L'Encyclopédie sur la mort


Parasuicide

 

Ce néologisme est utilisé par Richard Fox dans «The Recent Decline of Suicide in Britain: The Role of the Samaritan Suicide Prevention Movement» (E. S. Shneidman (dir.), Suicidology: Contemporary Developments, New York, Grune and Stratton, 1976). Cependant, le terme a été introduit par Norman Philip Kreitman dans «Parasuicide», article paru dans British Journal of Psychiatry (1969, p. 746). Kreitman a publié, plus tard, un livre portant le même titre, Parasuicide (Londres, Wiley, 1977). Shneidman consacre un chapitre au parasuicide dans Definition of Suicide (p. 214-215). Le mot désigne tout acte estimé extrême et par lequel on risque la mort, de manière consciente ou confuse, mais dont les acteurs diffèrent des suicidaires, des suicidants ou des suicidés dans le sens que leur intention directe n’est pas de se tuer. Parfois on utilise les termes semi-suicide ou quasi-suicide ou encore suicide mi-intentionnel ou suicide indirect pour décrire la même réalité. Ainsi l’automutilation, la médication massive, l’usage excessif de drogue ou d’alcool, les conduites extrêmes* et les sports à risque, par exemple, la très grande vitesse au volant, appartiennent à la catégorie des parasuicides.

J. Ratté et J. Bergeron présentent un bref historique des théories psychanalytiques ou psychologiques de ces comportements dits parasuicidaires, sans pourtant se servir de cette expression lui préférant plutôt celle de suicide mi-intentionnel ou indirect («Les “fous au volant” sont-ils des suicidaires?», Frontières, vol. 6, no 3, 1994, p. 37-40). Selon ces deux auteurs, Freud* est l’un des précurseurs de la théorie du suicide mi-intentionnel. Dans sa Psychopathologie de la vie quotidienne, il «examine des cas de personnes victimes d’accidents répétés et postule l’existence, chez ces gens, d’une motivation inconsciente au suicide, se traduisant par des actions potentiellement destructrices». Un autre psychanalyste, Karl Menninger*, observe chez certaines personnes «le refus, d’une part, de reconnaître [leurs] propres désirs de mort et, d’autre part, les comportements autodestructeurs indirects exprimés dans la mortification et la pénitence, dans l’alcoolisme et la toxicomanie, dans les actes délinquants et enfin, dans les accidents répétés». Dans La théorie psychanalytique des névrosés, Otto Fenichel, en développant la notion de «contre-phobie», met en évidence des processus psychiques inconscients «qui servent à nier l’anxiété liée à la mort» par une recherche active et téméraire du danger dans les sports à haut risque. Ceux-ci ne sont pas des formes «de défense adaptive» contre la dépression, mais un déni de la mort ou «de perte de sens à la vie». Dans The Many Faces of Suicide: Indirect Self-Destructive Behavior, Norman Farberow et ses collaborateurs soutiennent que «l’excitation liée aux comportements téméraires sert au mécanisme contre-phobique. Si la dépression sous-jacente est considérable, l’individu contre-phobique développe plusieurs traits de caractère qui renforcent les défenses psychiques: il devient hyperactif, s’adonne à l’alcool et se centre essentiellement sur les sources de plaisir instantané.» Dans le même ouvrage, «Achte précise que l’alcool et la drogue sont des substances ayant comme fonction de soulager et de masquer le désespoir». Et Robert Litman est d’avis que «l’individu qui a recours à des défenses contre-phobiques pour lutter contre une tension interne importante est devenu un habitué du risque dans plusieurs domaines. Flistead pense enfin que si les comportements autodestructeurs indirects deviennent inefficaces à soulager la douleur et l’anxiété, à la suite d’événements qui augmentent l’état de perturbation psychologique par exemple, l’individu contre-phobique peut alors sombrer dans le désespoir et se suicider intentionnellement» (J. Ratté et J. Bergeron, art. cité, p. 38). L’auteur dit «intentionnellement», bien que toutes les attitudes antérieures au suicide semblent plutôt émaner de mécanismes inconscients ou être mi-intentionnelles. Dans quelle mesure l’autonomie* et la liberté* sont-elles encore possibles dans ce type de comportements indirectement ou directement suicidaires? Quelle est la compétence éthique de ces personnes dont les gestes ou les attitudes sont mi-intentionnels et indirectement suicidaires?

Bergeron et Ratté considèrent la conduite routière comme un territoire privilégié d’étude des activités de risque dans lesquelles les personnes contre-phobiques sont susceptibles de se démarquer. Dans leur recherche, ils ont pu constater que «derrière les comportements téméraires en automobile, [il] peut se camoufler une tendance au suicide, qu’elle soit consciente ou inconsciente. Il s’agit d’une forme de suicide moins directe, moins intentionnelle, mais qui possède un potentiel de létalité et dont le prototype est la roulette russe.» D’autres secteurs d’activité humaine peuvent, d’après ces auteurs, faire l’objet d’étude sur le suicide indirect. Dans son article «High-Risk Sports as Indirect Self-Destructive Behavior», J. Delk observe chez les parachutistes les plus expérimentés une tolérance à l’anxiété et un besoin compulsif de se lancer dans le vide. «Bien que l’activité soit considérée comme excitante et exaltante, 71% des parachutistes qui avaient plus de trois ans de pratique de ce sport avaient subi au moins un accident. Delk fait remarquer que beaucoup d’individus, et surtout des hommes âgés entre quinze et quarante ans, s’engagent dans les sports à risque, et y trouvent la mort» (J. Ratté et J. Bergeron, art. cité, p. 40). Des indices de suicide mi-intentionnel ou indirect semblent se déceler également chez les jeunes*.

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-17