Prométhée

Prométhée, c'est ce héros grec dont la légende dit qu'il a dérobé le feu aux dieux. D'abord patron des arts et des sciences chez les Grecs, il est devenu le symbole du progrès, de l'homme à la fois conquérant et victime de sa démesure. Après avoir commis son acte audacieux, considéré par les dieux comme une démesure, Prométhée a été condamné à une dure expiation: être attaché à un rocher du Caucase et avoir le foie dévoré par les aigles à perpétuité car cet organe avait chez lui la particularité de se régénérer. A cause de cette expiation, certains ont vu en Prométhée une préfiguration du Christ. C'est le sens que Simone Weil a donné ce passage du Prométhée enchaîné d'Eschyle qu'elle a elle-même traduit et qui était semblable à ses yeux à certains passages du Livre de Job.

« O divin ciel, rapides ailes des vents,
ô fleuves et leurs sources, ô de la mer et des flots
innombrable sourire, et toi, mère de tout, terre,
et celui qui voit tout, le cercle du soleil, je vous appelle;
voyez-moi, ce que les dieux font souffrir à un dieu. »
(Simone Weil, La source grecque, Paris, Gallimard, 1953, p. 46)

***


"Le culte du feu, chez tous les peuples de l'antiquité, suivit de près celui qu'on rendit au Soleil et à Jupiter, c'est-à-dire à l'astre dont les rayons bienfaisants réchauffent et éclairent le monde, et à la foudre qui déchire la nue, frappe la terre, consume la nature vivante et répand au loin la consternation et l'effroi. Évidemment les premiers hommes, dont les regards se portaient avec crainte et admiration vers les feux célestes, ne tardèrent pas non plus à remarquer avec étonnement les feux de la terre. Pouvaient-ils ne pas admirer la flamme des volcans, les phosphorescences, les gaz lumineux, les feux follets des marécages, l'incandescence produite par le frottement rapide de deux morceaux de bois, l'étincelle qui jaillit du choc de deux cailloux ?

Cependant, le feu ne leur semblait pas être fait pour leur usage, c'était un élément dont la divinité avait le secret, et qu'elle s'était réservé comme un privilège précieux. Comment capter ces foyers de chaleur et de lumière placés à une telle hauteur au-dessus de leur tête, ou enfouis si mystérieusement sous leurs pieds ?

Celui qui le premier leur procurerait le feu ne pouvait donc être à leurs yeux un simple mortel, mais plutôt un Titan, un émule hardi et heureux de la divinité, ou, pour mieux dire, un véritable dieu. Tel fut Prométhée.

Fils de Japet et de l'Océanide Clymène, ou, selon d'autres, de la Néréide Asia, ou encore de Thémis, sœur aînée de Saturne, Prométhée, dont le nom en grec signifie “ prévoyant ”, ne fut pas seulement un dieu industrieux, mais plutôt un créateur. Il remarqua que, parmi toutes les créatures vivantes, il n'y en avait pas encore une seule capable de découvrir, d'étudier, d'utiliser les forces de la nature ; de commander aux autres êtres, d'établir entre eux l'ordre et l'harmonie, de communiquer par la pensée avec les dieux, d'embrasser par son intelligence non seulement le monde visible, mais encore les principes et l'essence de toutes choses : et du limon de la terre il forma l'homme.

Minerve, admirant la beauté de son ouvrage,offrit à Prométhée tout ce qui pouvait contribuer à sa perfection. Avec reconnaissance, Prométhée accepta l'offre de la déesse, mais ajouta que, pour choisir ce qu'il conviendrait le mieux à l'œuvre qu'il avait créée, il lui fallait voir lui-même les régions célestes. Minerve le ravit au ciel, et il n'en descendit qu'après avoir dérobé aux dieux, pour le donner à l'homme, le feu, élément indispensable à l'industrie humaine. Ce feu divin qu'il apporta sur la terre, Prométhée le prit, dit-on, au char du Soleil, et le dissimula dans la tige d'une férule, bâton creux.

Irrité d'un si audacieux attentat, Jupiter ordonna à Vulcain de forger une femme qui fût douée de toutes les perfections, et de la présenter à l'assemblée des dieux. Minerve la revêtit d'une robe d'une blancheur éblouissante, lui couvrit la tête d'un voile et de guirlandes de fleurs qu'elle surmonta d'une couronne d'or. En cet état, Vulcain l'amena lui-même. Tous les dieux admirèrent cette nouvelle créature, et chacun voulut lui faire son présent. Minerve lui apprit les arts qui conviennent à son sexe, entre autres l'art de faire de la toile. Vénus répandit le charme autour d'elle avec le désir inquiet et les soins fatigants. Les Grâces et la déesse de la Persuasion ornèrent sa gorge de colliers d'or. Mercure lui donna la parole avec l'art d'engager les cœurs par des discours insinuants. Enfin, tous les dieux lui ayant fait des présents, elle en reçut le nom de Pandore (du grec pan, “ tout ”, et doron, “ don ”). Pour Jupiter, il lui remit une boîte bien close, et lui ordonna de la porter à Prométhée.

Celui-ci, se défiant de quelque piège, ne voulut recevoir ni Pandore, ni la boîte, et recommanda même à son frère, Epiméthée, de ne rien recevoir de la part de Jupiter. Mais Epiméthée, dont le nom en grec signifie “ qui réfléchit trop tard ”, ne jugeait des closes qu'après l'événement. À l'aspect de Pandore, toutes les recommandations fraternelles furent oubliées, et il la prit pour épouse. La boîte fatale fut ouverte et laissa échapper tous les maux et tous les crimes, qui depuis se sont répandus dans l'Univers. Épiméthée voulut la refermer ; mais il n'était plus temps. Il n’y retint que l'Espérance qui était près de s'envoler, et qui demeura dans la boîte hermétiquement refermée.

Jupiter, enfin, outré de ce que Prométhée n'avait pas été dupe de cet artifice, ordonna à Mercure de le conduire sur le mont Caucase, et de l'attacher à un rocher, où un aigle, fils de Typhon et d'Échidna, devait lui dévorer éternellement le foie. D'autres disent que ce supplice ne devait durer que trente mille ans.

Suivant Hésiode, Jupiter n'emprunta pas le ministère de Mercure, mais attacha lui-même sa malheureuse victime, non à un rocher mais à une colonne. Il le fit cependant délivrer par Hercule, voici pour quels motifs et dans quelles conditions.

Depuis sa punition, Prométhée ayant empêché, par ses avis, Jupiter de faire la cour à Thétis, parce que l'enfant qu'il aurait d'elle le détrônerait un jour, le maître des dieux, par reconnaissance, consentit qu'Hercule allât le délivrer. Mais, pour ne pas violer son serment de ne jamais souffrir qu'on le déliât, il ordonna que Prométhée porterait toujours au doigt une bague de fer, à laquelle serait attaché un fragment de la roche du Caucase, afin qu'il fût vrai, en quelque sorte, que Prométhée restait toujours lié à cette chaîne.

Dans Eschyle, c'est Vulcain, qui, en sa qualité de forgeron des dieux, enchaîne Prométhée sur le Caucase, mais ce n'est qu'en gémissant qu'il obéit à l'ordre de Jupiter, car il lui en coûte d'user de violence envers un dieu qui est de sa race.

Chez les Athéniens, la fable de Prométhée était populaire ; on se plaisait à raconter même aux enfants les malices ingénieuses faites par ce dieu à Jupiter. N'eut-il pas, en effet, l'idée de mettre à l'épreuve la sagacité du maître de l'Olympe, et de voir s'il méritait réellement les honneurs divins ? Dans un sacrifice, il fit tuer deux bœufs, et remplit l'une des deux peaux de la chair et l'autre des os de ces victimes. Jupiter fut dupe, et choisit la dernière ; mais il ne se montra que plus impitoyable dans sa vengeance.

À Athènes, Prométhée avait ses autels dans l'Académie, à côté de ceux qui étaient consacrés aux Muses, aux Grâces, à l'Amour, à Hercule, etc. On ne pouvait oublier que Minerve, protectrice de la ville, avait été la seule des divinités de l'Olympe à admirer le génie de Prométhée et à l'aider dans son œuvre. À la fête solennelle des Lampes, aux Lampadophories, les Athéniens associaient aux mêmes honneurs Prométhée qui avait dérobé le feu au ciel, Vulcain, maître industrieux des feux de la terre, et Minerve qui avait donné l'huile d'olive. À l’occasion de cette fête, les temples, les monuments publics, les rues, les carrefours étaient illuminés ; on instituait des jeux et des courses au flambeau comme pour la fête de Cérès. La jeunesse athénienne se rassemblait le soir près de l'autel de Prométhée, à la clarté du feu qui brûlait encore. À un signal donné, on allumait une lampe que les prétendants au prix de la course devaient porter sans l'éteindre, en courant â toutes jambes, d'un bout du Céramique à l'autre.

Le feu étant considéré comme un élément divin, il était naturel qu'il eût sa place dans tous les cultes et sur presque tous les autels. Un feu sacré brûlait dans les temples d'Apollon, à Athènes et à Delphes, dans celui de Cérès, à Mantinée, de Minerve et même de Jupiter. Dans les prytanées de toutes les villes grecques, on entretenait des lampes qu'on ne laissait jamais éteindre. À l'imitation des Grecs, les Romains adoptèrent le culte du feu, qu'ils confièrent aux soins des Vestales.

Le jour des noces, à Rome, avait lieu une cérémonie curieuse et symbolique. On ordonnait à la nouvelle mariée de toucher au feu et à l'eau. “Pourquoi? observe Plutarque. Est-ce parce que, entre les éléments dont sont composés tous les corps naturels, l'un de ces deux, à savoir le feu, est le mâle, et l'eau, la femelle, l'un étant le principe de mouvement, l'autre la propriété de substance et de matière ? Ou n'est-ce pas plutôt parce que le feu purifie, que l'eau nettoie, et qu'il faut que la femme demeure pure et sans tache toute sa vie ?”"

Pierre Commelin (1837- ), "Le Feu, Prométhée, Pandore, Épiméthée", dans Mythologie grecque et romaine. On trouvera, sur le site Les classiques des sciences sociales, une édition électronique de cette ouvrage de Commelin, avec de nombreuses illustrations, réalisée à partir de l'édition imprimée suivante : Paris, Éditions Garnier et Frères, 1960, 516 p.

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