Aragon Louis
«Fils illégitime d'une liaison entre Marguerite Toucas et un homme politique célèbre, Louis Aragon naît le 3 octobre 1897, à Paris. Son enfance toute entière se trouve du coup marquée par le mensonge et la dissimulation : pour sauver les apparences, sa mère se fait en effet passer pour sa sœur et sa grand-mère, pour sa mère adoptive, tandis que ses tantes deviennent ses sœurs et que son père devient un vague parrain, qui ne lui apprendra la vérité de sa naissance qu'avant son départ pour le front. Enfant précoce, il compose dès l'âge de six ans, dans l'atmosphère confinée d'une pension de famille où apparaissent de belles étrangères, de petits romans inspirés de Zola qu'il dicte à ses «sœurs» et dont il a publié plus tard l'un des volumes.
Après une brillante scolarité (il maîtrise en sixième le programme littéraire du baccalauréat) pendant laquelle il dévore tous les livres qu'il trouve, à commencer par Dickens (écrivain anglais), Tolstoï et Gorki (écrivains russes), il assiste à l'éclatement de la Première Guerre mondiale. Il échappe, de 1914 à 1916, à plusieurs vagues de départ pour le front et commence des études de médecine en 1915 tout en fréquentant assidûment la librairie d'Adrienne Monnier, grâce à laquelle il découvre Lautréamont, Apollinaire, Mallarmé, Rimbaud… Cela ne l'empêche pas de lire Barbusse, dont Le Feu (1916) fait sur lui une très forte impression.
Il est incorporé en 1917 et part pour le front où il rencontrera par hasard André Breton. Trois fois enseveli sous les bombes, Aragon survit cependant au conflit et se consacre avec une énergie décuplée à l'écriture, sous toutes ses formes: poétique avec Feu de Joie (1920), romanesque avec Anicet ou le Panorama, roman (1921). Il participe également à la création d'un mouvement artistique d'avant-garde (qu'on appellera le Dadaïsme) puis, à partir de 1924, à la naissance du Surréalisme qu'il sera le premier à théoriser avec Une vague de rêve (1924). Dès lors, sa dimension d'écrivain et de poète ne va cesser de s'accroître, notamment avec Le Paysan de Paris (1926), qui est un des sommets de la prose surréaliste de l'époque. Inscrit au Parti Communiste dès 1927, comme beaucoup de surréalistes (Breton, Eluard), Aragon se sépare peu à peu de ses amis qui refusent de se soumettre à la volonté d'un quelconque groupe et s'engage corps et âme dans la lutte politique.
Il rencontre en 1928 un jeune écrivain russe, Elsa Triolet, dont il ne se séparera plus. Il devient simple journaliste à L'Humanité et entame une nouvelle carrière de romancier avec Les Cloches de Bâle (1934) qui raconte l'évolution de plusieurs personnages bourgeois (et notamment des femmes) vers le communisme. Sur le modèle de Balzac et de Zola, Aragon entame alors un grand cycle romanesque qu'il appelle Le Monde réel avec Les Beaux Quartiers (1936), Les Voyageurs de l'Impériale (1939, récemment adapté pour le cinéma), Aurélien (1944), et enfin Les Communistes (1949-1951) qu'il réécrira entièrement en 1966-67. Mais la «drôle de guerre» et surtout la défaite de juin 40, feront réapparaître une autre facette de l'écrivain, celle du poète, dont la production, à partir de Crève-cœur (1939) marquera toute la période de la Résistance française avec, notamment, Les Yeux d'Elsa (1942), Brocéliande (1942), Le Musée Grévin (1943) et La Diane Française (1944). Après la Libération, Aragon, célébré et puissant, poursuit son engagement politique et soutient sans ambiguïté et sans doute en connaissance de cause les dérives staliniennes du communisme. Après la mort de Staline (1953) et le rapport Krouchtchev (1956), qui dénonce les atrocités commises sous le régime précédent, Aragon traverse une véritable crise qui le mènera au bord du suicide et dont il ne sort qu'en se livrant entièrement à la direction d'un grand hebdomadaire littéraire, Les Lettres françaises. Deux grandes œuvres naîtront cependant de cette crise: Le roman inachevé (1956), autobiographie poétique immédiatement saluée comme un chef-d'œuvre par toute la critique et La Semaine Sainte (1958), gigantesque reconstitution mi-historique mi-romanesque d'un des derniers épisodes de la carrière napoléonienne.
À partir de ce double succès, la production poétique et romanesque d'Aragon ne va cesser de s'amplifier, en marge des modes du Nouveau Roman : avec Les poètes (1960), Le Fou d'Elsa (1963), La Mise à mort (1965), Blanche ou l'oubli (1967), Les Communistes (seconde version) Henri Matisse, roman (1970), prodigieux roman où écriture et peinture se croisent et se rejoignent, et enfin Théâtre/roman (1971). Après la mort d'Elsa Triolet (1970), il poursuit comme il le peut ses activités politiques auprès de l'union de la gauche (il sera décoré par F. Mitterrand) et survit en changeant radicalement de style de vie et en affichant dans les médias ses relations homosexuelles, notamment avec Jean Ristat, lui-même écrivain et poète qui lui fermera les yeux le 24 décembre 1982. Sa mort sera suivie d'un concert étonnant de louanges et de cris de haine qui ne s'est guère estompé depuis. » (Auteur: Luc Vigier).
Source: Site Louis Aragon Elsa Triolet (catégorie: articles)
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Jugements sur Aragon
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JEAN DUTOURD
«Aragon, poète classique de ce Moyen Âge dans lequel nous sommes embourbés, a établi, pour son usage, une vaste théorie poétique [...].
Aragon a su nourrir son génie. Son appétit de lecture est insatiable, et cela se retrouve par-ci par-là dans son oeuvre. "Le génie égorge ceux qu'il pille", dit plaisamment Rivarol, songeant aux "emprunts" faits par Molière et Corneille à des devanciers moins grands qu'eux. Mais il est des cas aussi où le génie, tout en empruntant, ne pille ni n'égorge. Il s'agit d'une autre chose, que faute d'un meilleur mot j'appellerai la culture. Aragon a tout lu, et singulièrement les poètes. Il connaît comme personne le haut chant français; il en a suivi en connaisseur les modulations variées. Rien de ce que notre langue poétique renferme de beautés, concertées ou de hasard, ne lui est étranger.» (Introduction à Aragon: poésies 1917-1960, 1960)
EDGAR MORIN
«Aragon est le type d'une race d'homme qui croit effacer sans cesse la tache (imaginaire à l'origine) qu'il porte sur la main en se lavant dans la non moins imaginaire culpabilité d'autrui. Il était toujours prêt à dénoncer le flic qu'on lui désignait et même à en inventer d'inattendus.» (Autocritique, 1959)
JEAN D'ORMESSON
«[...] Louis Aragon, rebelle à l'enfance massacrée, mystificateur en tout genre, agitateur surréaliste, militant communiste, magicien tout terrain: son génie poétique et littéraire le situe parmi les plus grands écrivains français et l'approche de Hugo.» (Aragon (1897-1982). Un miroir du siècle, 1991)
«Gide, Proust, Claudel, Valéry, Saint-John Perse, Aragon, et tant d'autres, ouvrent indéfiniment des perspectives nouvelles et contribuent plus que personne à la gloire d'une langue française qui règne alors sans rivale.» (Et toi mon coeur pourquoi bats-tu? 2003)