L'Encyclopédie sur la mort


Jammes Francis

Francis Jammes

Francis Jammes est un poète français né à Tournay (Hautes-Pyrénées) le 2 décembre 1868 et décédé à Hasparren (aujourd'hui Pyrénées-Atlantiques) le 1er novembre 1938. Il passa la majeure partie de son existence dans le Béarn et Pays basque, sources d'inspiration de sa littérature. À dix-huit ans, il rencontre Baudelaire*. Ses essais poétiques ont été remarqués par Mallarmé et par Gide. Tout au long de son existence littéraire, il se lie avec des écrivains comme Claudel, Mauriac, Cocteau, Valéry. Il a su inspirer plusieurs jeunes littéraires. En 1907, à 39 ans, il épouse Geneviève Goedorp, ils eurent six enfants. Il meurt à Hasparren à la Toussaint 1938, le jour où l'une de ses filles prend le voile. Son âme bucolique, associée à une vie solitaire à la campagne, se manifeste dans son oeuvre. Son poème « J'aime l'âne » est un petit bijou d'une nature tendre et spirituelle. L'âne et la jeune fille figurent parmi ses thèmes poétiques préférées.

 

 

 

Prière pour que le jour de ma mort soit beau et pur

Mon Dieu, faites que le jour de ma mort soit beau et pur.

Qu'il soit d'une grande paix ce jour où mes scrupules

littéraires ou autres, et l'ironie de la vie quitteront,

peut-être la grande fatigue de mon front.

Ce n'est point comme ceux qui en font une pose

que je désire la mort, mais très simplement,

ainsi qu'une poupée, une petite enfant.

Vous savez, ô mon Dieu, qu'il y a quelque chose

qui manque à ce qu'on appelle le bonheur,

et qu'il n'existe point et qu'il n'est pas de gloire

complète, ni d'amour, ni de fleur sans défaut,

et qu'à ce qui est blanc il y a toujours du noir....

 

Mais faites, ô mon Dieu, qu'il soit beau, qu'il soit pur,

le jour où je voudrais, poète pacifique,

voir autour de mon lit mes enfants magnifiques,

des fils aux yeux de nuit, des filles aux yeux d'azur...

Qu'ils viennent, sans un pleur, considérer leur père,

et que la gravité qui sera sur ma face

les fasse frissonner d'un large et doux mystère

où ma mort apparaîtra comme une grâce.

 

Que se disent mes fils : La gloire est vaine et laisse

de l'inquiétude à ceux qui savent que Dieu seul

est poète en posant le parfum des tilleuls

aux lèvres doucement fraîches des fiancées

Que se disent mes fils : L'amour c'est l'ironie

qui sépare les êtres lorsqu'ils sont unis :

le coeur de notre père a souffert jusqu'encore

d'avoir quitté le coeur de sa chère Mamore...

 

Et que mes filles se disent à mon lit de mort :

Nous ne savons ce qui est au-delà du tombeau,

mais notre père meurt comme coule de l'eau

dans la belle clarté d'une forêt d'automne...

 

Mon Dieu, faites que le jour de ma mort soit beau et pur,

que je prenne les mains de mes enfants dans les miennes

comme le bon laboureur des fables de La Fontaine,

et que je meure dans un grand calme du coeur.

Le Deuil des primevères, Mercure de France, 1901.

J'aime l'âne

J'aime l'âne si doux
marchant le long des houx.

Il prend garde aux abeilles
et bouge ses oreilles;

et il porte les pauvres
et des sacs remplis d'orge.

Il va près des fossés,
d'un petit pas cassé.

Mon amie le croit bête
parce qu'il est poète.

Il réfléchit toujours.
Ses yeux sont en velours.

Jeune fille au doux coeur,
tu n'as pas sa douceur:

car il est devant Dieu
l'âne doux du ciel bleu.

Et il reste à l'étable,
résigné, misérable,

ayant bien fatigué
ses pauvres petits pieds.

Il fait son devoir
du matin jusqu'au soir.

Qu'as-tu fait jeune fille?
Tu as tiré l'aiguille...

Mais l'âne s'est blessé :
la mouche l'a piqué.

Il a tant travaillé
que çà vous fait pitié.

Qu'as-tu mangé petite?
- T'as mangé des cerises.

L'âne n'a pas eu d'orge,
car le maître est trop pauvre.

Il a sucé la corde,
puis a dormi dans l'ombre...

La corde de ton coeur
n'a pas cette douceur.

Il est l'âne si doux
marchant le long des houx.

J'ai le coeur ulcéré :
ce mot-là te plairait.

Dis-moi donc ma chérie,
si je pleure ou je ris?

Va trouver le viel âne,
et dis-lui que mon âme

est sur les grands chemins,
comme lui le matin.

Demande-lui, chérie,
si je pleure ou je ris?

Je doute qu'il réponde :
il marchera dans l'ombre,

crevé par la douceur,
sur le chemin en fleurs.


De l'Angelus de l'aube à l'Angélus du soir


Prière pour aller au paradis avec les Ânes

Lorsqu'il faudra aller vers Vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller,
comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.

Je prendrai mon bâton et sur la grande route
J'irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,
Car il n'y a pas d'enfer au pays du Bon-Dieu.
Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu,
Pauvres bêtes chéries qui, d'un brusque mouvement d'oreille
Chassez les mouches plates, les coups et les abeilles...

Que je vous apparaisse au milieu de ces bêtes
Que j'aime tant parce qu'elles baissent la tête
Doucement, et s'arrêtent en joignant leurs petits pieds
D'une façon bien douce et qui vous fait pitié

Mon Dieu, faites qu'avec ces ânes je vous vienne,
Faites que dans la paix, des anges nous conduisent
Vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
Lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
Et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
Sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
Qui mireront leur humble et douce pauvreté
À la limpidité de l'amour éternel.

Le Deuil des Primevères (1901)

Lorsque je serai mort...

Lorsque je serai mort, toi qui as des yeux bleus
couleur de ces petits coléoptères bleu de feu
des eaux, petite jeune fille que j’ai bien aimée
et qui as l’air d’un iris dans Les fleurs animées,
tu viendras me prendre doucement par la main.
Tu me mèneras sur ce petit chemin.
Tu ne seras pas nue, mais, ô ma rose,
ton col chaste fleurira dans ton corsage mauve.
Nous ne nous baiserons même pas au front.
Mais, la main dans la main, le long des fraîches ronces
où la grise araignée file des arcs-en-ciel,
nous ferons un silence aussi doux que du miel ;
et, par moment, quand tu me sentiras plus triste,
tu presseras plus fort sur ma main ta main fine
— et, tous les deux, émus comme des lilas sous l’orage,
nous ne comprendrons pas… nous ne comprendrons pas.

De l'Angelus de l'aube à l'Angélus du soir

 

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2013-01-17

Notes

Source : André Gide, Anthologie de la poésie française, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1949, p. 718 et p. 725-726.