Philosophie de soutien à la petite entreprise
En 1985, la petite ville d’Espérance, en Australie, était une des plus endettées du monde rural. À cette époque, le monde rural souffrait de dépression et l’industrie des pêcheries broyait du noir. Après des années de laisser-aller, des limitations drastiques avaient été introduites et la flotte de pêche était passée de quarante-cinq à sept bateaux. Le chômage des jeunes frisait les 20%. Au milieu de ce marasme, Ernesto Sirolli surgit avec une grande foi dans la capacité des gens à sortir de leurs difficultés économiques. Son intuition première était que la clé du développement économique se trouvait dans la capacité de soutenir les idées émanant des populations concernées. Estimant que la grandeur peut se trouver partout, il eut la patience de s’asseoir, d’écouter et d’attendre qu’elle se manifeste. À mesure que les idées surgissaient, il évaluait, non pas la viabilité d’un plan d’affaires mais la passion et l’engagement des citoyens proposant leurs idées pour un avenir meilleur.
C’est ainsi que Sirolli a prêté l’oreille à Mauri, un pêcheur qui voulait fumer le poisson dans son garage, ou aux hippies fabricants de sandales qui avaient des idées pour améliorer leur commerce. À première vue, ces candidats n’étaient pas les plus brillants, mais ils étaient passionnés et avec son aide, ils ont pu mener leur lutte. Trois ans plus tard, Espérance comptait 45 nouvelles entreprises cumulant un revenu annuel de 7,1 millions de dollars et employant 71 personnes à temps plein.
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui pensent que rien ne va plus. Certains vont jusqu’à penser que la manière dont nous décrivons le monde n’a plus de sens. Ernesto Sirolli est d’accord avec eux. Nous avons effectivement besoin d’une nouvelle description.
Le chômage, le crime et l’aliénation sont monnaie courante dans nos sociétés. Pour faire face à ces maux, de nombreux programmes ont été mis sur pied, mais les résultats de ces efforts sont rarement une source d’inspiration, et il peut même arriver qu’ils fassent plus de tort que de bien. Chose certaine, l’expérience montre que les stratégies traditionnelles ne fonctionnent pas comme elles devraient.
Contrairement à ces approches, qui vont du haut vers le bas, la méthode Sirolli commence avec la croyance dans le fait que la passion et le caractère imprévisible sont parties intégrantes du développement économique durable. Son approche originale, qui sera décrite ci-après, a fait ses preuves auprès de plus de 200 communautés.
Ce qu’on appelle en anglais Entreprise Facilitation diffère de l’approche traditionnelle du développement économique des communautés. Cette nouvelle approche, centrée sur la personne, s’appuie sur les travaux d’Abraham Maslow, Carl Rogers et E.F. Schumacher. Sa principale prémisse est que le développement durable est lié aux aspects qualitatifs plutôt que quantitatifs de la vie: fournissez aux gens des occasions véritables et ils lutteront pour les faire fructifier.
Les théologiens utilisent le terme latin acedia pour désigner le péché de ceux qui ne font pas tout ce qu’ils pourraient de leur vie. Dans le même esprit, Sirroli considère que toute action prend sa source dans l’âme humaine et que tout un chacun a des talents cachés qui ne demandent qu’à s’exprimer. Pour lui, le devenir est un impératif moral, ce qui signifie que nous avons collectivement la responsabilité de créer des occasions qui permettront aux gens de retourner à la société le profit des dons qu’ils ont reçus avec la vie. Il s’agit de promouvoir le développement personnel passant par le «bon travail», qui est défini comme la faculté de faire de son mieux à l’intérieur de la vocation choisie.
La passion humaine est au coeur de cette approche. Les individus passionnés ont plus de chances de réussir que ceux qui se contentent de suivre le courant. Sirolli remarque que le mot développement comprend la racine vellum, qui signifie un enchevêtrement de laine. Le rôle du développeur est de voir clair dans cet enchevêtrement, afin de permettre à la semence ou passion de grandir.
Aujourd’hui, il n’est pas rare d’entendre parler d’approche du développement centrée sur la personne. On se gargarise de cette expression dans les domaines des services sociaux, de l’éducation et même des affaires. Pourtant, la plupart de ceux qui l’utilisent se trouvent dans des institutions très hiérarchisées qui ont des programmes, des stratégies et des structures incompatibles avec une pratique qui serait réellement axée sur les personnes. La passion n’a rien à voir avec les institutions et les stratégies de planification. On ne saurait planifier l’innovation et les idées nouvelles. Celles-ci doivent se manifester d’elles-mêmes.
Le modèle de Sirolli intègre une technologie sociale qui assure un développement favorisant les individus. Il s’agit de créer les conditions qui rendront possible l’innovation. Ce modèle fonctionne comme suit. Une fois qu’une communauté a pris la décision de s’engager, un comité est formé et un consultant fournit gratuitement tous les renseignements nécessaires aux personnes intéressées à faire valoir leurs idées. La formation du consultant ne l’amène pas à diriger ou à motiver les intervenants mais il s’agit plutôt pour lui d’attendre les clients potentiels intéressés par le service. La première forme de marketing passe par les rencontres en présence réelle.
Ces consultants disposent de trois outils pour assister leurs clients. La première chose à faire est d’écouter attentivement la personne intéressée, afin d’évaluer jusqu’à quel point elle est passionnée pour son idée, et de repérer éventuellement toute incongruité dans sa présentation. Il faut ensuite lui parler de la trilogie que constituent la production, le marketing et le financement. En partant de la prémisse qu’un entrepreneur qui a du succès ne réussit pas seul, le consultant amène son client à bien évaluer ses besoins et ses forces. Les avenues du partenariat et des réseaux sont explorées avec lui. Le troisième outil est celui du plan d’affaires. Sans être des experts financiers, les conseillers peuvent utiliser des données approximatives, pour repérer les points faibles et donner leur avis sur la manière de diriger une entreprise. Ils donnent des références et trouvent des ressources appropriées.
Le comité dont il a été question plus haut est recruté et formé en vue de répondre aux besoins du client. Son travail est de mettre en contact le consultant et ses clients potentiels. Ce sont les besoins des clients qui importent et l’activité part de la base (contrairement à ce qui se passe habituellement dans les comités d’entreprises), avec pour résultat que le client trouve dans le comité une équipe dont le but est de l’aider à développer son entreprise en lui permettant de trouver les contacts et les ressources nécessaires. En vérité, un bon réseau est tout ce dont nous avons besoin pour réussir. On a donc fait un grand pas en avant du seul fait d’introduire un réseau dans la structure du développement économique d’une communauté.
Sirolli travaille présentement en Alberta et en Colombie-Britannique. Les villes de Camrose et de New Westminster ont opté pour une philosophie de soutien à l’entreprise, en vue de développer une base économique durable pour leurs populations. Les responsables utilisent la philosophie de Sirolli pour stimuler le potentiel de l’esprit humain et l’amener à développer ses plus grands talents en vue d’assurer un futur viable et brillant à leurs concitoyens.