L'Encyclopédie sur la mort


Mort, qui es-tu?

 

© Tous droits réservés - Nathalie Turgeon (2011)

 

Mort, qui es-tu?

Avoir tant parlé de la mort, tant écrit sur elle et ne prétendre rien savoir sur elle peut paraître contradictoire ou paradoxal. Et pourtant, ceci ressemble étroitement à mon expérience.
Wittgenstein soutient que la mort n'est pas un événement de la vie. Nous pouvons bien prendre soin d’un mourant, compatir avec lui et constater sa mort, mais nous ne pouvons pas faire une expérience authentique d’une mort qui se situe à extérieur de nous. Même notre propre mort échappe à notre connaissance, car elle est comme un saut dans le vide et le néant. Si la mort est la grande inconnue, ne vaudrait-il pas mieux que l’on se taise devant ce mystère? Et pourtant, je sais fort bien que la mort occupe un espace important, non seulement dans ma vie de chercheur ou d’écrivain, mais aussi dans la quotidienneté de mes actes et de mes pensées. J’oserais même dire qu’elle donne du relief et de la profondeur à mon existence, de la saveur et du parfum à ma vie.

Mort, qui es-tu? De quoi parle-t-on, lorsqu’on parle de la mort? L’anthropologue français Louis-Vincent Thomas observe que la mort est partout, car durant toute notre vie nous passons notre temps à nous acheminer vers la mort. Cependant, elle n’est nulle part, car elle n’est qu’un point insaisissable dont on ne peut rien dire, sinon qu’il y a un avant (soins de fin de vie, agonie, coma) et un après (rites funéraires, culte des morts et des ancêtres, deuil). De plus, il faudrait distinguer la mort (avec une minuscule) de la Mort (avec une majuscule) et ses multiples représentations, figurations ou personnifications, selon les époques et les cultures. L’imaginaire de la mort est comme une quête humaine de l’infini, notamment par notre lien aux arts et aux lettres, au chant et à la musique, au folklore et à l’artisanat, etc.

Mort, qui es-tu? En se regardant dans le miroir, Jean Cocteau se disait : « La mort au travail ». C’est à partir de son expérience personnelle qu’il se rendit compte du caractère précaire et éphémère de toute vie : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière ». Mais en évoquant cette désagrégation de son corps ou ce devenir altéré de sa personne, il ne fait rien d’autre que nommer l’aspect extérieur d’un phénomène naturel sans dévoiler ce qu’il est au-dedans. Cependant, considérons que « devenir vieux » ou vieillir... n’est pas en soi une étape dans le processus « du mourir ». Il s’inscrit dans la mouvance du devenir.

Même si inéluctablement notre destin est de mourir, il ne faut pas en être obnubilés! Avec Baruch Spinoza, nous pouvons admettre que « l'homme libre ne pense à rien de moins qu'à la mort, et sa sagesse est une méditation, non de la mort, mais de la vie ». Le célèbre philosophe hollandais croyait à la vie éternelle. Dans sa pensée, la mort n’était qu’un bref instant à passer. Élaborée à travers les siècles par diverses philosophies et religions, cette croyance ou cette hypothèse de la mort, comme passage à une autre vie, risque pourtant de sous-estimer les douleurs physiques rattachées à la mort ainsi que les souffrances psychiques ou morales liées à la séparation ou à la rupture avec la vie.

Avec raison, la vie paraît aux yeux d’un grand nombre d’humains comme un bienfait inestimable tissant des liens d’amour avec les êtres et les choses dans un espace de convivialité et de créativité. D’où le scandale de la mort qui éclate, fauchant les promesses d’une vie, semant perte et chagrin. D’où l’importance du deuil comme lieu de mémoire et de la ritualisation de la mort qui devient bénéfique pour ceux qui restent. Elle crée un espace privilégié où, tout en se séparant physiquement de la personne décédée, la famille trouve un réconfort dans la communauté pour assumer ses tâches habituelles. Elle s’invente de nouveaux liens avec le défunt.

Mort, qui es-tu? Si la vie est un bienfait, la mort par contre, est un méfait dont on a raison de se méfier. La mort est une menace qui plane sur nous et contre laquelle il faut nous protéger nous-mêmes et ceux qui nous sont confiés. Or, comme habitant la terre, vivant avec d’autres vivants, dans un esprit planétaire ou interplanétaire, ce souci de la conservation de la vie ne peut que s’étendre à l’infini.

Mort, qui es-tu? Le souci de survivre aux menaces de la mort ne nous explique pas encore ce qu’est la mort. Par ailleurs, sans savoir ce que la mort est au juste, la conscience que nous en avons acquise peut exercer sur nous un pouvoir ou une force. Si la mort est un tourment que nous craignons, elle peut constituer un tournant dans notre vie. En effet, si la mort est un feu qui nous consume, elle peut être aussi un feu qui nous réveille. Fouettés par la menace de la mort, soutenus par nos pensées, nos silences, nos paroles, nos œuvres, etc. un élan créateur pourra envahir notre être dans un mouvement vers autrui. Nous pourrions être ainsi compagnons de nos frères et de nos sœurs qui, ployant sous le fardeau de leur destin mortel, n’auront ni la force ni la résistance pour survivre sans aide adéquate.


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Date de création:2012-09-07 | Date de modification:2012-10-05

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