Née à Paris le 5 février 1626, décédée au château de Grignan le 17 avril 1696, Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné a laissé de nombreuses lettres, parmi lesquelles plusieurs sont adressées à sa fille Madame de Grignan. Les extraits de deux lettres ci-dessous révèlent la vision de la marquise sur la mort, présentée comme douce et sereine, contrastant avec l'exaltation de la souffrance inspirée par la morale doloriste du jansénisme. Dans cette correspondance point d'allusion à la peur janséniste de l'enfer mais manifestation du désir de Monsieur Saint-Aubin de recevoir l'extrême onction comme avant-goût d'une éternité joyeuse d'union avec Dieu! Un exemple de l'art de bien mourir*.
Lettre de Mme de Sévigné à sa fille Mme de Grignan
À Paris, mercredi 17 novembre 1688.
[...] parce que j'allai chez le pauvre Saint- Aubin. Ma chère enfant, les saints désirs de la mort le pressent tellement, qu'il en a précipité tous les sacrements. Le curé de Saint- Jacques ne voulut pas hier lui donner l'extrême-onction, et ce fut une douleur pour lui; car il ne souhaite que l'éternité, il ne respire plus que d'être uni à Dieu: sa paix, sa résignation, sa douceur, son détachement, sont au delà de tout ce qu'on voit : aussi ne sont-ce pas des sentiments humains. Le secours qu'il trouve dans le père Morel et dans son curé , qui sont ses directeurs, ses amis, ses gardes et ses médecins, n'est pas une chose ordinaire, c'est un avant-goût de la félicité. Duchêne est son médecin: c'est un homme admirable; point de tourments, point de remèdes: Monsieur, tâchez de vous humecter, et prenez patience. Une chambre sans bruit , sans aucune mauvaise odeur; point de fièvre, qu'intérieure et imperceptible; une tête libre, un grand silence, à cause de la fluxion qui est sur la poitrine, de bons et solides discours, point de bagatelles: cela est divin, c'est ce qu'on n'a jamais vu. Ce pauvre malade se trouve indigne de mourir à la même place où est morte madame de Longueville. Je contai tout cela à Tréville , qui était chez madame de la Fayette; il me répondit: Voilà comme l'on meurt en ce quarlier-là. Duchêne ne croit point que cela finisse sitôt. Mon Dieu, ma fille, que vous seriez touchée de ce saint spectacle! Je ne dis pas d'affliction, je dis de consolation et d'envie. Saint-Aubin m'a marqué beaucoup d'amitié, et à vous, sur ce petit marquis: mais tout cela n'est qu'un moment, et l'on revient toujours à Jésus-Christ et à sa miséricorde, car il n'est question de nulle autre chose; encore ne faut-il pas vous accabler de ce triste récit.
Lettre de Mme de Sévigné à sa fille Mme de Grignan
Paris , mardi au soir, 30 novembre 1688.
Je vous écris ce soir, ma fille, parce que je m'en vais demain, à neuf heures, au service de notre pauvre Saint- Aubin; c'est un devoir que nos saintes carmélites lui rendent par pure amitié: je les verrai ensuite, et vous serez céiébrée comme vous l'êtes souvent; de là j'irai dîner chez madame de la Fayette. [...]