L'Encyclopédie sur la mort


La jeune fille et la mort

Le thème de «la jeune fille et la mort», qui puise ses origines dans la mythologie gréco-latine, devint, dès le XVI° siècle jusqu'au monde contemporain, une source d'inspiration pour les poètes et les écrivains, les peintres et sculpteurs. Chez les anciens Grecs, le rapt de Perséphone (Proserpine chez les Romains) par Hadès (Pluton chez les Romains), dieu des Enfers, symbolise originellement la mort et la renaissance des fruits de la terre mis en terre et annonce le cycle des saisons. Il évoque aussi la vie dont, après la mort, jouiront les êtres humains destinés à l'immortalité* et à une vie éternellement heureuse. Les diverses cultures se saisiront de ce mythe pour exprimer, à travers les arts et les lettres la rencontre d'Eros (vie) et de Thanatos* (mort). La figure de la jeune femme est, par excellence, associée aux promesses de la vie. Sa beauté, objet de contemplation et de désir, la rend fragile et vulnérable aux outrages du temps et du vieillissement, elle est soumise à l'oeuvre de la mort. La jeune fille est la préfiguration de la constante confrontation des deux contraires qui nous habitent: la vie et la mort dont Héraclite* nous a appris la coexistence dans l'univers des vivants, la nature et le cosmos.

«Quand la Mort rencontre Vénus c'est la collision brutale entre la vie et la mort, car la féminité est le symbole de vie, de fécondité, [...], de permanence [...]. Et cette opposition entre la mort et l'image de la jeune femme va au-delà de la méditation sur les âges: c'est l'interrogation, en termes biologiques, sur la survie de l'espèce. On touche là, semble-t-il à un ressort d'ordre anthropologique. Voilà sans doute l'une des secrètes raisons pour lesquelles le thème de la jeune fille et de la Mort traverse toute la culture européenne: depuis les mythes fondateurs européens jusqu'aux formes artistiques et culturelles, même quotidiennes de notre époque, le rendez-vous symbolique est constamment présent. Et chaque fois, il recèle un signe du temps à décrypter.»(Gert Kaiser, «Introduction»Vénus et la Mort, traduit par Nicole Taubes, Paris, Editions de la Maison des sciences de l'homme, 1999)

Une remarque s'impose. Ces scènes de la séduction de la Mort et de la l'abandon de la jeune fille dans ses bras, sont des constructions généralement faites par des hommes à partir de leur perception et de leurs fantasmes ayant la femme pour objet. D'une part, on aimerait mieux connaître le regard des femmes sur l'imaginaire artistiques et littéraire entourant la figure de la jeune fille et la Mort. D'autre part, il importerait d'examiner le thème du jeune homme et la mort qui, s'il existe, a été moins populaire lorsqu'on de fie à la quantité ou à la diffusion des productions le concernant.

ARTS ET LETTRES

La jeune fille et la mort de Franz Schubert
Quatuor à cordes en ré mineur D. 810 (mars 1824) considéré comme son quatuor le plus achevé. Atteint de syphilis, Schubert puise de sa souffrance et de sa mort éminente une inspiration pour nous livrer une musique d'une rare profondeur afin d'accompagner le poème de Matthias Claudius (1740-1815):

Das Mädchen
Vorüber! Ach, vorüber!
Geh wilder Knochenmann!
Ich bin noch jung, geh Lieber!
Und rühre mich nicht an.

Der Tod
Gib deine Hand, du schön und zart Gebild!
Bin Freund, und komme nicht, zu strafen.
Sei gutes Muts! ich bin nicht wild,
Sollst sanft in meinen Armen schlafen!

La Jeune Fille
Va-t'en, ah, va-t'en!
Disparais, odieux squelette!
Je suis encore jeune, disparais!
Et ne me touche pas! »

La Mort
Donne-moi la main, douce et belle créature!
Je suis ton amie, tu n'as rien à craindre.
Laisse-toi faire! N'aie pas peur
Viens sagement dormir dans mes bras

La musique de ce quatuor est reprise dans le film La Jeune Fille et la Mort de Roman Polanski (1994).

La Jeune Fille et la Mort (Death and the Maiden) de Roman Polanski
est un film américain réalisé par Roman Polanski, sorti en 1994 et adapté de la pièce du dramaturge chilien Ariel Dorfman.

La jeune fille et la mort de Michel Tournier
Nouvelle de 26 pages dans L'aire du muguet, La jeune fille et la mort, Paris, Gallimard, 2008. Toujours à la recherche de sensations fortes et particulières, une jeune fille, appelée Mélanie Blanchard, se plaît à des expériences qui lui donnent le frisson. Violée par un bûcheron, elle le rejoint, fascinée par les scies. Disposant une corde pour se pendre, elle s'intéresse à un C.R.S. pour son pistolet, à un mycologue pour sa connaissance des champignons vénéneux. Elle meurt de rire lorsqu'un ami lui offre un objet qu'il a fabriqué pour elle: une guillotine en miniature.

«Mélanie Blanchard est une bonne élève qui se fait remarquer, pourtant, par des inventions saugrenues: elle adore manger de citrons et a une fascination énorme pour les personnages historiques condamnés à mort et suppliciés. C'est qu'elle cherche à colorer et à assaisonner un monde morne et invivable en le rendant plus piquant. Souffrant spontanément d'un vertige existentiel dégénératif, elle ne perçoit autour d'elle qu'un monde authentiquement sartréen:

"La chambre, la classe me paraissaient pétries dans une boue blafarde où les formes se dissolvaient lentement. Seule vivante au milieu de cette désolation nauséeuse, Mélanie lutte avec acharnement pour ne pas s'enliser à son tour dans cette vase."» (D. G. Bevan, Michel Tournier, Rodopi, 1986, p. 52-53)




Munch La jeune fille et la mort de Edvard Munch

«La Mort et la jeune fille sont manifestement enlacées dans l'accouplement. La jeune fille, son bras posé autour du cou de la carcasse squelettique, baise éperdument le crâne décharné et serre son corps contre celui de la Mort. [...] L'intention artistique est manifestement la représentation de la réalité de l'étreinte amoureuse. Comment comprendre autrement, sur les montant droit et gauche de l'encadrement, la présence de filaments séminaux? [...] Le thème classique est ici abordé dans son essence même. La force ambivalente et équivoque du thème, depuis le Moyen-Âge, réside en ce qu'il rappelle la mort comme dépassant la contingence individuelle. [...] La jeune femme, dans sa fécondité, incarne ici la procréation et en dernière instance, l'espèce humaine dans son entier. La proximité de la Mort symbolise la menace pesant sur l'espèce. [...]
Dans cette gravure se trouve posée avec la dernière acuité la question de l'avenir de l'espèce. [...] Peut-être son union avec la Mort signifie-t-elle la disparition de la jeune fille à titre individuel. Mais il y a, «hors cadre», hors de cet abandon de soi, l'effusion de sperme et les têtes foetales: à l'évidence, l'espèce est indestructible.» (G. Kaiser, op. cit., p. 5)

On peut voir aussi dans la jeune fille une figure d'une humanité, engagée dans une culture de la mort, destructrice de la vie: guerre, torture, génocide, terrorisme, sport extrême, etc.

Munch nous a laissé une autre lithographie, nommée tantôt Madone, tantôt Amante, immortalisée par Thomas Mann dans sa nouvelle Gladius Dei. Hieronymus, jeune homme bigot, est obsédé par une reproduction de cette toile aperçue dans la vitrine de M. Blüthenzweig, marchand de tableau à Munich: «La silhouette de la sainte Génitrice était d'une fascinante féminité, belle et sans voile» (Thomas Mann, Romans et nouvelles, vol I, La Pochothèque, 1994, p. 145). Munch a accompagné sa lithographie de quelques vers qui expriment le rapprochement entre beauté féminine et fécondité, vie et mort:

Munch
Instant où l'univers suspend sa course
Ta face où tient l'entière beauté du monde
Et tes lèvres carmin, ce beau fruit à venir,
Qui s'écartent un peu, et comme endolories
Le sourire d'une morte
Et la Vie à la Mort tend sa main
La chaîne est scellée, liant mille défuntes
Générations à mille autres futures.



(Catalogue de l'exposition Edvard Munch, 1987-1988, n° 41, cité par Kaiser, op. cit. 9)
http://books.google.ca/books?id=l005yD48p1AC&pg=PA9&lpg=PA5&hl=fr&output=html

Autres oeuvres

«Le Chevalier, la jeune fille et la Mort», peinture réalisée par Baldung Grien Hans (dit), Baldung Hans (1484/85-1545).

«La jeune fille et la mort» du même peintre.

«La jeune fille et la mort», (1900) peinture de Marianne Stokes (1855-1927).

«La jeune fille et la mort» peinture d'Egon Schiele (1890-1918).

«La jeune fille et la mort» (1517) peinture de Niklaus Manuel Deutsch (1484-1530).

«Eros et Thanatos» trois planches de dessins d'Arminius Hasemann (1921).

«La Mort et la femme opulente» peinture de Tomi Ungerer (1983).

«Dancing with Death» peinture de Ernst Fuchs (1983).

«Courting Death» photographie d'Annette Lemieux (1985).



Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-16

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