Georg Wilhelm Friedrich Hegel

27 août 1770-14 novembre 1831
Éléments de biographie (Victor Cousin)
«George-Guillaume-Frédéric Hegel était né dans le Würtemberg, à Stuttgart, le 27 août 1770. Il fit au gymnase, de sa ville natale d'excellentes études, et à dix-huit ans il entra au séminaire théologique de Tübingen, où il rencontra son compatriote Schelling, plus jeune que lui de quelques années, mais que son esprit inventif et hardi avait rapidement porté à la tête de ses condisciples. Les deux jeunes gens y formèrent une amitié qui semblait devoir être d'autant plus solide que le nœud en était.précisément dans le parfait contraste de leur caractère et de leurs qualités, celui-ci doué d'un coup d'œil perçant, celui-là d'une rare puissance d'attention et de réflexion, tous les deux se trouvant ainsi utiles, nécessaires même l'un à l'autre. Ils restèrent plusieurs années dans l'austère et docte maison que l'année suivante je me complus à aller visiter à Tübingen, et qui renferma quelque temps sous son humble toit les deux hommes qui devaient plus tard jeter un si grand éclat et achever le cycle de la philosophie allemande ouvert par Kant et développé par Fichte.

M. Schelling s'étant rendu à Iéna et s'y étant fait vite une haute situation, M. Hegel, à la mort de son père, qui lui laissa un bien très médiocre, alla rejoindre son ami, et, étant promptement entré dans ses récentes opinions, il lui servit de second dans les combats qu'eut à soutenir la philosophie nouvelle. C'est là qu'il fit ses premières armes et commença à se faire connaître par un petit écrit destiné à établir la Différence du Système de Fichte et de celui de Schelling. Il rédigea ensuite avec M. Schelling un Journal critique de philosophie. Il n'était encore en 1801 que privat docent, et il ne devint professeur extraordinaire qu'en 1805.

M. Hegel demeura à Iéna jusqu'à la bataille qui, en 1806, mit fin au vieux prestige militaire de la Prusse. Il m'a souvent raconté que c'est la veille même de cette bataille qu'il termina son premier grand ouvrage. Retiré la nuit dans un pavillon solitaire, il était occupé à en corriger les dernières feuilles, lorsqu'il entendit les premiers coups de canon. Cet ouvrage était la Phénoménologie de l'esprit, qui parut en 1807 sans faire beaucoup de bruit au milieu des tempêtes qui bouleversaient l'Allemagne. (suite)»

VICTOR COUSIN, «Souvenirs d'Allemagne», Revue des deux mondes, tome 64e, 1866



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Temps cyclique et temps linéaire dans la philosophie de l'histoire de Hegel

«Dans sa philosophie de l'histoire, Hegel reprendra et développera l'idée selon laquelle une fin supérieure se réalise pleinement dans l'histoire malgré l'absence de collaboration des êtres humains. De ce fait, le mouvement linéaire qui permet à cette fin de se réaliser en dépit de cette forme de négativité ne pouvait se développer de façon continue; il requérait plutôt un processus complexe qui allait s'exprimer dans une longue succession de cycles dont chacun pouvait fort bien se solder par une désagrégation, pour peu qu'il rende néanmoins possible son propre dépassement. Pour mieux traduire la subtile complémentarité des moments d'un tel processus où tiennent ensemble un mouvement cyclique et un mouvement linéaire, ou, plus exactement, pour proposer une représentation synthétique et condensée du mécanisme qu'il qualifiera de dialectique, Hegel a recouru astucieusement aux ressources de la langue allemande. Comme on l'a si souvent fait observer, il a su exploiter, en effet, la double connotation du terme Aufhebung que seule une conjonction de termes comme «suppression» et «dépassement» parvient à rendre en français. Or ces deux termes mettent assez clairement l'accent sur les deux volets de la notion hégélienne d'Aufhebung qui renvoient respectivement aux représentations cyclique et linéaire de la temporalité historique. Aussi, pour Hegel, l'histoire se développera-t-elle grâce à une succession de cycles, ou de moments dialectiques, qui engendreront un irréversible mouvement linéaire assurant la pleine réalisation de l'Esprit et, par le fait même, la pleine réalisation de l'humanité. Pour revenir à l'imagerie géométrique qui nous a servi à caractériser d'autres approches, disons que la représentation hégélienne de la temporalité historique évoquera soit une hélice si l'on observe le cours du temps en voyant se dérouler «de l'extérieur» ses phases successives, soit une spirale si on se place par la pensée au point terminal de ce mouvement dialectique.

Quoi qu'il en soit de cette imagerie géométrique forcément un peu grossière, l'important est de bien voir que chaque nouveau cycle reprend en les portant à un niveau supérieur les moments du précédent. L'histoire sera cyclique en ce sens que chaque peuple qui joue un rôle dans l'histoire connaît successivement une période de formation, une période de maturité et enfin une période de chute et de décadence qui a lieu «sous le choc de l'instrument futur de l'histoire universelle». Hegel adopte même sur ce point une position très catégorique: «C'est une marche identique, nous pouvons le dire une fois pour toutes, que nous trouverons d’une manière générale dans la vie de tout peuple de l'histoire universelle.» Mais l'histoire, pour Hegel, ne se ramène pas à cette série de manifestations de génies nationaux: «Les principes des génies nationaux en une série nécessaire ne sont eux-mêmes que les moments de l'unique esprit universel qui grâce à eux dans l'histoire s'élève à une totalité [...] » Bref, chaque empire qui a une fonction dans l'histoire universelle «passe» au suivant «le sceptre et la civilisation». Parce que cette idée de passage dont l'histoire serait le théâtre lui paraît cruciale, Hegel s'efforce d'en dégager le sens proprement philosophique en nous assurant que l'esprit «s'objective et pense son être» en transformant «la détermination substantielle» du «génie national» auquel il a affaire, de manière à ce que ce génie national s'épanouisse en un autre qui lui est «certes supérieur». L'histoire est donc, pour Hegel, une marche progressive et donc linéaire de l'esprit qui accède à la liberté et à la pleine conscience, mais cette marche n'est pas simplement, comme chez Condorcet, soumise ça et là à quelque retard ou à quelque déviation passagère; c'est avant tout par le biais de la désagrégation impitoyable des plus grandioses conquêtes de la civilisation qu'elle progresse et permet à l'esprit et à l'humanité de passer à un stade supérieur en se rapprochant ainsi d'une ultime autoréalisation.»

MAURICE LAGUEUX, Actualité de la philosophie de l'histoire, Québec, Presses de l'Université Laval, 2001, p. 100-102

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