L'Encyclopédie sur la mort


Rimbaud Arthur

 


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En 1873, après le tir au pistolet de Verlaine, le jeune Rimbaud se retire dans la maison familiale à Roche et achève en août Une saison en enfer. Il fait imprimer son livre à Bruxelles à l'automne de la même année. Le tirage entier de cet ouvrage sera retrouvé chez l'imprimeur en 1924. Une saison en enfer est le journal intime d'un adolescent qui, au contact néfaste de son aîné, vit à travers sa honte* une expérience de mort. Il parvient à sortir de cette crise* existentielle profonde grâce à l'écriture. Il puise abondamment dans sa culture judéo-chrétienne et gréco-latine afin de combattre par le verbe son combat avec Dieu et avec Satan. Terrassé par le poison qui le brûle, il étouffe et ne peut crier. Il se relève : «Et c'est encore la vie!». De sa chute, il rebondit: «Ah! remonter à la vie!»

NUIT DE L'ENFER


J'ai avalé une fameuse gorgée de poison. - Trois fois béni soit le conseil qui m'est arrivé! - Les entrailles me brûlent. La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse. Je meurs de soif, j'étouffe, je ne puis crier. C'est l'enfer, l'éternelle peine! Voyez comme le feu se relève! Je brûle comme il faut. Va, démon !

J'avais entrevu la conversion au bien et au bonheur, le saint. Puis-je décrire la vision, l'air de l'enfer ne souffre pas les hymnes! C'était des millions de créatures charmantes, un suave concert spirituel, la force et la paix, les nobles ambitions, que sais-je?

Les nobles ambitions !

Et c'est encore la vie ! - Si la damnation est éternelle ! Un homme qui veut se mutiler est bien damné, n'est-ce pas? Je me crois en enfer~ donc j'y suis. C'est l'exécution du catéchisme. Je suis esclave de mon baptême. Parents, vous avez fait mon malheur et vous avez fait le vôtre. Pauvre innocent ! - L'enfer ne peut attaquer les païens. - C'est la vie encore ! Plus tard, les délices de la damnation seront plus profondes. Un crime,, vite, que je tombe au néant, de par la loi humaine.

Tais-toi, mais tais-toi !... C'est la honte, le reproche, ici: Satan, qui dit que le feu est ignoble, que ma colère est affreusement sotte. - Assez !... Des erreurs qu'on me souffle, magies, parfums faux, musiques puériles. - Et dire que je tiens la vérité, que je vois la justice: j'ai un jugement sain et arrêté, je suis prêt pour la perfection...Orgueil ! - La peau de ma tête se dessèche. Pitié ! Seigneur, j'ai peur, j'ai soif, si soif ! Ah ! l'enfance, l'herbe, la pluie, le lac sur les pierres, le clair de lune quand le clocher sonne douze...le diable est au clocher, à cette heure. Marie ! Sainte-Vierge!... - Horreur de ma bêtise.

Là-bas, ne sont-ce pas des âmes honnêtes, qui me veulent du bien... Venez...J'ai un oreiller sur la bouche. elles ne m'entendent pas, ce sont des fantômes. Puis, jamais personne ne pense à autrui. Qu'on n'approche pas. Je sens le roussi, c'est certain.

Les hallucinations sont innombrables. C'est bien ce que j'ai toujours eu: plus de foi en l'histoire, l'oubli des principes. Je m'en tairai: poètes et visionnaires seraient jaloux. Je suis mille fois le plus riche, soyons avare comme la mer.
Ah çà! l'horloge de la vie s'est arrêtée tout à l'heure. Je ne suis plus au monde, - La théologie est sérieuse, l'enfer est certainement en bas et le ciel en haut. - Extase, sommeil dans un nid de flammes.

Que de malices dans l'attention dans la campagne...Satan, Ferdinand, court avec les graines sauvages...Jésus marche sur les ronces purpurines, sans les courber...Jésus marchait sur les eaux irritées. La lanterne nous le montra debout, blanc et les tresses brunes, au flanc d'une vague d'émeraude...

Je vais dévoiler tous les mystères: mystères religieux ou naturels, mort, naissance, avenir, passé, cosmogonie, néant. Je suis maître en fantasmagories.

Écoutez !...

J'ai tous les talents ! - Il n'y a personne ici et il y a quelqu'un: je ne voudrais pas répandre mon trésor. - Veut-on les chants nègres, des danses de houris ? Veut-on que je disparaisse, que je plonge à la recherche de l'anneau ? Veut-on ? Je ferai de l'or, des remèdes.

Fiez-vous donc à moi, la foi soulage, guide, guérit. Tous, venez, - même les petits enfants - que je vous console, qu'on répande pour vous son coeur, - le coeur merveilleux ! - Pauvres hommes, travailleurs ! Je ne demande pas de prières; avec votre confiance seulement, je serai heureux.

- Et pensez à moi. Ceci me fait peu regretter le monde. J'ai de la chance de ne pas souffrir plus. Ma vie ne fut que folies douces, c'est regrettable.

Bah ! Faisons toutes les grimaces imaginables.

Décidément, nous sommes hors du monde, Plus aucun son. Mon tact a disparu. Ah ! mon château, ma Saxe, mon bois de saules. Les soirs, les matins, les nuits, les jours...Suis-je las !

Je devrais avoir mon enfer pour la colère, mon enfer pour l'orgueil, - et l'enfer de la caresse; un concert d'enfers.

Je meurs de lassitude. C'est le tombeau, je m'en vais aux vers, horreur de l'horreur ! Satan, farceur, tu veux me dissoudre, avec tes charmes. Je réclame. Je réclame ! un coup de fourche, une goutte de feu.

Ah ! remonter la vie ! Jeter les yeux sur nos difformités. Et ce poison, ce baiser mille fois maudit ! ma faiblesse, la cruauté du monde ! Mon Dieu, pitié, cachez-moi, je me tiens trop mal ! - Je suis caché et je ne le suis pas.

C'est le feu qui se relève avec son damné.

Bibliographie

Paola del Castillo, « Arthur Ribaud. "Le poète voyant". Le père en cavale et le fils rêveur » dans L'absence en héritage. Ces hommes célèbres qui n'ont pas connu leur père, Paris, Dervy, 2010, p. 137-159.

Extrait : « Comme l,arrière-grand-père de Rimbaud, le capitaine (on ne sait pas pour quelle raison), quitte le domicile conjugal de Charleville-Mézières en septembre 1857. [...] Après le départ de son homme, la mère assume seule la charge des enfants. Très en colère, elle supprime les souvenirs de son mari et son nom ne doit pas être prononcé devant elle. Marie-Catherine est une femme austère et bigote. Arthur se retrouve sous son influence, il perçoit son anxiété. [...] À l'âge quinze ans, il se sent une âme de poète en herbe, il écrit et publie un poème intitulé "Les étrennes des orphelins":

Votre coeur l'a compris:
-ces enfants sont sans mère
Plus de mère au logis! - et le père est bien loin!

"Le père est bien loin." Arthur se sent-il orphelin? Se rappelle-t-il l'absence du père? C'est son histoire, il nous la livre en images sonores, en rimes... Et si Arthur voulait se délivrer de l'image obsédante de la mère dévorante et dévoratrice, pourrait-il envisager la mère morte? » (Paola del Castillo, o.c., p. 139-141).

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portraits de Rimbaud
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Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-12

Notes

Source : Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, avec une postface de Xavier Bordes, Paris, Éditions Mille et une nuits,1997, p. 19-22.

Yves Bonnefoy, Notre besoin de Rimbaud, Paris, Seuil, «Librairie du XXI°siècle», 2009.

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