L'Encyclopédie sur la mort


Un cimetière : un espace mort ?

Xavier Baron.

Existe-t’il encore une place pour les morts dans nos villes ? Quand plus d’1% de l’espace des grandes villes belges est affecté aux sépultures, certaines personnes s’interrogent sur l’opportunité de cette localisation intra-muros, d’autres convoitent ces espaces "morts" pour des affectations plus rentables. A l’heure où la crémation gagne du terrain mais est encore loin d’être généralisée, où la mort a été séparée du monde des vivants, quel futur et quels rôles pour le cimetière ? Monsieur Schmitz, Chargé de cours adjoint en géographie à l’Université de Liège (ULg) fût notre intervenant.
Dans nos sociétés modernes où les rentes foncières sont élevées, pourquoi conserver un espace peu fréquenté, réservé uniquement aux morts ? Quelle utilité pour ces espaces ? Les mentalités changent, en 2000, 35.000 des 105.000 personnes décédées sur le territoire belge seront incinérées. Alors que ce pourcentage augmente d’année en année, est-il encore opportun de réserver de l’espace au cimetière ? Qu’est-ce que un cimetière et à quoi sert-il ? Quel regard le géographe peut-il poser sur ces interrogations ? Autant de question autour desquelles s’articulera le café.

Spatialement, imaginées dans un mode de pensées différent, témoins d’un système culturel passé, les structures que sont ces cimetières sont assez inadaptées au fonctionnalisme urbain actuel. Pourtant, une part de la population reste fortement attaché à leur cimetière. D’un point de vue migratoire, les transferts post-mortem sont les négatifs des migrations. Compte tenu de l’attachement à certains lieux, d’une raison sentimentale voire matérielle (caveau familial), nombreux sont ceux qui sont enterrés loin de l’endroit de décès.

Depuis la loi de 1971, les principaux modes d’inhumation sont les suivants : inhumation en concession (durée de 30 à 50 ans), inhumation gratuite de la part de la commune pour une durée au minimum de 5 ans, ensuite les os prennent la direction d’un ossuaire, incinération puis, dispersion des cendres sur une pelouse réservée dans l’enceinte du cimetière ou, conservation des cendres dans une urne placée dans un colombarium.

Dans les années 1990 apparaît la dispersion en mer, la loi est adaptée ; pour solutionner les soucis de vent, les cendres sont emballées dans du sel.

Depuis févier 2001, existe la possibilité de disperser ou d’inhumer où l’on veut. Des restrictions tout de même : on ne disperse pas dans un lieu public autre que le cimetière et une autorisation du propriétaire est obligatoire. Les cendres peuvent aussi être conservées au domicile, mais ne pourront être dispersées sur la voirie.

Petit à petit disparaît l’endroit où l’on se souvient des morts. Quelles en seront les conséquences ?

D’un point de vue géographique, comment cela se passe t’il ailleurs ? Les pratiques sont très fortement liées à la culture, si le cadre culturel est différent, ce n’est pas facile de tirer des enseignements pour nos cultures. Plutôt que d’aller voir ailleurs, regardons ce qui s’est passé chez nous aux cours des siècles. Ceci nous permet de mieux comprendre les structures idéelles et matérielles héritées du passé et d’entrevoir des possibilités d’évolution.

A l’époque romaine les morts ne pas appréciés à proximité des vivants, les corps sont menés en dehors des villes, les tumulus apparaissent hors des agglomérations. L’avènement du christianisme va rompre cette distance. A partir du 5ème siècle, les morts se rapprochent des vivants. La manière de se représenter la mort évolue, pour ressusciter, il faut que l’endroit où le corps se trouve ne soit pas profané. La solution adoptée est d’enterrer les morts à proximité des martyrs afin de profiter de la protection de ces derniers (profanation et voyage vers le paradis). Des villes ont vu le jour via cette dynamique (Arras). Les contemporains de cette époque ont plutôt une vision collective de la mort.

A contrario, les 10 - 11ème siècles sont les témoins d’une individualisation de la mort. Les mieux nantis paient pour être proches ou dans l’église, le plus proche du cœur. C’est le début de l’individualisation du cimetière. A cette époque, le cimetière est multi-fonctionnel, c’est l’endroit où l’on rend la justice, où les grandes décisions sont prises, le lieu de marché, des troupeaux y paissent, on y bat le blé, lieu de jeu, voire de prostitution. Le cimetière est un lieu de fréquentation, pas dévoué au culte des morts, c’est une forme de zone franche où peut même s’y développer la criminalité.

De cet excès naquit au 17ème siècle une réglementation, un mur est construit autour de ce lieu. Le cimetière passe d’un espace multi-fonctionnel à un espace mort. Fin 17ème, début 18ème apparaissent les monuments.

Entre le 5ème et le 18ème siècle, il n’y a pas de véritable croissance, de saturation. Pour pouvoir placer de nouveaux corps, les gens récupéraient les os, les plaçaient dans un ossuaire et récupéraient l’emplacement libéré. Géomorphologiquement, les cimetières médiévaux sont toujours surélevés : la hauteur des cimetières, un indice de leur ancienneté ?

Dans le courant du 17ème siècle, l’église s’attèle de nouveaux équipements (chemin de croix, sacristie, ...). Ce changement structurel provoque le déplacement du cimetière. Le 18ème siècle est aussi celui où médecine et philosophie prennent du poids, on se rend compte que l’hygiène publique est menacée par les pratiques mortuaires : le cimetière est déménagé du centre ville vers les périphéries. Le cimetière est perçu comme un lieu de conservation de la mémoire. C’est l’époque de la loi de Précial, cette loi envisage tous les aspects, par exemple : situation du cimetière à plus de 35 mètres d’un puit, hauteur des murs d’enceinte, situation au nord (retarder la décomposition), interdiction de la superposer les corps, en toute généralité, la place réservée est celle de cinq fois celle d’une année, la commune peut octroyer une concession si le cimetière est assez vaste.

Au cours du 19ème, du 20ème siècle, le système de concession va se généraliser. Le cimetière devient un lieu de culte des morts, un lieu de prière, de visite, les morts ont plus d’importance. La séparation entre mort et vivant est encore renforcée. Dans le courant du 19èmle siècle, l’ancrage de la résurrection, du paradis est fort, il faut conserver au mieux le corps pour le réveil. Les cimetières deviennent de plus en plus grands. Les villes grandissent, les cimetières des périphéries sont engloutis dans l’espace urbain. Les nouveaux cimetières sont implantés aux frontières des communes, ils sont plus grands, munis d’un parking.

Actuellement, c’est plutôt chacun chez soi ou une dispersion des cendres. Les cimetières deviennent parcs. Depuis 1971, les concessions sont limitées à 50 ans, éventuellement renouvelables.

En Belgique l’enterrement musulman n’est pas légal, mais tout de même permis, des parcelles sont réservées. Le cimetière militaire est rarement situé au centre des villes, il a une vocation touristique, de promenade mais aussi de mémoire collective. Les cimetières sont parfois convertis en parc, l’aspect mémoire est perdu, il est munis de mobilier urbain (poubelles, bancs). Un cimetière transformé en parc devrait être vu comme un autre rôle de ce cimetière, un témoin du passé, un livre d’histoire et de sagesse, un lieu d’intérêt scientifique, touristique. Les cimetières sont des lieux de recueillement, pas nécessairement pour penser aux morts. Ces lieux risquent de se perdrent à l’avenir avec la forme de dématérialisation qui est la nôtre actuellement. Les gens ne veulent plus vivre le deuil pendant longtemps, la société ne laisse pas le temps d’avoir un long deuil. Néanmoins, la famille désire tout de même avoir quelque chose lorsque un de ses membres décède (cendres lors d’un accident d’avion). On ne réalise pas si on ne voit rien de palpable.

Les mentalités changent aussi pour les moments juste avant l’inhumation, de plus en plus, l’on a recours à un funérarium pour les visites, on veut moins voir les corps chez soi. Alors que l’enterrement est parfois, le seul moment de rencontre familial.

Environ 50% des gens se rendent au cimetière une fois par an, après 33 ans, une tombe n’est plus visitée. Si l’incinération est de plus en plus au goût du jour, que vont devenir ces espaces devenus friches ? Politiquement, ils sont du ressort du ministère de l’intérieur. Ces superficies ont tout de même un réel intérêt urbanistique. De plus, assainir coûte très cher, surtout s’il faut transférer les ossements vers d’autres lieux. Légalement, ces espaces ne peuvent être réaffectées à l’agriculture.

De plus en plus, on disperse les cendres, mais on veut matérialiser par une plaque, un souvenir.

Pour en savoir plus

SCHMITZ S., 1995. " Un cimetière, une communauté, un espace : l’exemple liégeois ". Géographie et cultures, Paris, n°16 : 93-104.

SCHMITZ S., 1999. " Les transferts post-mortem : réinterprétation symbolique du lieu d’enterrement dans un contexte de mobilité des populations ". Espaces et Sociétés, Paris, n°99 :143-158

Bruxelles, au Kan’h (07/11/01)
http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=336
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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