L'Encyclopédie sur la mort


À la vie, à la mort

Angéline Neveu

Les Notes brèves extraites de son journal nécrologique sont comme le témoignage d'une vie marquée, dès l'enfance, par l'enchaînement de deuils* vécus dans la douleur et dans la violence de la séparation. Les diverses étapes, qui jalonnent sa vie de poète, l'ont conduite jusqu'à la conscience aiguë de l'importance de son identité, de son autonomie* et de sa liberté*. Celles-ci ont pour elle tant de prix qu'elle veut les préserver coûte que coûte en se tournant résolument vers la vie.
Cessation de vie, succession de trépas, la mort a jalonné mon existence, dans la proximité à peine discontinue d’une cohabitation subtile au fil du temps passé sur terre…

À sept ans, j’appris la mort de mon grand-père italien, le père de ma mère, un musicien.
J’avais perdu une dent en rêve et selon les superstitions de maman, c’était le signe annonciateur d’une mort certaine. Et il en était la preuve.

À l’âge de mes quinze ans, ma sœur aînée, s’allongea de nuit dans sa rivière en plein mois de janvier après avoir bu un litre de scotch. Elle en mourut.
Par protection mais surtout par ignorance, je fus tenue à l’écart de ses funérailles. Je ne la revis jamais. En revanche je ne pus m’en détacher pendant plusieurs décennies, cultivant son fantasme d’héroïne qu’elle avait toujours été à mes yeux, sa mort volontaire.

À vingt-quatre ans, je fus chargée d’accompagner mon père pendant son transport en ambulance entre deux hôpitaux. Je recueillis ses dernières paroles qui relataient sa vie jusqu'à ses dix-sept ans et l’importance qu’avait eue la piscine dans son existence. C’était un ancien champion de France de plongeon. Le legs fut au-delà du message. Je nage encore aujourd’hui. C’était également un champion d’haltérophilie au record longtemps inégalé. Il disparut dans le second hôpital. Le cours de sa vie s’arrêta pour moi à cet instant précis. Les ambulanciers le transportèrent à l’intérieur de l’édifice. Il en ressortit mort…
Ma peine s’avéra immense mais réprimée par la bienséance aristocratique de mon mari. Chialer équivalait à un manque de classe. Dépendante de cette assertion, je cessai de pleurer pendant vingt-quatre ans.

Mon amie Ziska était médecin et sophrologue. Avec elle ce fut une mort connectée perçue à distance. J’étais en Inde, à Goa, c’était un dimanche de Pâques et sans raison apparente, j’étais de très mauvaise humeur. Je refusais toute activité, et je m’en souviens encore. De retour un an plus tard à Paris, un galeriste m’apprit sa mort volontaire qui avait eu lieu le dimanche de Pâques. J’ai établi le lien sur le champ…

Je pense encore à la mort de Michel, à celle de cette jeune marocaine qui s’est pendue dans le dortoir du lycée pour échapper à son mariage forcé, à Gérard mon ami d’enfance disparu récemment qui me tirait les nattes à la sortie de l’école des Sœurs quand j’avais sept ans, d’autres…

Et puis ce fut la cascade de drames auxquels je dus faire face récemment. En moins de trois mois, j’apprenais la disparition de mon ex-mari, la mort de ma mère et le suicide de mon autre sœur qui s’est jetée par la fenêtre. Un mois plus tard, un camarade, un ami depuis quarante ans disparaissait à son tour…

J’ai vécu les différentes étapes du deuil, dans l’ordre et dans le désordre à savoir le déni, la colère, la tristesse, la dépression pour en finir avec l’acceptation. Je suis allée chercher de l’aide. Le temps a fait le reste. Je suis devenue une femme de Nyx.

Dans la mort, la disparition du corps, de l’enveloppe charnelle s’est révélée moins importante et moins violente que l’extinction de la conscience et l’entité du moi. C’est la force du sentiment qui donne un sens à la vie, à la mort.

Alors j’ai compris que je devais me tourner vers la vie…
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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