L'Encyclopédie sur la mort


Rapport : Prise de décision en fin de vie

Un Groupe d’experts de la Société royale du Canada (SRC) a publié son rapport le 11 novembre 2011.

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http://www.rsc-src.ca/documents/RSCEndofLifeReport2011_FR_Formatted_FINAL.pdf

Commentaires suivront

En attendant, lire nos réflexions personnelles dans les textes mentionnés dans la marge.

TEXTE INTÉGRAL DU RAPPORT

Groupe d’experts de la Société royale du Canada

Prof Udo Schuklenk (Président)
Prof Johannes J. M. van Delden
Prof Jocelyn Downie, MSRC
Prof Sheila McLean
Prof Ross Upshur
Prof Daniel Weinstock

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Remerciements

La publication de ce rapport n’aurait pas été possible sans la collaboration de nombreuses
personnes. En premier lieu, nous souhaitons remercier le personnel ainsi que les
représentants élus de la Société royale du Canada pour le soutien qu’ils nous ont accordé
tout au long de ce projet. William Leiss (SRC/Université d’Ottawa), en particulier, nous a
été d’un grand secours du début à la fin du projet. À divers moments, Andrew Ross
(Université Queen’s), Kelley Ross (Université de Toronto) et Ricardo Smalling
(Université Queen’s) nous ont aidé avec beaucoup de compétence à titre d’adjoints à la
recherche. Heather Cyr (Université Queen’s) et Andy Visser (Université Queen’s) ont
assumé la responsabilité éditoriale avec un extraordinaire professionnalisme. Un certain
nombre de collègues ont lu des ébauches antérieures ou des parties de ce document et
nous ont fourni des commentaires critiques et constructifs, notamment Dan Brock
(Université Harvard), Helga Kuhse (Université Monash), Oliver Sensen (Université
Tulane), Peter Singer (Université Princeton) et Robert Young (Université LaTrobe).
Carlos G. Prado (Université Queen’s) nous a prodigué de précieux conseils. Nous
désirons aussi remercier les nombreux pairs examinateurs anonymes nommés par la
Société royale du Canada ainsi que le responsable du processus d’examen par les pairs.
Leurs observations méticuleuses et détaillées sur notre première ébauche nous ont permis
d’apporter des améliorations importantes.

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Table des matières

Remerciements 1

Introduction 5
1. Observations préliminaires et objectifs 5
2. Terminologie 6
3. Vue d’ensemble 8

Chapitre un : Soins de fin de vie au Canada 11
1. Introduction 11
2. L’expérience de la fin de vie au Canada 12
a. Tendances de la mortalité et de l’espérance de vie au Canada 12
b. Lieu du décès 13
c. Qualité des soins palliatifs et accès à ces soins 13
3. Élargissement de la gamme des soins palliatifs 14
a. Démence 14
b. Maladies chroniques du rein 16
c. Insuffisance cardiaque congestive 16
d. Maladies pulmonaires obstructives chroniques 17
e. Invalidité 18
4. Transition démographique au Canada 18
a. Vieillissement 18
b. Diversité 20
c. Premières nations 20
5. Directives préalables et prise de décisions au nom d’autrui 21
6. Pratiques de sédation 24
7. Soins pédiatriques de fin de vie 26
8. Attitudes des Canadiens à l’égard de l’euthanasie volontaire et de
l’aide au suicide 27
a. Le public 27
b. Les professionnels de la santé 29
c. Les patients 30
9. Comparaisons internationales 31
10. Conclusions 33


Chapitre deux : Contexte juridique 34
1. Introduction 34
2. Abstention ou interruption de traitements susceptibles de
maintenir le patient en vie 34
a. Loi relativement claire et non controversée 34
b. Loi moins claire et plus controversée 37
c. Loi très peu claire et très controversée 38
3. Traitements destinés à soulager la souffrance au risque d'abréger la vie 39
a. Loi passablement claire et relativement non controversée 39
170 rue Waller, Ottawa (Ontario) K1N 9B9 • Tel: 613-991-5642 • www.rsc-src.ca | 3
4. Sédation terminale 40
a. Loi très peu claire et potentiellement très controversée 40
5. Aide au suicide 41
a. Loi très claire et très controversée 41
6. Euthanasie volontaire 42
a. Loi très claire et très controversée 42
7. Conclusions 43

Chapitre trois : Éthique des soins de fin de vie 44
1. Introduction 44
2. Valeurs fondamentales 48
3. Autonomie 50
4. Droit dicté par la morale et droit reconnu par la loi 52
5. Autonomie et aide à la mort 53
6. Limites à l’aide médicale au suicide 54
a. Aucune relation entre le droit de refuser un traitement et le droit à une
aide à la mort 55
b. Arguments a priori : le suicide ne représente pas un choix valable 59
c. Arguments a priori : le suicide porte atteinte à la dignité humaine 61
7. Arguments contre le droit légal à une aide à la mort 71
a. Les professionnels de la santé 72
b. Pentes glissantes et protection des personnes vulnérables 75
8. Conclusions 81


Chapitre quatre : Expérience juridique internationale en matière d’aide
à la mort
83
1. Introduction 83
2. Mécanismes de changement des lois et pratiques 83
a. Décisions judiciaires (Pays-Bas, Montana) 83
b. Lignes directrices en matière de poursuites judiciaires (Pays-Bas,
Royaume-Uni) 86
c. Lois nouvelles ou révisées 90
i. Pays-Bas 90
ii. Belgique 93
iii. Luxembourg 94
iv. Oregon 95
v. État de Washington 96
d. Évolution des pratiques sans modifications législatives (Suisse) 96
3. Éléments des régimes permissifs réglementés 98
4. Expérience pratique 100
a. Données sur l’euthanasie volontaire et l’aide au suicide 100
i. Pays-Bas 100
ii. Belgique 102
iii. Suisse 102
iv. Oregon 102
v. État de Washington 103
b. Pentes glissantes 104
5. Conclusions 106

Chapitre cinq : Propositions de réforme 108

1. Introduction 108
2. Abstention ou interruption d’un traitement susceptible de
maintenir le patient en vie 108
a. Refus valide d’un adulte compétent (ou d’un fondé de pouvoir
légalement reconnu) 108
b. Mineurs matures 109
c. Abstention ou interruption unilatérale 109
3. Directives préalables 111
4. Soins palliatifs 112
5. Traitements destinés à soulager la souffrance au risque d'abréger la vie 113
6. Sédation terminale 113
7. Aide au suicide et euthanasie volontaire 114
a. Mécanismes juridiques 114
i. Modification du Code criminel 114
ii. Lignes directrices en matière de poursuites judiciaires 115
iii. Programmes de déjudiciarisation 116
b. Éléments fondamentaux 119
i. Aide au suicide et euthanasie volontaire 119
ii. La personne 119
iii. La décision 120
iv. L’état de la personne 120
v. La demande 120
vi. Le fournisseur 121
vii. Surveillance et contrôle 121
Notes en fin de texte 122

[Page 5]

INTRODUCTION

1. Observations préliminaires et objectifs

Le dernier rapport exhaustif sur les politiques fédérales en matière d’aide à la mort au
Canada a été publié il y a 15 ans.1 Depuis, bien des choses sont survenues dans ce
domaine. Des mesures législatives sur les directives préalables ont été adoptées, puis
réformées dans un certain nombre de provinces et territoires.2 Un nombre substantiel de
causes portées en justice concernaient divers aspects de l’aide à la mort. Certaines de ces
causes ont suscité un grand intérêt de la part du public et ont été largement diffusées par
la presse nationale; Nancy Morrison, Samuel Golubchuk, Robert Latimer et Evelyn
Martens ne sont que quelques exemples de noms qui ont acquis une grande notoriété
auprès de nombreux Canadiens du fait de leur lien avec des causes hautement médiatisées
portant sur des aspects de la fin de vie.3 Au-delà de nos frontières, la pratique de l’aide au
suicide ou de l’euthanasie volontaire est aujourd’hui autorisée par la loi dans au moins
sept pays ou États des États-Unis, soit les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, la
Suisse et les États de l’Oregon, de Washington et du Montana.4 De plus, la politique en
matière de poursuites judiciaires en Angleterre et au Pays de Galles a été clarifiée afin de
préciser que les cas de suicide assisté ne conduiront pas nécessairement à des poursuites.5

Malgré toute cette activité, trois éléments très importants de la question de l’aide à la
mort n’ont pas changé. Premièrement, l’appui du public à l’égard de la décriminalisation
de l’aide au suicide et de l’euthanasie volontaire demeure élevé (une majorité
substantielle de Canadiens appuient la décriminalisation de l’aide à la mort).
Deuxièmement, la question de la décriminalisation reste controversée et polarisée.
Troisièmement, indépendamment de cet appui, et sans doute en partie à cause de la
controverse que suscitent ces pratiques, l’aide au suicide et l’euthanasie demeurent
prohibées en vertu du Code criminel du Canada.6

Il est par conséquent temps de revoir les questions de politique publique qui touchent
l’aide à la mort en tenant compte de ce que nous connaissons et des arguments qui ont
cours actuellement. En 1995, le comité spécial du Sénat sur l'euthanasie et l'aide au
suicide s’est prononcé à cinq contre deux pour que l’euthanasie soit toujours considérée
comme un meurtre, et à quatre contre trois pour que soient maintenues les dispositions du
Code criminel traitant de l’aide au suicide.7 Une analyse rigoureuse de ces questions
aboutirait-elle aux mêmes conclusions en 2010?

Afin d’approfondir la question et de catalyser et nourrir un processus de réflexion
publique sur cet élément essentiel de nos politiques publiques, la Société royale du
Canada a formé le Groupe d’experts sur la prise de décisions en fin de vie, dont le mandat
visait les objectifs suivants :

1. Il existe un ensemble considérable de preuves scientifiques médicales qui,
lorsqu’elles seront condensées, permettront au public de considérer cette
question de façon plus éclairée.
Page 6
2. Le public pourrait aussi bénéficier d’un examen factuel de l’expérience
acquise là où l’on permet l’aide médicale à la mort.
3. Le public bénéficierait également d’un examen détaillé et objectif, étayé par
des considérations éthiques et juridiques approfondies, des avantages et des
inconvénients de la décriminalisation de l’aide médicale à la mort.
4. De nombreux professionnels de la santé pourraient eux aussi bénéficier d’une
discussion élargie, exhaustive et sensible sur l’ensemble de la question.
5. Le groupe d’experts doit, sur la base de cette analyse, envisager de formuler
des recommandations en matière de politiques publiques, qui seraient
soumises à l’examen public.

Les membres du Groupe d’experts de la SRC sur la prise de décisions en fin de vie sont
des spécialistes des domaines suivants reliés de près aux questions que le groupe avait le
mandat d’aborder : la bioéthique, la médecine clinique, le droit et les politiques en
matière de santé ainsi que la philosophie.

Les membres du groupe se sont réunis en personne et ont collaboré par courriel et par
téléphone. Ils ont contribué au projet en mettant à profit leur expertise et leur expérience,
et des travaux de recherche supplémentaires ont été réalisés selon les besoins. Des
ébauches ont été échangées et remaniées dans le cadre d’un long processus de
collaboration.

Ce document constitue le Rapport final unanime du Groupe d’experts de la SRC sur la
prise de décisions en fin de vie. Nous, membres du groupe d’experts, estimons que ce
rapport servira de point de départ à un nouveau dialogue sur le droit, les politiques et les
pratiques en matière de fin de vie au Canada. Nous pensons que ce dialogue nécessitera
une écoute et un respect mutuel entre les interlocuteurs, et nous prenons acte des
multiples intérêts et valeurs en jeu. Les discussions sur la fin de la vie avivent les
passions. Toutefois, même lorsque des opinions profondément divergentes existent (au
sujet, par exemple, des valeurs comme l’autonomie et la vie), il demeure possible et
même nécessaire pour les participants au dialogue d’écouter attentivement tous les points
de vue exprimés et de travailler collectivement dans le but de dégager une position de
principe qui soit compatible avec les fondements de la démocratie parlementaire
canadienne et la Charte canadienne des droits et libertés.8 Nous espérons que ce dialogue
permettra à toutes les parties prenantes de trouver des terrains d’entente afin de mieux
répondre aux souhaits et aux besoins des Canadiens qui en sont au terme de leur vie.

2. Terminologie 9

Il est particulièrement important de définir les termes employés lorsque nous abordons le
sujet de l’aide à la mort. Il arrive fréquemment que les gens s’opposent dans des
discussions en utilisant le même terme pour décrire des pratiques différentes ou en
utilisant des termes différents pour décrire une même pratique, ce qui engendre souvent
une confusion et des débats inutiles et improductifs. Comme il n’existe pas de définition
objectivement juste des termes requis pour traiter de l’aide à la mort, nous stipulerons les
définitions suivantes pour les besoins de ce rapport :
[page 7]

- « L’abstention d’un traitement susceptible de maintenir le patient en vie » est
définie comme étant le fait de ne pas amorcer un traitement susceptible de
maintenir un patient en vie, par exemple ne pas tenter la réanimation
cardiorespiratoire d’une personne victime d’un arrêt cardiaque.

- « L’interruption d’un traitement susceptible de maintenir le patient en vie » est
définie comme le fait de cesser un traitement susceptible de maintenir un patient
en vie, par exemple retirer un appareil respiratoire à une victime d’accident de
motocyclette souffrant d’un traumatisme crânien grave sans espoir d’amélioration.

- « Les directives préalables » (d’autres ont employé les expressions « directives
anticipées » ou « directives avancées ») sont des instructions (le « quoi » et/ou le
« comment » et/ou le « par qui ») données par une personne compétente
concernant ses soins de santé dans l’éventualité où cette personne deviendrait
incapable de prendre des décisions. Un exemple serait une femme ayant signé un
document énonçant, pour le cas où elle se trouverait dans un état végétatif
persistant, qu’elle souhaiterait ne pas être hydratée ou alimentée artificiellement.
Un autre exemple pourrait être celui d’un homme ayant signé un document
énonçant, pour le cas où il deviendrait incapable de prendre une décision, qu’il
souhaite que son épouse prenne en son nom toutes les décisions concernant ses
soins de santé. Les directives préalables sont de deux ordres : les instructions,
lesquelles établissent les décisions à prendre en matière de soins ou la façon de les
prendre, et la procuration, laquelle établit qui sera habilité à prendre de telles
décisions.

- « Un traitement destiné à soulager la souffrance au risque d'abréger la vie » est
l’administration d’un médicament en doses suffisantes pour soulager la souffrance
physique d’un patient, même si ces doses sont susceptibles d’abréger la vie du
patient. Un exemple consisterait à administrer des doses toujours croissantes de
morphine afin de soulager la souffrance d’une personne atteinte d’un cancer
terminal, même sachant que la morphine affaiblira potentiellement sa respiration
au point de causer sa mort (sans toutefois savoir avec précision à quel moment la
dose, qui sera progressivement augmentée, sera mortelle).

- « La sédation palliative » est une expression générale qui couvre les notions de
sédation intermittente ou continue et de sédation superficielle ou profonde. Le
sous-type de sédation palliative le plus contesté est la sédation terminale ».

- « La sédation terminale » est une sédation profonde et continue susceptible
d’abréger la vie, laquelle est intentionnellement combinée à une cessation
d’alimentation et d’hydratation.

- « L’aide au suicide » est l’acte consistant à se donner intentionnellement la mort
avec l’aide d’une autre personne. Un exemple serait une femme atteinte d’une
SLA avancée qui obtiendrait de son médecin une ordonnance pour un barbiturique
[page 8]
et qui utiliserait ce médicament pour s’enlever la vie.

- « L’euthanasie volontaire » est l’acte posé par une personne de tuer une autre
personne qui estime que sa vie ne vaut plus la peine d’être vécue, conformément
aux instructions de cette dernière personne. Un exemple serait un homme
souffrant de plusieurs des conséquences possibles d’un AVC et à qui son médecin
administrerait, à sa demande, une injection mortelle de barbituriques et de
relaxants musculaires.

- « Unilatéral » se dit d’un acte posé sans que soient connus les vœux du patient ou
de la personne désignée pour prendre des décisions à sa place (fondé de pouvoir)
ou, moins fréquemment, à l’encontre des vœux du patient ou de son fondé de
pouvoir. Un exemple serait un médecin qui rédigerait une ordonnance de non-
réanimation dans le dossier d’un patient sans avoir au préalable consulté le patient
ou son fondé de pouvoir.

- « Compétent » se dit de la personne qui est apte à comprendre et à apprécier les
renseignements pertinents à une décision devant être prise, ainsi que la nature et
les conséquences de cette décision. Il est important de souligner que cette
compétence s’applique différemment selon la décision, le temps et le lieu et
qu’une personne peut être capable de prendre une décision particulière (comme de
choisir ce qu’elle veut boire ou manger), mais incapable d’en prendre une autre
(comme d’accepter ou de refuser une chirurgie), et qu’elle peut être compétente
une journée et incompétente le lendemain.

- « Volontaire » se dit de ce qui est conforme aux vœux d’une personne compétente,
que ces vœux aient été exprimés directement par cette personne ou par le biais
d’une directive préalable valide.

- « Non volontaire » se dit de ce qui est accompli sans que soient connus les vœux
d’une personne compétente, que ces vœux aient été exprimés directement par
cette personne ou par le biais d’une directive préalable valide.

- « Involontaire » se dit de ce qui est accompli à l’encontre des vœux d’une
personne compétente, que ces vœux aient été exprimés directement par cette
personne ou par le biais d’une directive préalable valide.

- « L’aide à la mort » est une expression générale utilisée pour décrire l’ensemble
des actes, définis plus haut, contribuant à la mort d’une personne.

3. Vue d’ensemble

Le présent rapport est structuré de la façon suivante :

En premier lieu, nous décrirons ce que l’on sait actuellement des attitudes
[page 9]
sociales et des pratiques qui s’appliquent à l’éventail complet des soins de fin de
vie administrés au Canada. Nous traiterons : de l’expérience canadienne en
matière de fin de vie sous les aspects de la mortalité et de l’espérance de vie, du
lieu de la mort, de la qualité des soins palliatifs et de l’accès à ces soins; de la
possibilité d’élargir l’éventail des soins palliatifs à d’autres patients que ceux
atteints du cancer; de la transition démographique au Canada, en particulier du
vieillissement et de la diversification culturelle et ethnique de la population; des
pratiques de sédation; et des soins pédiatriques de fin de vie. Nous aborderons
également les pratiques en matière de prise de décisions au nom d’une personne
n’ayant jamais été ou n’étant plus apte à prendre de décisions concernant ses
soins de santé. Nous conclurons ce chapitre par l’examen des résultats d’une
enquête menée au Canada et à l’étranger sur les attitudes des professionnels de la
santé et du public par rapport aux questions de fin de vie.

En second lieu, nous aborderons la question de la légalité au Canada des
diverses pratiques d’aide à la mort. La loi est relativement claire et non
controversée en ce qui concerne l’abstention et l’interruption des traitements
susceptibles de maintenir le patient en vie lorsqu’elle s’applique à certaines
circonstances (pour un adulte compétent, par exemple), mais elle est moins
claire et plus controversée pour d’autres circonstances (comme pour l’abstention
ou l’interruption d’un traitement pour un mineur mature et l’abstention ou
l’interruption unilatérale). La loi est insuffisamment claire, mais relativement
non controversée lorsqu’il s’agit de soulager la souffrance au risque d'abréger la
vie. Elle n’est pas claire et est controversée lorsqu’il est question de sédation
terminale et, finalement, elle est claire et très controversée lorsqu’elle s’applique
à l’aide au suicide et à l’euthanasie.

En troisième lieu, nous tournerons notre regard vers l’aspect éthique de l’aide à
la mort. Nous fonderons notre analyse subséquente sur les valeurs fondamentales
qui sous-tendent l’ordre constitutionnel canadien, explorerons les assises sur
lesquelles les droits juridiques peuvent se fonder et présenterons les meilleurs
moyens juridiques de renforcer la valeur fondamentale que constitue
l’autonomie individuelle. Appliquant cet argumentaire aux questions de l’aide au
suicide et de l’euthanasie, nous conclurons qu’il existe des arguments solides
soutenant le droit moral à l’euthanasie et à l’aide au suicide et que les arguments
proposés par certains pour limiter ces droits sont contestables. Nous
examinerons les arguments s’appliquant à l’autonomie et à la dignité des
personnes. Nous aborderons aussi un certain nombre d’arguments
particulièrement tenaces dans ce domaine : par exemple, la distinction entre tuer
délibérément et laisser mourir; la doctrine du double effet, ou la distinction entre
ce qui est voulu et ce qui est anticipé; et les arguments basés sur le principe de la
pente glissante. Un certain nombre de mythes et d’erreurs de raisonnement
couramment véhiculés dans les publications et les débats publics associés à ces
questions seront exposés dans ce chapitre.

En quatrième lieu, ayant conclu que, sur des bases éthiques, le Canada doit
[page 10]
établir un système permissif, mais étroitement réglementé et surveillé, à l’égard
de l’aide à la mort, nous examinerons les moyens par lesquels il peut y parvenir.
Nous décrirons la réglementation encadrant l’aide à la mort là dans le monde où
l’aide au suicide et/ou l’euthanasie volontaire sont, dans une certaine mesure et
par divers moyens, devenues plus admissibles (soit en vertu de changements
législatifs, comme en Oregon, ou par des modifications à la politique relative
aux poursuites judiciaires, comme en Angleterre et au Pays de Galles). Nous
examinerons l’expérience des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg, de la
Suisse et des États de l’Oregon, de Washington et du Montana en portant une
attention particulière à la façon dont ces systèmes permissifs ont été conçus, aux
mécanismes juridiques utilisés et aux positions prises relativement à certains
points de décision clés dans le cadre de ces régimes permissifs, ainsi qu’à ce qui
est survenu par suite de l’institution d’un système permissif.

En cinquième et dernier lieu, nous formulerons des recommandations concernant
l’administration des soins palliatifs au Canada, ainsi que des recommandations
de réforme concernant les diverses formes d’aide à la mort analysées dans ce
rapport. Ces recommandations s’appuieront sur les fondements essentiels
exposés dans les quatre chapitres précédents. Elles seront, par nécessité,
destinées à un éventail d’agents, étant donné que les compétences associées à ces
activités sont réparties parmi divers ordres et secteurs de gouvernement.

L’examen des articles de presse parus au pays au cours des dix-huit derniers mois nous a
permis de constater l’importance qu’a prise la question de l’aide à la mort dans la culture
canadienne. Au printemps 2011, trois procédures judiciaires ont été déposées en
Colombie-Britannique, chacune, quoique suivant différents cheminements, contestant les
dispositions du Code criminel qui interdisent l’aide au suicide et l’euthanasie.10 Le
8 juin 2010, la sénatrice Sharon Carstairs a publié un rapport capital qui révélait les
difficultés auxquelles sont confrontés les Canadiens souhaitant avoir accès à des soins
palliatifs de qualité.11 Le 21 avril 2010, le dernier d’une longue liste de projets de loi
d’initiative parlementaire visant à décriminaliser l’aide au suicide et l’euthanasie a été
rejeté par la Chambre des communes,12 malgré un sondage réalisé en 2010 indiquant
qu’une majorité de Canadiens appuyaient la légalisation de l’euthanasie.13 Au
printemps 2010, un comité non partisan de l’Assemblée nationale du Québec a étudié ces
questions et a lancé un processus de consultation publique.14 Voilà autant d’indications
qui permettent d’énoncer que les Canadiens sont et doivent être engagés dans un
processus de délibération sur la légalité de l’aide à la mort au Canada. Nous, membres du
groupe d’experts, présentons ce rapport en espérant contribuer à cet important débat sur
les politiques gouvernementales.
[page 11 ]

CHAPITRE UN : SOINS DE FIN DE VIE AU CANADA

1. Introduction


Les diverses questions relatives à la fin de vie, telles que la planification préalable des
soins, l’aide au suicide et l’euthanasie, suscitent un grand intérêt et de vives
préoccupations chez le public. Établir les mérites relatifs des différentes options en
matière de politique et de législation repose autant sur une compréhension détaillée des
attitudes sociales actuelles et des réalités contemporaines de la mort et du mourir au
Canada, que sur une analyse approfondie des considérations juridiques et philosophiques.
Pour aborder de manière éclairée les actes de dernier recours que sont l’aide au suicide et
l’euthanasie, il est important de comprendre les facteurs épidémiologiques, cliniques et
politiques qui influencent la nécessité ou le désir de se prévaloir de ces modalités en fin
de vie.

La fin de vie peut se définir comme une suite d’événements s’amorçant par le diagnostic
d’une ou de plusieurs maladies ou blessures graves. Chacune de ces situations suit un
cours particulier, certaines de façon plus prévisible que d’autres. L’éventail des maladies
pouvant susciter des décisions en matière de fin de vie est vaste; il couvre les principales
causes de décès dans la population, telles que les maladies cardiovasculaires, les maladies
pulmonaires et le cancer. Plusieurs états de santé transitoires se succéderont sur ce
parcours entre le diagnostic, les traitements et, ultimement, la mort. Comprendre
comment ce processus fonctionne et la façon dont il est géré au Canada permettra
d’établir le contexte dans lequel s’inscrira l’examen des considérations juridiques et
éthiques qui sous-tendent les décisions relatives à la fin de vie. Les faits éclairent la loi et
l’éthique, mais ils ne les déterminent pas totalement.

Il y a de bonnes raisons de se préoccuper de l’état des soins de fin de vie au Canada. Le
Canada a été classé parmi les dix meilleurs pays sur 40 dans un rapport de l’Economist
Intelligence Unit sur la qualité de la mort. Il a fait bonne figure en ce qui a trait à la
qualité des soins de fin de vie et à l’accès aux opiacés pour le soulagement de la douleur.
Toutefois, il s’est rangé au milieu du peloton pour ce qui est de la sensibilisation aux
soins de fin de vie et a reçu une mauvaise note pour les coûts associés à ces soins. Le
rapport affirme que « [traduction] la médicalisation de la mort au Canada a engendré une
culture où de nombreuses personnes ont peur d’aborder le sujet de la mort ».15

Ce chapitre comprend plusieurs sections, lesquelles examinent notamment comment et où
les Canadiens meurent, ainsi que l’évolution du paysage démographique (en particulier le
vieillissement et la diversification de la population et l’augmentation exponentielle du
nombre de cas de maladies chroniques pertinentes aux discussions sur la fin de vie). Il
comprend une revue de la recherche et de la littérature sur les politiques en la matière,
laquelle a pour but de dégager les facteurs importants qui régissent la qualité des soins de
fin de vie. Plusieurs éléments essentiels à des soins de fin de vie de qualité y sont
soulignés, notamment l’accès à des soins palliatifs permettant d’atténuer et de gérer les
symptômes et les souffrances des mourants, ainsi que l’utilisation de directives préalables
[page 12]
destinées à faire en sorte que les vœux relatifs aux traitements de fin de vie soient
exaucés lorsque la personne n’est plus apte à prendre des décisions ou d’exprimer sa
volonté. Dans ce chapitre, nous examinons également les attitudes des Canadiens à
l’égard de l’aide au suicide et de l’euthanasie et nous les comparons aux attitudes qui ont
cours dans d’autres pays.

La recherche traitée dans cette section est tirée d’études universitaires et de sources non
universitaires pertinentes, telles que les rapports gouvernementaux. Nous avons accordé
une préférence aux rapports, aux sources de données et aux études qui ont été publiés au
Canada. Des revues systématiques de la littérature pertinente ainsi que des études
internationales récemment publiées sont également présentées.


2. L’expérience de la fin de vie au Canada

a. Tendances de la mortalité et de l’espérance de vie au Canada

Les données les plus récentes sur les décès au Canada proviennent du rapport Décès 2007
publié par Statistique Canada le 23 février 2010. Ce rapport souligne l’importante
progression de l’espérance de vie au Canada. Essentiellement, l’augmentation la plus
marquée s’est produite dans la décennie commençant en 1995-1997 et se terminant en
2005-2007, soit une augmentation de 2,3 ans de l’espérance de vie à la naissance. Ce gain
a été particulièrement prononcé chez les hommes; leur espérance de vie à la naissance a
augmenté de 2,9 ans au cours de cette période; la progression chez les femmes n’a été que
de 1,8 an. En particulier, l’espérance de vie à 65 ans est de 19,8 ans, ce qui signifie qu’en
2007, une personne de 65 ans pouvait espérer vivre jusqu'à l’âge de 85 ans en moyenne.
Cela indique que les Canadiens vivent plus longtemps, étant donné que l’augmentation de
l’espérance de vie chez les personnes de 65 ans compte pour 70 % de la progression
totale de l’espérance de vie à la naissance.

En 2007, 235 217 personnes sont décédées, ce qui représente une hausse de 3,1 % par
rapport à l’année précédente. Toutefois, le taux comparatif de mortalité de sept décès
pour 1 000 personnes est demeuré stable. En général, le taux de mortalité est plus élevé
chez les hommes que chez les femmes. Le taux de mortalité pour 1 000 membres de la
population accuse une forme de courbe en J. Ce taux est de 5,1 pour 1 000 personnes
âgées de moins d’un an, mais pour les personnes âgées d’un à quatre ans et de 35 à
39 ans, il est inférieur à un pour 1 000. Le taux de mortalité tend généralement à
augmenter considérablement après l’âge de 60 ans. En 2007, les taux de mortalité pour
1 000 membres de la population étaient de : 8,2 pour 1 000 pour les personnes de 60 à
64 ans; 13,3 pour les personnes de 65 à 69 ans; 21,4 pour les personnes de 70 à 74 ans;
34,9 pour les personnes de 75 à 79 ans; 58,4 pour les personnes de 80 à 84 ans; 100,6
pour les personnes de 85 à 89 ans; et 196,5 pour les personnes de 90 ans et plus. Cela
indique sans équivoque que la vaste majorité des décès surviennent au sein des groupes
d’âges avancés.

Parmi les dix plus importantes causes de décès en 2007, les maladies chroniques
[page 13 ]
prédominent. Le cancer, les maladies vasculaires cérébrales et les maladies chroniques
des voies respiratoires inférieures constituent 62 % des causes de décès au Canada. La
maladie d’Alzheimer et les maladies du rein sont également des causes importantes de
décès.

b. Lieu du décès

Les recherches semblent indiquer que la plupart des Canadiens souhaitent mourir à la
maison. Les études réalisées au cours de la dernière décennie sur le lieu du décès
établissent des tendances en ce sens; cependant, la vaste majorité des décès,
particulièrement les décès associés aux maladies chroniques, surviennent dans des
établissements de santé. D’après les données de Statistique Canada, 68,6 % des
Canadiens meurent dans un hôpital et 31,4 % meurent ailleurs. Il existe cependant un
écart substantiel entre les divers résultats compilés à l’échelle canadienne. C’est au
Québec et au Manitoba que les taux de décès en centre hospitalier sont les plus élevés,
soit 86 % des cas de décès, alors que le taux le plus faible, 49,5 %, a été enregistré en
Colombie-Britannique.

Wilson et collègues ont étudié 1 806 318 décès survenus entre 1994 et 2004 au Canada
(sauf au Québec16). Un déclin dans les décès en milieu hospitalier a été relevé (de 77,7 %
à 60,6 %). Ces auteurs soulignent que le déclin observé ne variait pas en fonction de
l’âge, du sexe, de l’état matrimonial ou selon que la personne vivait en milieu urbain ou
rural. Hyland et collègues ont trouvé que la majorité des décès au Canada surviennent
dans des hôpitaux et qu’une proportion substantielle de ce nombre surviennent dans des
unités de soins intensifs. Ils soutiennent que ce phénomène soulève des questions
concernant la justesse et la qualité des pratiques en matière de soins de fin de vie au
Canada.17

c. Qualité des soins palliatifs et accès à ces soins

Notre examen de la documentation pertinente indique que la majorité des Canadiens
meurent surtout de vieillesse et d’un état de santé progressivement défaillant. On estime
que 95 % des personnes mourantes pourraient bénéficier de soins palliatifs, alors que
70 % des Canadiens n’y ont pas suffisamment accès du fait de la répartition inégale des
programmes de soins palliatifs au Canada. Ainsi, des préoccupations se font entendre
concernant le manque de coordination et la piètre qualité des soins de fin de vie, un
élément récurrent de la littérature produite au cours de la dernière décennie.18

Comme Chochinov et Kristjanson le relèvent, le nombre de personnes âgées doublera
approximativement au cours des 20 prochaines années, principalement à cause du
vieillissement des baby-boomers, un fait qui souligne la nécessité de discuter des
questions de fin de vie.19 Ils concluent que les coûts relatifs à la fin de vie sont
considérables et que le coût des soins augmente en proportion de la distance entre le lieu
du décès et la maison. Il faut souligner que les coûts familiaux associés à la fin de vie
sont substantiels et qu’ils ne sont souvent pas pris en compte dans les analyses de coûts.
De plus, certains traitements administrés aux mourants sont onéreux, mais peu efficaces.
[page 14]
De nouvelles mesures d’aide financière permettent aux membres d’une famille de
s’absenter du travail pour prendre soin d’un mourant. Le rapport Carstairs fait état de
plusieurs mécanismes destinés à réduire le fardeau financier relié aux soins de fin de vie
et à favoriser la participation de la famille à l’administration de ces soins. Teno et
collègues, dans une étude publiée dans le Journal of the American Medicine Association
en 2004, constatent que des besoins considérables se font sentir dans les domaines de
l’amélioration des symptômes, de la communication des médecins et de l’aide
psychologique offerte aux mourants et aux membres de leur famille.20 Ceux qui reçoivent
des soins palliatifs à la maison sont plus susceptibles de déclarer que leur expérience de
fin de vie est favorable.

En 2000, la Coalition pour des soins de fin de vie de qualité au Canada a publié un plan
d’action visant à garantir l’accès à des soins palliatifs de qualité à tous les Canadiens.
Cependant, dans un rapport couvrant une période de dix ans sur les progrès accomplis en
ce sens, ils indiquent que, malgré quelques réussites, la majorité des Canadiens n’ont
toujours pas accès à des soins palliatifs. Ils affirment :

En 2007, le fédéral a dissous son Secrétariat des soins palliatifs et des soins de fin de vie et a
cessé les travaux sur sa stratégie nationale en matière de soins palliatifs. Mais bien que certains
volets des soins de fin de vie soient visés par d’autres stratégies, comme celles axées sur le
cancer, les maladies du cœur et le VIH/sida, peu de mesures ont été prises pour rehausser les
services offerts aux personnes mourantes et à leurs aidants.21

3. Élargissement de la gamme des soins palliatifs

Historiquement, la prise de décisions relatives à la fin de vie et les considérations liées
aux soins palliatifs étaient principalement axées sur la gestion des cancers en phase
terminale et le traitement des douleurs associées à ces cancers. Une population
vieillissante et une augmentation des cas de maladies chroniques ont eu pour effet
d’élargir les besoins en planification de fin de vie et en soins palliatifs à un plus vaste
éventail de situations. Quatre types de maladies chroniques posent des défis particuliers
pour l’administration des soins de fin de vie. Ce sont la démence, les maladies du rein, les
maladies du cœur (en particulier l’insuffisance cardiaque congestive chronique) et les
maladies pulmonaires obstructives chroniques. Des études canadiennes récentes ont établi
que des besoins importants n’étaient pas satisfaits chez les patients aux prises avec ces
maladies et ont proposé des améliorations pouvant être apportées aux soins administrés,
tout en soulevant la nécessité de poursuivre la recherche dans le domaine.

a. Démence

La démence et les troubles cognitifs posent des difficultés particulières en ce qui
concerne l’administration des soins de fin de vie. Le nombre de Canadiens souffrant de
démence croît à un rythme tellement rapide que les efforts consentis pour traiter ce
problème coûteront au Canada plus de 870 milliards de dollars canadiens (853 milliards
de dollars américains) au cours des 30 prochaines années. La Société Alzheimer du
Canada indique que plus de 103 700 personnes ont reçu un diagnostic de démence en
[page 15]
2008 au Canada, dont la population s’élève à approximativement 33 millions.22 D’ici
2038, on s’attend à ce que 257 800 nouveaux cas soient déclarés chaque année.

La démence impose des défis éthiques uniques en fin de vie, puisque les troubles
cognitifs privent souvent les personnes de la capacité de faire des choix et de les
exprimer. Les préférences exprimées au moment où une personne est toujours
compétente peuvent changer à mesure que ses capacités cognitives déclinent, rendant
plus complexe l’acte de déterminer quelles sont les véritables préférences du patient. Le
Nuffield Council on Bioethics, établi au Royaume-Uni, a publié un rapport exhaustif sur
les questions éthiques entourant la démence.23 Ce rapport, qui s’appuie sur une vaste
consultation publique, présente un aperçu complet des nombreuses questions éthiques
soulevées par la problématique des soins associés à la démence, dont un examen
exhaustif des soins palliatifs et de la prise de décisions relatives à la fin de vie. Le Conseil
observe que les patients atteints de démence sont moins susceptibles de se voir offrir des
soins palliatifs que les patients qui n’en sont pas atteints.

En comparaison au Royaume-Uni, la recherche concernant le point de vue des patients
canadiens atteints de démence sur les soins de fin de vie est insuffisante, ce qui constitue
une cause de préoccupation, étant donné la progression rapide de cette maladie au sein de
la population vieillissante et la nécessité qui en découle d’outiller les soignants pour gérer
les besoins particuliers et complexes de ces patients à mesure que la maladie évolue vers
la phase terminale. Le manque de formation et d’éducation adéquate en matière de soins
palliatifs (en général et plus particulièrement par rapport aux patients atteints de
démence) au sein des diverses disciplines de la santé est un thème récurrent de la
littérature consacrée aux soins palliatifs.24 Davantage de recherches ont été publiées sur
les soignants s’occupant de patients atteints de démence. Ces recherches traitent
particulièrement du fardeau émotionnel, physique, psychologique et financier associé aux
soins requis par ces patients. Dans une récente enquête menée au Canada auprès de
soignants s’occupant de patients souffrant de la maladie d’Alzheimer et d’autres
démences, les répondants font état d’incidences négatives sur leur santé émotionnelle,
parmi lesquelles la dépression, le stress et l’épuisement, les pressions financières et les
pressions liées à leur situation d’emploi, y compris le fait d’être forcés de prendre une
retraite prématurée ou de réduire leur temps de travail.25 L’enquête révèle aussi que le
fardeau pèse davantage sur les soignants résidant avec les patients que sur ceux qui ne
résident pas avec eux.26 Des infirmières canadiennes travaillant en milieu de soins de
longue durée ont fait état d’autres facteurs associés aux soins donnés aux mourants
souffrant de démence qui compliquent la gestion des soins. Elles citent par exemple,
l’incapacité du patient à prendre conscience de son propre déclin, la difficulté de prévoir
l’évolution de la maladie et celle de composer avec le comportement « nerveux,
autoprotecteur » du patient qu’elles sont chargées de soigner27. Ces constatations
semblent indiquer la nécessité de mettre en œuvre des interventions destinées à atténuer
les pressions exercées sur les soignants de patients atteints de démence ainsi que les
difficultés rencontrées dans la gestion de leurs soins.

[page16]

b. Maladies chroniques du rein

Les maladies chroniques du rein sont une autre cause importante de mortalité au Canada.
Davidson a évalué les préférences de patients souffrant de maladies chroniques du rein
(MCR) à l’égard des soins de fin de vie.28 Elle relève que peu d’études ont été réalisées
pour évaluer les préférences des patients, malgré le taux élevé de mortalité recensé au
sein de cette population de patients. Son étude de 584 cas de MCR révèle que les
participants dépendent du personnel des unités de néphrologie pour la gestion des besoins
de fin de vie qui ne sont pas actuellement systématiquement intégrés à leurs soins rénaux,
comme la gestion de la douleur et des symptômes, la planification préalable des soins et
le soutien psychologique et spirituel. De plus, les patients se disent peu informés des
choix qui s’offrent à eux relativement aux soins palliatifs, ou de l’évolution de leur
maladie. Seule une petite minorité de patients (10 %) a déclaré avoir discuté de soins de
fin de vie avec leur néphrologue au cours des 12 derniers mois. Fait à signaler, 61 % des
patients ont affirmé regretter leur décision d’entreprendre un traitement de dialyse.
Davidson conclut que les besoins des patients atteints de MCR ne sont pas comblés par
les soins de fin de vie actuels.

c. Insuffisance cardiaque congestive

Les maladies cardiovasculaires (MCV) entraînent chaque année un nombre substantiel de
décès. Dans leur étude récemment publiée, Howlett et autres relèvent que le modèle
actuel de soins est centré sur les exacerbations aiguës; il n’existe pas encore d’approche
globale applicable à la gestion du décès qui résulte inévitablement d’une maladie
cardiovasculaire.29 Ils soulignent la nécessité de mettre en place une stratégie globale qui
couvrirait la planification de la fin de vie et les soins associés, favorisant ainsi une
administration plus précoce et intégrée de l’ensemble des soins requis par les patients.
Cette stratégie a pour principaux éléments la planification préalable des soins, les soins
palliatifs, les soins en établissements de soins de longue durée ainsi que les directives
préalables, et est axée sur la prise de décisions et la planification. Howlett et collègues
font valoir que la planification et les soins de fin de vie doivent faire partie intégrante de
l’évaluation de tout patient souffrant d’une MCV et doivent être évalués chaque fois que
la situation clinique change de manière importante. Ils soulignent qu’il est essentiel de
poursuivre la recherche sur l’efficacité de la planification et des soins de fin de vie et
recommandent que l’insuffisance cardiaque soit envisagée comme référence pour la mise
en œuvre et l’essai des interventions destinées à améliorer la planification et les soins de
fin de vie.

Strachan et collègues ont sondé 106 patients souffrant d’insuffisance cardiaque avancée
dans cinq établissements canadiens de soins tertiaires pour recueillir leur point de vue sur
les soins de fin de vie, notamment leurs préférences et leur degré de satisfaction à l’égard
de certains aspects des soins de fin de vie.30 L’exercice avait pour but de relever les
possibilités, selon les patients, d’améliorer les soins de fin de vie donnés aux patients
atteints d’insuffisance cardiaque avancée. Une piste importante d’amélioration se révèle
par les commentaires selon lesquels « les patients craignent d’accabler leur famille avec
leurs besoins physiques et affectifs croissants »31. Une autre importante piste
[page 17 ]
d’amélioration peut être dégagée des commentaires de patients qui jugent qu’on « ne
propose pas aux patients de plan précis quant aux soins et aux services de santé dont ils
peuvent se prévaloir lorsqu’ils reçoivent leur congé de l’hôpital”32. Dans ce cas,
l’amélioration possible consiste à proposer un plan de soins approprié et personnalisé
lorsque le patient obtient son congé de l’hôpital. Plusieurs améliorations possibles
relevées par l’étude ont trait au soulagement efficace de la douleur et des symptômes
ainsi qu’à la promotion d’une communication franche et honnête entre le patient, sa
famille et les soignants (concernant par exemple l’évolution de la maladie, les risques et
les avantages de chaque option de traitement, etc.). D’après les patients, les trois aspects
les plus importants sont : éviter le maintien artificiel des fonctions vitales lorsqu’il n’y a
plus d’espoir d’un rétablissement convenable; être informé par les médecins; et éviter de
représenter un fardeau pour leur famille.

d. Maladies pulmonaires obstructives chroniques

Rocker et collègues ont interrogé 118 patients canadiens atteints d’une maladie
pulmonaire obstructive chronique (MPOC) pour connaître leur point de vue sur les soins
de fin de vie.33 Ils soulignent que la perspective des patients atteints d’une MPOC
concernant la qualité des soins de vie est peu connue.

Les résultats de l’enquête indiquent que les patients souffrant d’une MPOC accordent une
importance particulière aux éléments suivants :

- Ne pas être maintenu artificiellement en vie lorsqu’il y a peu d’espoir d’un
rétablissement convenable (54,9 %).
- Le soulagement des symptômes (46,6 %).
- Pouvoir se prévaloir d’un plan de soins et de services de santé lorsque le
congé de l’hôpital est obtenu (40,0 %).
- Avoir confiance envers les médecins (39,7 %).
- Ne pas représenter un fardeau physique ou moral pour leur famille (39,6 %).

En ce qui concerne les soins fournis actuellement aux patients, une constatation
importante est que moins d’un tiers des patients considéraient avoir reçu toute
l’information pertinente à leur maladie (y compris sur les risques et les avantages de
chaque option de traitement), avoir pleinement confiance envers leur médecin ou savoir
quel médecin était responsable de leurs soins. Cette constatation révèle clairement des
pistes d’amélioration possibles.

Une enquête qualitative a été réalisée en Saskatchewan pour connaître le point de vue des
cliniciens des unités de soins intensifs (USI) travaillant auprès de patients en phase
terminale d’une MPOC sur les obstacles à la prestation de soins de qualité aux personnes
atteintes d’une MPOC qui meurent en milieu de soins intensifs.34 Face aux difficultés à
calmer la dyspnée (insuffisance respiratoire) et l’anxiété, les médecins disaient éprouver
des sentiments d’impuissance, d’empathie et de crainte à l’idée de « tuer le patient ». Les
commentaires se rapportant aux soins donnés aux personnes atteintes d’une MPOC
avancée en USI faisaient souvent référence à l’inutilisé des traitements, à la crainte de
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« torturer le patient » et à des incertitudes concernant la compréhension qu’ont le patient
et sa famille des traitements offerts. Le fait que les patients cités dans l’étude aient
réclamé qu’une plus grande priorité soit accordée aux soins d’urgence requis par les
patients les plus instables en USI signifie qu’ils n’ont pas toujours reçu l’attention à
laquelle ils estimaient idéalement avoir droit de la part des cliniciens.

e. Invalidité

Très peu d’études empiriques ont été publiées pour décrire les soins de fin de vie, les
soins palliatifs et les attitudes envers l’aide au suicide et l’euthanasie pour les populations
invalides au Canada. Il serait juste de dire qu’il n’existe pas de consensus à ce sujet. Des
défenseurs des droits des handicapés craignent qu’une législation plus permissive ait des
répercussions négatives sur ces personnes, dont plusieurs ont souffert de la stigmatisation,
des préjugés et de la marginalisation associés à leur état. En outre, selon eux, les attitudes
envers les handicaps alimentent les préjugés selon lesquels les personnes qui en sont
atteintes sont indésirables et érodent la résistance aux politiques destinées à abréger la
vie.35 D’autres, cependant, soutiennent que l’autonomie des personnes vivant avec un
handicap mérite respect (historiquement, cette autonomie a été maintes fois bafouée) et
que ce respect doit notamment s’appliquer à leurs vœux à l’égard de l’aide au suicide et
de l’euthanasie. Les arguments contre un régime permissif, font-ils valoir, marquent une
absence de respect pour leur capacité d’autodétermination.

Stienstra et Chochinov constatent un certain désintéressement envers les considérations
particulières liées à l’invalidité dans le domaine des soins palliatifs et proposent un
modèle de vulnérabilité applicable aux soins palliatifs qui tiendrait compte des
caractéristiques uniques de l’invalidité pour ce qui est de l’administration des soins
palliatifs.36

4. Transition démographique au Canada

a. Vieillissement

Avec la transition démographique en cours et l’efficacité croissante des thérapies
médicales, les personnes vivent plus longtemps, mais accumulent aussi davantage de
maladies chroniques. Cela est particulièrement vrai pour les personnes de 65 ans et plus.
Ce groupe constitue le segment de la population canadienne qui croît le plus rapidement
et qui consomme la portion la plus grande des ressources en santé, particulièrement en ce
qui a trait aux visites chez le médecin, aux ressources en soins à domicile et à la
pharmacothérapie. La gestion des maladies chroniques a été relevée comme question
émergente capitale en matière de santé37; 81 pour cent des aînés vivant à domicile
déclarent être atteints d’une maladie chronique.38

Les documents de politique prévoient que la pointe de la génération dite du baby-boom
dépassera l’âge de 65 ans entre 2015 et 2035, et cet effet du vieillissement de la
population, résultant de l’augmentation de l’espérance de vie et de cycles antérieurs de
fertilité, exercera une pression sur le système de santé canadien. Cette pression émane de
[page 19 ]
l’augmentation substantielle des besoins et des dépenses en soins de santé occasionnée
lorsqu’une personne atteint l’âge de 65 ans.39 Les aînés (personnes de 65 ans et plus)
représentent 12,7 % de la population et comptent pour approximativement 30 % (36,3
milliards $) du fardeau économique lié aux soins de santé. Cette tranche de la population
entraîne les dépenses les plus élevées en soins hospitaliers, soit 10,2 milliards $. Les aînés
occasionnent 22,8 % (2,7 milliards $) des dépenses en soins médicaux, 20,2 %
(2,5 milliards $) des dépenses en médicaments et 33 % (11,0 milliards $) des dépenses
liées à la mortalité.

Comme les coûts associés aux invalidités prolongées sont davantage communiqués et
comme un plus grand nombre d’aînés sont atteints de maladies chroniques, on observe un
écart important entre les coûts liés aux invalidités prolongées et ceux attribuables aux
invalidités de courte durée. Les principaux facteurs responsables des invalidités
prolongées sont les maladies musculosquelettiques, suivies des maladies
cardiovasculaires, des atteintes du système nerveux et des blessures. À eux seuls, les
aînés comptent pour plus de 33 % des cas d’invalidité prolongée attribuable à une
maladie cardiovasculaire. En ce qui a trait aux dépenses en médicaments sur ordonnance,
les aînés entraînent plus de 54,3 % (963 millions $) des dépenses associées aux maladies
cardiovasculaires, 34,8 % aux maladies endocrines et connexes, 25,8 % aux maladies
musculosquelettiques, 25,4 % aux maladies respiratoires et 13,4 % aux troubles mentaux.
Les aînés entraînent près de 50 % (413 millions $) des dépenses en médicaments sur
ordonnance au Canada pour le traitement de l’hypertension et de l’arthrite
(129 millions $), et près de 66 % pour le traitement des cardiopathies ischémiques
(331 millions $).40

Ces tendances inquiétantes ont également mis en évidence les limites du modèle des soins
offerts par des aidants naturels et de celui des soins communautaires et, compte tenu du
temps d’attente pour recevoir des soins dans le système de santé et de la pénurie
croissante en médecins de première ligne, font que certains se demandent qui prendra
soin des aînés dans l’avenir au Canada41. Des questions importantes se posent concernant
l’incompréhension profonde vis-à-vis de l’expérience qu’ont les personnes âgées de la
mort et du mourir. Cependant, l’état de santé devient plus hétérogène dans les dernières
années de vie. Comme le note Hallberg dans une analyse critique de la littér

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-15