En rapportant cette chronique, Serge Gagnon cite un sociologue français qui s'étonne des moeurs des Canadiens français.
Lors du décès d'une de ses filles, à l'âge de six mois, Labadie note comment la petite malade «fit ses adieux un moment avant d'expirer d'une petite caresse des mains, en fixant ses yeux sur moi et ses petites soeurs» qui ne pouvaient s'empêcher de pleurer; et d'ajouter: «je lui donnai ma bénédiction et elle expira aussitôt». Labadie l'habille «en ange»:

«Une robe blanche de coton fin, une couronne de fleurs sur la tête, les mains jointes et une fleur à la main droite, une belle dentelle de Valencienne à la chemise et aux manches avec un drap de baptiste sous le corps, et un petit coussin, sous la tête [...] il y avait à la tête [du berceau] une table couverte de mousseline avec deux chandeliers d'argent et deux autres de cuivre, qui portaient des cierges.»

L'enfant est morte le samedi avant-midi. Le lundi, l'instituteur met le petit cadavre dans une tombe ainsi décrite:

«bien peinte en noir avec sa couronne et entourée de fleurs, le drap qui couvrait sa tombe était de toile fine, à chaque coin était un gland de soie cramoisie avec une boucle de petit ruban aussi de même couleur, une superbe couronne de fleurs odoriférantes sur le drap, le tout couvert de pierrerie montée en or, et est exposée ainsi sur les deux chaises jusqu'à 9 heures. Je la fis porter à l'église par un de nos élèves, Jacques Emery, habillé d'un capot bleu avec une croix d'argent en bandoulière, suivi de plusieurs de nos élèves et moi, jusqu'à l'église où j'avais préparé un beau tapis de couleur sur le plancher avec un petit banc peint en noir pour y déposer son corps, avec quatre chandeliers d'argent et cierges. Tous ceux qui étaient à l'église ne pouvaient s'empêcher d'admirer cette pompe funèbre. La messe se dit aussitôt.» (1)

Labadie assiste en «reporter» aux obsèques. Si le père est affligé, il dissimule bien ses sentiments. Nous nous étonnons aujourd'hui de cette impassibilité souvent manifestée dans l'ancienne culture. Pendant longtemps, les historiens ont cru que les survivants n'aimaient pas leurs disparus. La réponse n'est pas aussi simple. Observateur averti des moeurs des Québécois, un sociologue français écrivait au milieu du siècle dernier :

«Les sentiments religieux des Canadiens produisent chez eux une sorte d'indifférence devant la mort, dont les voyageurs se sont quelquefois étonnés et qu'ils ont pris pour de la dureté du coeur. Dans les campagnes on se réjouit plutôt qu'on ne s'afflige de la mort d'un enfant en bas âge, parce que c'est "un ange acquis au ciel". On donne des regrets à la mort des parents et des amis. mais ils sont de courte durée à cause de la certitude où l'on est de les retrouver dans l'autre vie. La religion des habitants est sèche peut-être, et dénuée de tendresse, mais elle a pour base une foi sérieuse.» (2)

(1) Archives publiques du Canada, MG 23 G111-118. Journal de Labadie, passim.
(2) Pierre Savard (dir,), Paysans et ouvriers québécois d'autrefois, Québec, Presses de l'Université Laval, 1968, p. 23 s.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30