L'Encyclopédie sur la mort


Môquet Guy

Môquet GuyGuy Môquet, né le 26 avril 1924 à Paris, est mort le 22 octobre 1941 à Châteaubriant (Loire-Inférieure). Au tout début de l'occupation allemande, Guy Môquet, jeune militant communiste français, fut arrêté pour avoir distribué des tracts. En guise de représailles après l'assassinat d'un lieutenant-colonel allemand, il fut tué comme otage avec une trentaine d'autres prisonniers. Avant de mourir, il adresse à sa famille une lettre d'adieu* dans laquelle il tente de réconforter sa mère, son père et son petit frère. Une lettre intime, pleine de tendre affection qui exprime aussi un certain espoir dans l'avenir: «que ma mort serve à quelque chose». Or, ce message privé du passé deviendra une référence publique ayant pour fonction de créer pour les jeunes d'aujourd'hui un modèle de l'identité nationale et de la cohésion sociale. C'est ainsi que les héros* sont faits et que l'histoire* s'écrit.

Lettre d'adieu


Ma petite maman chérie,
mon tout petit frère adoré,
mon petit papa aimé,

Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c'est d'être courageuse. Je le suis et je veux l'être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j'aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c'est que ma mort serve à quelque chose. Je n'ai pas eu le temps d'embrasser Jean. J'ai embrassé mes deux frères Roger et Rino. Quant au véritable je ne peux le faire hélas !

J'espère que toutes mes affaires te seront renvoyées elles pourront servir à Serge, qui, je l'escompte, sera fier de les porter un jour. A toi petit papa, si je t'ai fait ainsi qu'à ma petite maman, bien des peines, je te salue une dernière fois. Sache que j'ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m'as tracée.

Un dernier adieu à tous mes amis, à mon frère que j'aime beaucoup. Qu'il étudie bien pour être plus tard un homme. 17 ans et demi, ma vie a été courte, je n'ai aucun regret, si ce n'est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin, Michels. Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c'est d'être courageuse et de surmonter ta peine. Je ne peux pas en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi maman, Serge, papa, je vous embrasse de tout mon cœur d'enfant. Courage !

Votre Guy qui vous aime.


Rapport de Police: les faits
Rapport parvenu aux Archives centrales de la Préfecture de Police de Paris, le 16 octobre 1940:
« Les services de la Préfecture de Police viennent de mettre la main sur l’organisation chargée de distribuer clandestinement dans le 17ème arrondissement les papillons et tracts de propagande communiste. Il s’agit cette fois d’éléments ayant milité dans les rangs de la Fédération des Jeunesses communistes et plus particulièrement dans les groupes locaux du 17ème arrondissement. L’animateur de cette organisation clandestine, un nommé Guy Moquet était le fils de Prosper Moquet, ex député communiste du 17ème arrondissement qui avait été recruté parmi les anciens militants locaux des Jeunesses communistes des distributeurs de tracts et colleurs de papillons. Après une série d’enquêtes et de surveillances relatives à l’activité déployée par des éléments il a été procédé à l’arrestation des trois militants ci-après Moquet Guy, Prosper, Eustache, né le 26 avril 1924 à Paris, 18ème, étudiant demeurant 34 rue Baron à Paris (17ème)
Le 22 octobre 1941. Guy Môquet est exécuté comme otage, avec d’autres prisonniers (27 à Chateaubriant le 21 octobre, puis 16 à Carquefou, et 5 au Mont Valérien) après la mort du lieutenant-colonel Hotz tué à Nantes deux jours avant par trois militants communistes. 300 arrestations eurent lieu après cet attentat. Depuis Paris, le général Von Stülpnagel (commandant de l'armée en France) mène la répression. Après l’exécution du jeune militant, la Préfecture de Police de Paris indique encore le 27 août 1942 aux Renseignements généraux que la mère se livre toujours à « de la propagande en faveur de l’ex-parti communiste ».
http://www.histoire.ac-versailles.fr/spip.php?article481

Récupération politique et étatique de la lettre d'adieu
« Le dernier effet d’annonce de Nicolas Sarkozy, l’injonction de lecture de la lettre de Guy Môquet dans tous les lycées de France, à chaque rentrée scolaire, n’a rien d’étonnant et peut être interprété à travers une double grille de lecture : le pli désormais pris d’instrumentaliser l’histoire, dans une stratégie d’abord électoraliste, et aujourd’hui présidentielle; l’appel à une vision de l’école sanctuarisée et dont on renforcerait la mission civique, à charge pour elle de revitaliser le sentiment national.

Mais il est vrai que cette première mesure gouvernementale doit aussi se lire à l’aune de cet amour que Nicolas Sarkozy déclare sans relâche à la France ; cet amour qui lui arrache des larmes à chaque nouvelle lecture de la lettre de Môquet (3) ; cet amour qui renvoie à une vision empathique de l’histoire tout en convoquant le principe totalement a-historique de l’identification. Activer le pathos est un procédé pédagogique (et démagogique) très efficace, qui gomme toute complexité ou principe de mise à distance critique. Or, c’est bien une posture de pédagogue national que la lecture obligatoire de la lettre de Guy Môquet permet à Nicolas Sarkozy d’endosser ; une position plutôt confortable pour policer la jeunesse lycéenne et la mobiliser autour de la vision sacrificielle* de la nation et de l’identité nationale que réifie cet usage de l’histoire.»

(Laurence De Cock-Pierrepont, « Des usages étatiques de la lettre de Guy Môquet » pour le Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire (CVUH), le 21 mai 2007).

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-10