De Mickey Mouse à Frédérick Back
Il n'empêche que Mickey Mouse en a indisposé plusieurs lundi soir dernier à la remise des Oscars. Il a volé la vedette au film primé au point que nous n'avons entrevu ni Elzéard plantant ses chênes, ni la course joyeuse des chevaux dans les collines. L'occasion était bonne sans doute pour souligner l'anniversaire de Mickey, mais de là à lui donner toute la place, et toute la publicité dans un événement mondial qui sert déjà si bien les intérêts américains!
Derrière cette inconvenance, on pouvait même voir un inquiétant refus de faire appel à l'intelligence des spectateurs. Frédéric Back venait d'obtenir l'Oscar du film d'animation pour la deuxième fois. On peut donc dire qu'il fait époque. Or, pour ce qui est du contenu, - aussi bien que de la technique, disent les connaisseurs, - son oeuvre marque un incontestable progrès par rapport à l'art de l'époque caractérisée par Mickey Mouse. Voilà ce qu'il aurait fallu mettre en lumière.
Mais aurait-on pu le faire sans forcer le public à réfléchir sur un type de film d'animation, genre Mickey Mouse, dont le premier but est de détourner le même public de la réflexion.
Qui est Mickey Mouse? Quelle est son influence sur tous ceux qu'il distrait depuis si longtemps? Il est petit, donc sympathique, mais il est aussi puissant, dégourdi comme Tintin et par là il est rassurant. Il combine la faiblesse que les archétypes prêtent à la femme et à l'enfant et la force que les mêmes archétypes prêtent aux hommes. Ainsi doué par la nature, ou plutôt par la culture, il rétablit toujours les situations en sa faveur. La recette est infaillible. Il ne restait qu'à ajouter l'élément comique et une technique impeccable.
Mais à y regarder de plus près, on constate que Mickey incarne une vision du monde diamétralement opposée à celle d'Elzéard Bouffier, et c'est ce qui rendait l'inconvenance de lundi soir dernier si choquante.
Mickey c'est l'animal qui n'en n'est pas un - il est plutôt un automate -dans une nature qui n'en est plus une, puisqu'elle ne sert que de fond de scène et de réservoir de matériaux pour les exploits de Mickey; lequel, sans être un homme, n'en incarne pas moins le vieux rêve prométhéen de domination des hommes sur la nature.
Est-il seulement nécessaire de rappeler que l'inspiration de Frédéric Back est à l'extrême opposé. Loin d'être des automates, ses animaux sont encore plus vivants que la vie elle-même. Là précisément se trouve le miracle de son art.
Il y a d'autre part une ambiguité dans l'expression film d'animation. Anima! Ce mot signifie âme. Où est l'âme dans les films de Mickey? Et où est le sens? En quoi est-on plus profond, plus sage, plus vivant après les avoir vus? On est seulement plus détendu. Ces films n'agissent que sur le plan mécanique des réflexes conditionnés. Tout au plus trouve-t-on une morale de preacher à la fin des histoires. À proprement parler, ce ne sont pas des films d'animation, mais des films d'automation.
Tandis que dans ses films, dans le dernier notamment, Frédérick Back semble avoir pour unique souci de faire revivre l'âme. Et il y parvient, sans jamais tomber dans l'animisme, sans jamais attribuer à l'âme des pouvoirs magiques qui ne correspondraient à aucune expérience authentique dans l'humanité actuelle. Appliqué à ses films, le mot animation prend tout son sens.
Mais qu'est-ce que l'âme? Il nous faut précisément des films comme L'homme qui plantait des arbres pour le réapprendre, ou des poèmes comme celui que l'empereur Hadrien nous a laissés avant sa mort: Ame tendre (...) tu devras renoncer aux jeux d'autrefois. Un instant encore. Regardons ensemble les rives familières, les objets que sans doute nous ne reverrons plus... Tâchons d'entrer dans la mort les yeux ouverts.
Frédérick Back nous aide à regarder le monde de la même manière avec, en plus, le sentiment que les rives familières ne seront peut-être plus là pour éveiller chez nos descendants le regret par qui l'âme s'éveille.