L'Encyclopédie sur la mort


Le suicide peut-il être étudié comme une question sociologique?

Le suicide peut-il être étudié uniquement dans une perspective de santé publique, c’est-à-dire comme un problème social qu’il faut expliquer et résoudre ? Ou ne serait-il pas plus heuristique de l’étudier comme un problème sociologique, c’est-à- dire comme un fait social total au sens de Mauss ? Se poser cette question revient à s’interroger sur la manière dont est étudié le suicide. Pendant des siècles, les approches philosophique et religieuse ont prévalu : la méthode consistait à chercher à établir par un raisonnement si « la mort volontaire est en soi chose licite ou illicite » (Bayet*, 1922, p. 5). Entre la condamnation sans appel de saint Augustin* et les interrogations d’Érasme* (L’éloge de la folie), les questions de morale et de sens étaient essentielles : se donner la mort était-il un acte de lucidité, de liberté* ou la pire des lâchetés, le refus du don de Dieu, avec risque de damnation éternelle ? À partir du XIXe siècle s’amorce une révolution dans l’histoire du suicide : l’approche scientifique a progressivement « supplanté le débat moral » (Debout, 2002, p. 18). Peut-on désormais considérer que l’étude du suicide est devenue neutre, exempte de croyance ?

L’étude scientifique du suicide privilégie une approche clinique : décrire, expliquer. Elle a permis de lever en partie le tabou* (le suicide n’est plus considéré comme un crime) et de mettre en œuvre une politique de prévention* (le suicide est passé du juriste au médecin). Cependant, selon les analyses philosophiques récentes (Alvarez* 1972 ; Amery* 1976 ; Guirlinger, 2000), cette démarche a un prix : la suicidologie* aurait oblitéré la question du sens. Selon Guirlinger, il n’existerait pas de séparation radicale entre approche religieuse et scientifique mais des points de convergence : dans les deux cas, le suicide représente « une négativité absolue ». La suicidologie descriptive ne se construirait-elle pas aux dépens du sens ? Cette question en masque une autre : en esquivant la recherche du sens, n’est-ce pas la place et le rôle que le suicide occupe dans la société qui ne sont pas abordés ? Autrement dit, peut-on se limiter à analyser le suicide à la manière de Durkheim* (1897), comme un objet dont il faut trouver la cause sociale, ou ne faudrait-il pas l’étudier aussi comme un fait social total, c’est-à-dire dans l’ensemble de ses dimensions ? Ne pas voir dans le suicide uniquement un problème social mais en faire une question sociologique ? (Frontières, vol 21, n° 1, p. 15-16)

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Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-13

Notes

Source: «De la prévention du suicide comme une question sociologique», Frontières, vol. 21, n° 1 2008, p.15-22.

Matthieu Lustman
docteur en médecine et en sociologie, maître de conférences,enseignant-chercheur,
Université catholique de Lille, Centre d’éthique médicale, UNPS, Comités scientifique et éthique.

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